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Brèves moscovites : Natalia Poklonskaïa, de la Crimée à Rossotroudnitchestvo

Clément Marcoux Clément Marcoux
17 février 2022
Par Daria Frantz, chargée de projets éditoriaux à l'Observatoire franco-russe, et Clément Marcoux, chargé de mission à l'Observatoire franco-russe.

La médiatique Natalia Poklonskaïa, ancienne fonctionnaire ukrainienne devenue la première procureure de la Crimée* sous contrôle russe, a été nommée le 2 février directrice adjointe de Rossotroudnitchestvo. Femme aux multiples casquettes, elle a été députée puis diplomate, avant de rejoindre il y a quelques jours l’Agence fédérale en charge de la coopération internationale, de l’aide humanitaire et du soutien aux « compatriotes » russes à l’étranger.
Élue en 2016 à la Douma d’État, Poklonskaïa s’y est très vite illustrée par des prises de position iconoclastes, en se prononçant pour l’interdiction du film « Mathilda », qui décrit une relation adultère du Tsar Nicolas II. Cette position à l’unisson des militants orthodoxes les plus conservateurs avait causé l’embarras au sein de la faction Russie Unie au parlement et lui avait valu des critiques acérées de la part du ministère de la Culture.

Sans doute plus grave aux yeux du système, Poklonskaïa a été la seule députée de Russie Unie à s’opposer en 2018 à l’impopulaire réforme des retraites, ce qui lui a probablement coûté sa présidence de Commission et finalement son siège à la Douma en 2021. 
On peut imaginer l’embarras des autorités : comment canaliser au mieux ce personnage controversé, mais populaire et identifié par l’opinion ? Si sa nomination comme Ambassadrice au Cap-Vert au lendemain du scrutin de septembre dernier ressemblait à une sortie honorable de la scène politique intérieure, elle n’a finalement jamais rejoint Praia, avançant des « raisons personnelles ».

Il est difficile pour un officiel russe de refuser une telle « exfiltration » sans s’attirer les foudres du Kremlin, et certains ont voulu voir dans sa nouvelle nomination un signe de son poids politique ou encore le résultat d’un conflit interne au pouvoir. En réalité, il semblerait que les autorités cap-verdiennes aient refusé de l’accréditer en tant qu’Ambassadrice, du fait de son rôle dans les événements de Crimée.

Dès lors, sa nomination à Rossotroudnitchestvo apparaissait comme une façon d’utiliser au mieux son capital médiatique. Elle y rejoint un directeur lui aussi bien connu des Russes : l’ancien journaliste de télévision Evgueni Primakov « junior » (petit-fils de son homonyme bien connu), qui a siégé à la Douma en même temps que Poklonskaïa et s’était d’ailleurs toujours refusé à la critiquer.

Au sein de Rossotroudnitchestvo, Natalia Poklonskaïa dirigera les équipes en charge des questions culturelles et artistiques, mais c’est surtout sur le sort des « compatriotes » russes dans l’espace post-soviétique qu’elle a mis l’accent lors de ses premières interventions publiques. La nouvelle directrice adjointe a ainsi évoqué son souhait de visiter chaque pays de la région pour y rencontrer ces « compatriotes » - concept qui dépasse pour elle les simples détenteurs de passeports russes - et recueillir leurs doléances.

Une première réunion publique en ligne avec les « compatriotes » du Donbass était prévue le 17 février, avant d’être finalement annulée, officiellement pour des raisons techniques. Bien que Poklonskaïa avait pris soin de présenter l’événement comme portant strictement sur les questions humanitaires, il est probable que les autorités russes y ait vu un élément perturbateur malvenu dans le contexte actuel.

Si certains ont pu spéculer sur le calendrier, puisque cette nomination intervient en plein regain de tensions à la frontière ukrainienne, il semble improbable qu’elle joue un rôle dans les négociations en cours. L’annonce de ses nouvelles responsabilités laisse plutôt un sentiment d’improvisation, et la native du Donbass s’est d’ailleurs montrée évasive sur le statut des régions séparatistes, laissant entendre qu’elle n’était pas favorable à leur reconnaissance par la Russie, ce qui a pu surprendre au vu de son passé criméen.

C’est sans doute sur la scène politique intérieure, alors qu’elle demeure un symbole vivant du « printemps russe », qu’elle pourra se montrer utile aux autorités. Nul doute également que ses positions ultraconservatrices devraient laisser leur marque sur la diplomatie culturelle de Rossotroudnitchestvo.

* L’appartenance de la Crimée à la Fédération de Russie n’est pas reconnue par la communauté internationale.

Source photo : www.duma.gov.ru.
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