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Russie-Golfe. En attendant la visite de Vladimir Poutine

Igor Delanoë Igor Delanoë
27 septembre 2019
Le président russe devrait se rendre mi-octobre en Arabie saoudite puis aux Émirats arabes unis pour une visite historique. Longtemps attendu, ce déplacement aura été à maintes reprises annoncé puis reporté au cours des dernières années. La dernière visite de Vladimir Poutine dans les capitales arabes des pétromonarchies sunnites du Golfe remonte à 2007. À l’époque, le maître du Kremlin avait emmené une délégation de plusieurs dizaines de chefs d’entreprises. En vain, car le business russe n’était pas parvenu à se faire une place au soleil dans ces contrées friandes de hautes technologies occidentales. Le relatif échec commercial et le peu de suites politiques de ce déplacement dans le Golfe ont conduit par la suite Vladimir Poutine à bouder les pétromonarchies arabes. Les « Printemps arabes », le retranchement américain sur la scène moyen-orientale depuis la fin des années 2000 et le retour de la Russie comme acteur stratégique de premier plan à la faveur de la crise syrienne ont depuis changé la donne. Le changement générationnel à Riyad et Abou Dhabi également. On dit le prince héritier Mohammed ben Salmane (Arabie saoudite) comme Mohammed ben Zayed (Émirats arabes unis) bien plus ouverts à l’idée de coopérer avec la Russie que ne l’étaient leurs prédécesseurs.
En revanche, aux Émirats arabes unis, l’enjeu pour le Kremlin est de faire franchir un saut quantitatif à une relation qui est, au plan politique, déjà bien épanouie.
Quel est le sens de ce déplacement et que faut-il en attendre ? En se rendant à Riyad, Vladimir Poutine répond formellement à l’invitation qui lui a été adressée voilà deux ans par le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, lors de son séjour moscovite. Leur rencontre dans la capitale saoudienne, ainsi que celle qui pourrait intervenir entre Vladimir Poutine et Mohammed ben Salmane, doivent symboliser le seuil qualitatif franchi par la relation bilatérale ces dernières années. Les dossiers qui fâchent ne manquaient pourtant pas : l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, les conflits tchétchènes des années 1990 et la compétition que se livrent ces deux poids lourds énergétiques sur le marché mondial du pétrole ont lourdement pesé sur la qualité de la relation entre Moscou et Riyad. La crise syrienne a aussi vu Russes et Saoudiens soutenir des camps frontalement opposés. Et pourtant, la Russie et l’Arabie saoudite auront su depuis le début des années 2010 surmonter réalistement leurs nombreuses divergences pour trouver un langage commun. Parler de confiance serait excessif ; en revanche, les Saoudiens considèrent que, plus qu’un problème, la Russie fait partie de la solution en Syrie. Enfin, il aura fallu l’entente russo-saoudienne pour donner corps à l’accord OPEP+, fin 2016, le rôle des Russes s’avérant déterminant pour obtenir la participation iranienne. Certains dossiers régionaux sont devenus, dans le sillage des « Printemps arabes », l’objet de convergences de vues entre la Russie et l’Arabie saoudite : l’Égypte du maréchal Sissi, ou encore la Libye, où le maréchal Haftar s’est attiré les faveurs russes, saoudiennes et émiriennes.

Subsistent néanmoins des ombres au tableau, comme le volume des échanges commerciaux russo-saoudiens, qui n’est pas satisfaisant. En 2018, il est repassé au-dessus de la barre du milliard de dollars, pour la première fois depuis 2014. Mais il se situe loin derrière les 25 milliards de dollars d’échanges entre la Russie et la Turquie, et les presque 7,4 milliards de dollars du commerce russo-égyptien en 2018. Au demeurant, au cours de la dernière décennie, les flux commerciaux russo-saoudiens ont connu une dynamique de croissance. Pour le commerce, c’est en réalité plutôt du côté des Émirats arabes unis qu’il faut regarder : le commerce bilatéral a franchi depuis 2010 la barre du milliard de dollars, et n’est jamais repassé sous ce seuil. La coopération russo-émirienne se caractérise par son dynamisme (1,7 milliard de dollars de volume en 2018) et sa diversité : tourisme, défense, agriculture, nucléaire civil… Et le potentiel demeure important. C’est bien du côté d’Abou Dhabi qu’il faudra guetter les contrats russes lors de la visite de Vladimir Poutine, probablement plus que du côté de Riyad. En Arabie saoudite, la portée de la visite du président russe demeure surtout politique, avec des attentes commerciales somme toute raisonnables : projet commun envisagé entre Sabic et Rosneft dans le domaine pétrolier en Inde, possibilité récente pour la Russie d’exporter ses céréales vers le marché saoudien… En revanche, aux Émirats arabes unis, l’enjeu pour le Kremlin est de faire franchir un saut quantitatif à une relation qui est, au plan politique, déjà bien épanouie.

Un sujet sera au cœur des discussions entre Vladimir Poutine et ses hôtes, aussi bien à Riyad qu’à Abou Dhabi : l’Iran, et, au-delà, la sécurité dans la région du Golfe. Moscou a proposé cet été un projet pour la création d’un système de sécurité collective dans le golfe Persique, qui a trouvé bien peu d’écho parmi les pétromonarchies sunnites. Si Saoudiens comme Émiratis se sont abstenus de commenter le document russe, ils ne l’ont pour autant pas critiqué, afin de ne pas froisser la Russie. La perspective d’un affrontement ouvert entre Washington et Téhéran tétanise en effet les pétromonarchies qui seraient les premières à en faire les frais. Elles comptent donc sur Moscou pour calmer le jeu dans le Golfe en faisant jouer sa relation avec Téhéran. En ce domaine, il y a une relative attente mutuelle : fort de sa crédibilité militaire acquise en Syrie et de son expérience diplomatique, Moscou serait tentée de jouer les « faiseurs de désescalade » dans le Golfe.
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