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France-Russie : quel partenariat pour un monde globalisé ?

Laurent Fabius Laurent Fabius
27 mai 2013
Article de « France - Russie » - numéro spécial de la revue « Russia in global affairs »

La relation franco-russe a connu le fracas des armes, l’amitié, la fraternité. Elle a toujours été marquée par un profond intérêt réciproque, nourri par les arts, la littérature et les idées. Il existe entre la Russie et la France une estime particulière, qui se manifeste en général à chacune des rencontres entre dirigeants des deux pays. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais nous savons reconnaître chez l’autre une grande civilisation. Nous avons la volonté partagée de développer nos relations, qui ont repris à partir de 1989 leur élan naturel brisé par la Guerre froide.

La visite du président français à Moscou le 28 février dernier a illustré la qualité de notre relation politique. Les deux présidents, qui s’étaient déjà rencontrés à deux reprises, ont relancé la dynamique de notre coopération en mettant notamment l’accent sur l’innovation et le développement des investissements croisés. Nos deux pays veulent travailler à l’amélioration de la sécurité et assumer leurs responsabilités.

L’essor de nos échanges économiques et commerciaux est significatif. Ils ont été multipliés par cinq au cours de la dernière décennie pour atteindre 20 milliards d’euros en 2012. Les nombreux projets d’investissements français en Russie, dont la fusion Renault/Avtovaz, montrent la volonté des entreprises françaises de travailler dans la durée avec la Russie. Il s’agit généralement d’investissements de long terme, réalisés en partenariat avec les sociétés locales, dans des domaines stratégiques tels que les transports, l’industrie pharmaceutique, l’énergie nucléaire, l’efficacité énergétique, l’agroalimentaire. La France prend part aux grands projets de modernisation de la Russie comme la ville innovante de Skolkovo, les Jeux Olympiques de Sotchi, la Coupe du Monde de football 2018, la conception du Grand Moscou. Nous participons aussi aux grands projets énergétiques russo-européens Nord Stream et South Stream, dont GDF-Suez et EDF sont actionnaires. La France et la Russie entretiennent en matière de nucléaire civil une coopération très poussée dans tous les domaines, de la recherche fondamentale à la sécurité. Dans l’autre sens, les investissements russes se développent en France, même si c’est trop timidement : après le rachat de la fonderie Sambre et Meuse par Ouralwagonzavod en 2010, les Chemins de fer de Russie ont repris fin 2012 le logisticien Gefco. Un investisseur russe devrait réaliser le plus grand projet immobilier européen de la décennie dans le quartier parisien de la Défense.

Nos échanges culturels font également preuve d’une grande vitalité. En 2010, l’Année de la France en Russie et de la Russie en France a permis à cinq millions de personnes d’assister à des centaines d’événements culturels dans nos deux pays en mettant en lumière la création contemporaine. La Saison croisée de littérature 2012 a connu un succès tout aussi remarquable. Elle s’est achevée avec l’inauguration à Paris en novembre par les premiers ministres Ayrault et Medvedev de l’exposition « Intelligentsia, entre France et Russie, archives inédites du XXe siècle », que les Moscovites ont récemment pu admirer. Et pour prolonger ces succès, une année franco-russe du théâtre et du cinéma est en préparation.

Les enjeux de notre relation ne sont pas seulement bilatéraux. Celle-ci est indispensable à l’équilibre européen et mondial, incontournable pour affronter les défis du XXIe siècle. La France et la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, sont des acteurs majeurs et ont une responsabilité particulière pour assurer la stabilité et la sécurité du monde.

La France est particulièrement engagée dans la résolution des crises qui menacent la paix. Nous agissons dans le cadre de la légalité internationale et du multilatéralisme auquel nous sommes profondément attachés. Nous sommes intervenus au Mali, à la demande des Maliens, dans le contexte des résolutions onusiennes, pour éviter que ce pays ne tombe aux mains de groupes terroristes, et pour lui permettre de retrouver son intégrité. Nous avons agi en étroite concertation avec les organisations régionales concernées par la crise (CEDEAO, Union africaine) et nos alliés. Si nous avons pu agir si rapidement, c’est parce que nous avions le soutien de nos partenaires du Conseil de sécurité : la Russie doit être remerciée de son aide et de son rôle positif dans la résolution de la crise malienne.

C’est aussi d’abord au sein de l’ONU que nous avons cherché à mettre fin au sanglant conflit syrien, même si pour l’instant, sur ce dossier si dramatique, nos différences d’approche n’ont pas permis de prendre les décisions qui seraient pourtant nécessaires. Mais si nous divergeons sur les moyens, nous sommes, je crois, d’accord sur l’objectif : la France et la Russie souhaitent toutes deux une Syrie pacifiée, libre de toute ingérence extérieure, où les droits de toutes les populations constitutives de l’État syrien soient préservés et garantis. Nous le souhaitons parce qu’il est de notre intérêt de mettre fin à une crise qui menace de déstabiliser le Proche-Orient dans son ensemble. Nous n’avons pas cessé de dialoguer et de travailler ensemble depuis le début de la crise et je garde, pour ma part, la conviction qu’un accord est possible sur un mécanisme de transition.

La voie de l’avenir, c’est en effet la coopération et le multilatéralisme. Pour toutes les puissances, quelle que soit leur taille, l’isolement ou l’unilatéralisme sont des impasses. Nous pensons notamment que la Russie est un partenaire essentiel de l’Union européenne. Moscou est à quatre heures de Paris ; le peuple russe fait partie de la famille européenne par sa culture et son histoire ; les relations économiques entre la Russie et l’UE sont étroites. C’est pourquoi la France promeut la conclusion d’un nouvel accord de partenariat global entre l’Union européenne et la Russie, qui permette de développer nos relations dans tous les domaines où elles doivent progresser : libre circulation des personnes (la France souhaite la levée du régime des visas de court séjour avec la Russie), investissements (l’adhésion de la Russie à l’OMC offre de nouvelles perspectives, de même que le rôle de la Russie au sein du G20), énergie et environnement (les complémentarités entre la Russie et les pays de l’UE sont évidentes), recherche et échanges scientifiques. C’est sur la base de ce partenariat rénové que l’Union européenne, la France et la Russie pourront progresser plus vite ensemble et participer à l’effort global pour la paix et la sécurité.

Reconnaissons que cet objectif ne sera pas facile à atteindre. Il exige du respect de part et d’autre mais aussi des signes concrets de cette volonté de convergence. Je pense, en particulier, aux trop nombreuses atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine qui sont encore commises et qui doivent prendre fin. Les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 sont inconditionnels. Patrie des droits de l’homme, la France fait de leur promotion dans le monde une priorité de son action extérieure.

Autre partenaire de notre relation, l’OTAN. La nouvelle réalité des menaces pesant sur l’ordre international l’ont conduit à adapter ses missions et son dispositif : les conflits de basse intensité impliquant des opérations de maintien de la paix, le terrorisme transnational qui menace la cohésion de nos sociétés, la criminalité organisée, la traite des êtres humains, les trafics de drogue et d’armes. L’OTAN doit mener ces missions en concertation avec son partenaire stratégique essentiel, la Russie. La France a toujours appuyé le dialogue entre l’OTAN et la Russie et y participe activement. Ce dialogue sur les questions de sécurité internationale se poursuit au sein de l’OSCE. Il se concrétise par le lancement d’initiatives nouvelles, comme le Pacte de Paris visant à lutter contre le trafic d’héroïne en provenance d’Asie centrale.

Au-delà, nous devons poursuivre ensemble notre adaptation à la nouvelle réalité des relations internationales. L’urgence n’est plus seulement de régler des litiges entre États ou d’intervenir dans des crises régionales, mais de résoudre ces problèmes globaux qui menacent les grands équilibres de la planète et l’humanité. Il s’agit d’abord de notre environnement : la pression qui s’exerce dessus n’est pas durablement supportable. La France et l’Europe portent des objectifs ambitieux en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité. Elles plaident pour un renforcement significatif de l’action de la communauté internationale, qui pourrait prendre la forme d’une Organisation des Nations-Unies pour l’environnement. Nous souhaitons que d’autres États nous rejoignent sur cette voie.

Nous sommes convaincus que la nécessaire protection de notre environnement est complémentaire de l’impératif de développement économique et de progrès social. La France est un acteur majeur du développement : quatrième État donateur au monde avec 13 milliards d’euros de crédits d’aide publique au développement par an. Le développement passe aussi par l’amélioration de la gouvernance financière internationale, dont la crise récente a montré les graves lacunes. Des progrès doivent être accomplis notamment dans le cadre du G20, qui se réunit en 2013 sous présidence russe.

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Sur tous ces sujets, la communauté internationale s’exprime souvent de façon contradictoire. Dans un monde dont la diversité culturelle est l’un des trésors les plus précieux, les perceptions et les visions de ces enjeux globaux sont différentes. C’est par le dialogue des peuples, des nations et des États que se construiront les consensus qui modèleront le monde de demain.

Ces consensus, la France souhaite y travailler avec la Russie, grand pays proche du nôtre, dont la culture est connue et appréciée en France, et qui est conscient de sa responsabilité dans la conduite des affaires du monde. Nous nous souvenons que la Russie a toujours été aux côtés de la France dans les moments décisifs. Nous commémorerons l’année prochaine le centenaire du déclenchement du premier conflit mondial. Alliées pour la paix, la France et la Russie doivent le demeurer au cours de ce XXIe siècle où elles doivent travailler ensemble à rendre notre monde plus sûr, plus juste et plus prospère.
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