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« 3 Questions À » Alexeï Malachenko sur la Russie et la montée en puissance des talibans en Afghanistan

Alexeï Malachenko Alexeï Malachenko
7 septembre 2021
Alexeï Malachenko, directeur de recherche, Institut des relations internationales (IMEMO), Académie des sciences de Russie

1. Le retour au pouvoir des talibans* a-t-il surpris Moscou ?

Il est difficile de répondre à cette question de manière définitive. Il n'y avait pas de vision unique au Kremlin quant à la probabilité que les talibans arrivent au pouvoir.

D'une part, cela semblait improbable, car on imaginait que les Américains parviendraient malgré tout à conserver leur influence. Le gouvernement paraissait en mesure de se maintenir au pouvoir, et une coalition aurait alors gouverné, certes avec des représentants des talibans, mais qui n’auraient toutefois pas joué le rôle principal.

La Russie a négocié avec les talibans, y compris à Moscou, mais a également soutenu le gouvernment élu. Elle ne voulait ni ne pouvait adopter une position claire, ce qui était parfaitement logique. Les États-Unis, les pays européens, la Chine, l'Inde et la Turquie ont également communiqué avec les talibans. Tout cela signifiait la reconnaissance de facto des talibans comme acteur légitime de la politique intérieure afghane et, par conséquent, des relations internationales.

Néanmoins, peu nombreux étaient ceux qui à Moscou croyaient à une victoire totale des talibans. On peut noter cependant que cette éventualité avait été prévue par certains experts orientalistes, mais ces prédictions étaient considérées comme exagérées par les décideurs.

2. Quelles sont pour l’heure les réactions et réponses envisagées ?

La Russie conservera une position attentiste. Les évolutions probables de sa politique dépendront d'abord de la voie suivie par les talibans, et ensuite des dispositions de la communauté internationale à leur égard. À l'heure actuelle, l’attitude de l’Occident face aux talibans est de plus en plus tempérée, et l'on peut encore espérer une issue relativement modérée sur des questions telles que les droits humains et le sort des femmes.

La Russie ne s’impliquera pas de façon significative sur le théâtre intérieur afghan. Elle n’en a pas les moyens, notamment financiers. Sa marge de manœuvre politique est également limitée. En outre, il n’y a pas de demande en Afghanistan pour le rôle de médiateur que Moscou cherche à jouer dans divers conflits.

Il est certain que dans quelque temps, lorsque la situation en Afghanistan se stabilisera et que l’on y verra plus clair dans la structuration du leadership taliban, la Russie prendra des mesures pour développer la coopération économique. Je n'exclus pas qu'une coopération puisse être établie dans le domaine militaro-technique également, mais son ampleur restera limitée.

3. Du point de vue de Moscou, quelles sont les conséquences stratégiques des récents événements de Kaboul ? Quelles seront les implications pour la politique étrangère russe dans la région ?

L’arrivée au pouvoir des talibans ne devrait pas affecter de façon trop importante les pays voisins. Les talibans n’ont pas de dessins belliqueux à l’égard de leurs voisins d’Asie centrale. Ils vont se plonger dans la construction de leur Etat et auront pour cela besoin de stabilité. Les talibans sont prêts à développer des relations avec leurs voisins et le font d’ailleurs déjà. Bien sûr, il existe différents groupes au sein du mouvement, y compris des extrémistes virulents. Toutefois, même ceux-la ne constituent pas une menace pour l’Asie centrale.

Quant à l'"effet de talibanisation", c’est à dire l’impact d’une victoire des talibans sur l’état d’esprit des musulmans d’Asie centrale, il faut rappeler que les dispositions des centrasiatiques vis-à-vis des talibans sont assez négatives. Les cellules islamistes locales, quant à elles, sont faibles et ne constituent pas une menace réelle pour le système politique de ces pays.

On pourrait imaginer que la popularité des islamistes afghans se renforce en cas de dégradation du contexte socio-économique et d’une cristallisation du sentiment protestataire autour de revendications islamiques, mais ce scenario apparait peu probable dans un avenir proche.

Pourtant, le succès des talibans est utilisé par Moscou pour réclamer une présence politico-militaire en Asie centrale. La crise afghane est notamment présentée comme une confirmation de l’importance de l’Organisation du traité de sécurité collective face à cette menace venue du Sud.

Dans l'ensemble, il est encore prématuré de parler des conséquences définitives de la "révolution talibane" et de la manière d'établir des relations avec le nouveau gouvernement. Tout dépend de l'évolution du leadership du mouvement taliban et de la capacité des actuels maîtres de Kaboul à éviter la confrontation avec leurs opposants les plus extrémistes à travers le pays.

* Le mouvement des talibans est interdit en Russie.
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