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Nomination du nouveau président de la FIDE : les échecs comme soft power russe

Anton Ramov
7 novembre 2019
Akardi Dvorkovitch a été élu président de la Fédération internationale des échecs (FIDE) lors du congrès de l’organisation qui s’est tenu le 3 octobre à Batoumi en Géorgie. La compétition fut rude entre l’actuel vice-président de la FIDE, le Grec Gueorguios Makropoulos, qui a reçu les voix de 78 pays, et Dvorkovitch, qui en a obtenu 103. La nomination du candidat russe n’est d’ailleurs intervenue que trois mois avant le vote. La FIDE était présidée depuis 1995 par Kirsan Ilioumjinov, qui dirigea par ailleurs la république de Kalmoukie (sujet de la Fédération de Russie) de 1993 à 2010. Son règne sur la fédération fut accompagné de nombreux scandales. La FIDE a rencontré ces derniers temps de sérieux problèmes financiers, allant jusqu’à la pousser à envisager la fermeture de ses bureaux à Moscou en avril dernier. Ilioumjinov lui-même a fait l’objet de sanctions américaines en 2016, ce qui n’a pas aidé au fonctionnement serein de la fédération. En juin 2018, il a annoncé en juin dernier n’être pas candidat à sa propre succession et soutenir la candidature d’Arkadi Dvorkovich.

Arkadi Dvorkovitch (né en 1972) est un pur produit du monde des échecs : son père n’était autre que l’arbitre international Vladimir Iakovlevitch Dvorkovitch (1937-2005), personnage incontournable de ce milieu. Ce dernier exerça entre autre la fonction de président du collège des arbitres de la Fédération russe des échecs. Dvorkovitch fils occupa lui-même le poste de vice-président de la Fédération russe des échecs au cours des années 2000 et rejoint en 2010 son conseil de surveillance où il travailla à l’attraction de financements et au développement du sport chez les enfants. De 2008 à 2012 il occupa le poste d’assistant du président russe Dmitri Medvedev avant de devenir en 2012 vice-Premier ministre, poste à partir duquel il aura notamment supervisé les préparatifs de la Coupe du monde de football de 2018.
N’étant pas une discipline olympique, les échecs ont échappé aux scandales éclaboussant le sport russe. Ils sont pour les russes un objet de fierté et de prestige. Comme le proclamait le titre d’un livre soviétique, ce sont tout à la fois « la science, l’art et le sport ». L’Union soviétique ne ménageait pas ses moyens pour l’entrainement de nouveaux champions, en offrant massivement aux enfants des leçons gratuites. Cela permit de créer l’une des meilleures écoles du monde.
On notera que les États-Unis, où le modèle de financement diffère, n’ont produit qu’un seul champion du monde au cours du XXe siècle, le brillant, célèbre et scandaleux Bobby Fischer. Dans les années 1990, sur fond de déclin économique généralisé, l’intérêt des autorités pour les échecs se réduisit et les financements se tarirent brutalement. Au niveau international une scission se produisit : au milieu des années 1990, le champion du monde Garri Kasparov créa une autre fédération, l’Association professionnelle des échecs, qui décernait son propre titre de champion du monde indépendamment et entretint un conflit prolongé avec la FIDE. En 2006, les deux fédérations se réunifièrent néanmoins sous la houlette de Kirsan Ilioumjinov.

Les échecs demeurent pourtant un sport conservateur. À la différence du football, où les stars peuvent se succéder tous les 5 à 7 ans, il n’y a eu que 16 champions du monde d’échec depuis 1886, en comptant l’actuel tenant du titre, Magnus Carlsen, un Norvégien de 27 ans. De ces 16 champions, 9 étaient russes ou soviétiques, à commencer par Alexandre Alekhine, premier champion décédé en 1946. Au-delà des seuls Russes, les champions soviétiques furent d’ailleurs issus des quatre coins de l’Union, de la Lettonie de Mikhaïl Tal à l’Arménie de Tigran Petrossian et jusqu’à l’Azerbaïdjan de Garry Kasparov (dont Dvorkovitch père fut l’ami et entraîneur, ce qui n’est peut-être pas pour rien dans la réputation libérale de son fils Arkadi). En résumé, le succès aux échecs mobilisait toutes les ressources de la puissance soviétique, au meilleur sens du terme.

Dans le contexte des sanctions économiques et de la pression politico-diplomatique que la communauté euro-atlantique exerce sur Moscou, les échecs demeurent un des canaux de communication ouverts entre la Russie et le reste du monde. La FIDE rassemble aujourd’hui 188 fédérations nationales, ce qui en fait la 3ème en nombre de pays membres (derrière la Fédération internationale d’athlétisme et la FIFA). Le statut de président de la FIFA confère une envergure internationale, lorsque celui-ci visite un pays, il est habituellement reçu par le ministre de l’Éducation ou des Sports, voire même le Premier ministre, du pays hôte. Il s’agit ainsi d’un levier non négligeable de politique étrangère. À l’heure actuelle, la Russie ne détient que 3 postes de président de fédération sportive internationale : Alicher Ousmanov (Fédération d’escrime), Boris Syrnik (Fédération de bandy) et Arkadi Dvorkovitch.

L’avenir dira si Arkadi Dvorkovitch parviendra à se montrer à la hauteur de son rôle (en résolvant les problèmes financiers de l’organisation, en ravivant la flamme des échecs à l’échelle mondiale et en portant le nombre de joueurs de 600 millions aujourd’hui à 1 milliard en 2020) mais les observateurs s’accordent à dire que le choix de sa candidature était un succès. Le mandat du président de la FIDE dure quatre ans, pendant lesquels Arkadi Dvorkovitch pourra faire ses preuves dans le champ de la diplomatie échiquéenne.
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