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A) Politique étrangère & défense

Igor Delanoë Igor Delanoë
1 novembre 2018

La Russie face au « plafond de verre » diplomatique en Syrie

Voici trois ans que la Russie a déclenché son opération militaire en Syrie. Après avoir effectué une démonstration convaincante de son pouvoir de coercition, Moscou est à la recherche d’une solution politique à la crise syrienne. Toutefois, la conversion des succès militaires en victoire diplomatique lui pose problème. Le Kremlin, qui ne ménage cependant pas ses efforts pour apparaître comme une force d’initiative et de proposition sur ce dossier, se trouve aujourd’hui confronté à un « plafond de verre » pesant sur le règlement politique du conflit. Année électorale en Russie, 2018 a vu, par ailleurs, le Kremlin engager des réformes impopulaires dont la mise en œuvre nécessitera un maximum de stabilité économique, donc le maintien du prix du brut à un niveau acceptable. L’interpénétration de ces différents facteurs – domestiques et énergétiques – devrait pondérer les orientations de l’activité russe au Moyen-Orient.

Le Moyen-Orient, invité de l’agenda domestique russe

Si les dynamiques à l’œuvre au Moyen-Orient continuent d’influencer l’agenda des relations entre Moscou et les capitales occidentales, l’inverse reste tout aussi vrai : des développements extrarégionaux, dont les liens entre la Russie et la communauté euro-atlantique, pèsent sur les dynamiques moyen-orientales. La scène stratégique régionale a néanmoins fourni à la Russie la possibilité de jeter des ponts vers des acteurs avec lesquels Moscou était en délicatesse. C’est le cas des Européens, qui, suite à la décision prise par Donald Trump, en mai 2018, de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, se retrouvent, avec les Russes, à vouloir sauver ce qui peut encore l’être, si ce n’est de la lettre, au moins de l’esprit du JCPOA (1). C’est aussi le cas de l’Arabie saoudite, avec laquelle la Russie a noué un dialogue fructueux à la faveur – et c’est un paradoxe – de la crise syrienne et de la chute des prix du brut en 2015. La coordination russo-saoudienne demeure essentielle à la préservation de l’accord dit OPEP+, conclu fin 2016 (2016), qui a permis de stabiliser le prix du baril, établi au cours du premier semestre 2018 autour des soixante-dix dollars, un niveau jamais atteint depuis 2014. Moscou et Riyad sont engagées dans un processus de réformes domestiques d’ampleur variable, qui requiert cependant, pour l’une comme pour l’autre, un prix du baril aussi stable que consolidé.

Au demeurant, le dossier syrien continue de coûter à la Russie sur le plan diplomatique. Il en va ainsi du volet humanitaire de la crise et de la question du chimique (Ghouta orientale au printemps 2018), venus s’ajouter à l’affaire Skripal et à l’expulsion qui s’en est suivie de diplomates russes par plusieurs capitales occidentales. L’émotion étant toujours aussi vive, outre-Atlantique, autour du Russia gate, l’effet cumulatif suscité par ces nombreux dossiers a abouti aux bombardements punitifs anglo-franco-américains d’avril 2018 (3). Frappée par le CAATSA (4), Moscou souhaite pour autant ne pas endommager davantage ses relations avec Washington et, sur le dossier iranien, laisse les Européens monter en « première ligne » face à un président Trump qui semble plus que jamais déterminé à faire fléchir le régime des mollahs. Cette réserve russe était tout aussi palpable lorsque la Maison-Blanche a unilatéralement pris la décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël. À ce titre, la Russie reste parfaitement consciente que certains acteurs locaux tentent d’instrumentaliser les tensions russo-américaines afin de servir leur propre agenda. La Turquie et le Qatar ont, par exemple, affirmé leur intention d’acquérir du matériel militaire russe, dont des systèmes anti-aériens S-400, déclenchant l’ire de Washington. Toutefois, pour Ankara comme pour Doha, il s’agit surtout de se poser en négociateurs dans les différends respectifs qui les opposent aux Américains, en agitant le chiffon rouge « russe », même si les Turcs restent également dans une logique de constitution d’une base industrielle et technologique de défense (BITD). L’influence russe, on le voit, revêt ici un aspect principalement immatériel, par la « menace » qu’elle fait peser de voir Moscou nouer de nouveaux partenariats militaro-techniques avec des alliés de Washington.

Loin d’être un simple « miroir » dans le reflet duquel la Russie peut procéder à l’étalonnage de sa puissance, le Moyen-Orient renferme bien des intérêts qui ont un caractère vital pour elle : l’énergie et l’islam en font partie. La région abrite des pays figurant parmi les principaux producteurs mondiaux de pétrole (Arabie saoudite) et de gaz (Qatar), ce qui, compte tenu de l’importance que représente la manne fournie par l’exportation des hydrocarbures pour le budget fédéral russe (5) et du contexte de volatilité des prix du brut ces dernières années, a conduit Moscou à intensifier son dialogue avec eux. Par ailleurs, la péninsule arabique compte des acteurs disposant potentiellement de leviers religieux perçus en Russie, à tort ou à raison, comme puissants et susceptibles de semer le chaos au sein de la communauté musulmane de la Fédération, forte de 20 millions de personnes, ainsi qu’en Asie centrale. Cette perception s’adosse au passif qu’entretient Moscou avec Riyad (guerre d’Afghanistan, Tchétchénie), auquel est venu s’ajouter l’enrôlement de nombreux russophones dans les rangs djihadistes en Syrie et en Irak. Vu de Russie, le processus d’instauration de relations cordiales avec l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies du Golfe doit donc également contribuer à diminuer la menace potentielle que représente l’instrumentalisation du vecteur religieux par ces mêmes États ou par des intermédiaires, à l’endroit des musulmans russes. Enfin, dans le contexte de sanctions euro-atlantiques et de contre-sanctions russes, le Moyen-Orient constitue un débouché pour les exportations russes, ainsi qu’une source d’investissements potentiels, en raison de la présence de riches fonds souverains dans le golfe Persique. Bien que modeste par son volume – un peu plus de 38 milliards de dollars en 2017 –, le commerce entre la Russie et le Moyen-Orient a néanmoins franchi un seuil depuis 2014, en s’établissant au-dessus de la barre des 6 % dans l’ensemble du commerce extérieur russe, alors que depuis la fin des années 2000 et jusqu’à la crise ukrainienne, sa part était en déclin (6). À la croisée d’enjeux économiques, énergétiques et sécuritaires, le Moyen-Orient s’invite ainsi dans l’agenda domestique russe.

Le thème « Syrie » n’aura cependant guère été abordé lors de la campagne électorale – au demeurant assez indigente – qui a précédé le scrutin présidentiel du 18 mars, contrastant avec le battage médiatique ayant entouré le déclenchement de l’opération, fin septembre 2015, et les efforts de « transparence » déployés depuis par l’État-major russe en matière de communication. Si les sondages confirment qu’une majorité de Russes valide l’orientation de la politique étrangère du Kremlin (7), l’opinion publique exprime en revanche une forme de lassitude vis-à-vis de la guerre en Syrie, qui, pour l’instant, ne se transforme pas en rejet. Thème peu rentable politiquement – on est loin de « l’effet Crimée » de 2014, encore palpable en 2015, qui avait transcendé les catégories socio-professionnelles et les générations –, les opérations en Syrie auront été peu mises en avant par le Kremlin pour mobiliser les électeurs, le taux de participation ayant été, finalement, le véritable enjeu du scrutin (8). Une fois le nouveau gouvernement formé au mois de mai 2018, une série de réformes impopulaires a été annoncée, puis votée au mois de juillet. Dans ce contexte, l’étalage de la puissance de feu et du matériel militaire onéreux mobilisé en Syrie aurait été peu opportun. Engagé dans des réformes domestiques aussi coûteuses que nécessaires, le gouvernement russe aura besoin, au cours des prochains mois, d’un maximum de stabilité économique et de visibilité sur son budget. Rappelons que le budget fédéral pour 2017, 2018 et 2019 a été élaboré sur l’hypothèse assez pessimiste d’un baril à quarante dollars. Aussi la préservation de mécanismes de coordination de la production du pétrole avec les pays de l’OPEP devrait-elle figurer parmi les priorités de Moscou, en vue d’éviter un nouveau décrochage du prix du brut qui compliquerait la mise en œuvre des réformes. Le maintien et le développement de bonnes relations avec les pétromonarchies du Golfe – au premier rang desquelles, l’Arabie saoudite – occuperont, sans doute, une place de choix dans les objectifs poursuivis par la Russie au Moyen-Orient. De la bonne tenue de ces liens, non seulement dépendra le succès de la coopération énergétique forgée dans le cadre de l’accord OPEP+, mais entreront également en ligne de compte les modalités de règlement de la crise syrienne et la question de l’Iran, avec lequel Moscou entretient d’étroites relations.

Terminer la guerre, gagner la paix

La démonstration convaincante du pouvoir de coercition de la Russie en Syrie a eu tendance à induire une surestimation de sa puissance et de ses leviers d’influence. Dans les faits, la voilure du groupe expéditionnaire russe en Syrie doit répondre aux besoins exprimés par la présence de bases russes (service et protection de ces bases) et par le soutien apporté aux opérations menées par les forces loyalistes, dont l’intensité a cependant nettement diminué en 2017 et 2018 par rapport à 2015-2016. Si, dans les années 1980, la Syrie entière était une place d’armes soviétique, rappelons qu’aujourd’hui, seule la région côtière peut être, dans une certaine mesure, considérée comme une caserne russe. Encore la base de Hmeimim a-t-elle eu régulièrement à essuyer des attaques d’essaims de drones « artisanaux » lancées depuis la région voisine d’Idlib.

La surprise provoquée par l’intervention russe en Syrie, les matériels militaires employés et les succès engrangés depuis par les forces loyalistes ont conduit à l’évocation de la victoire militaire du régime grâce à l’aide de Moscou. Or, si le régime ne peut plus perdre la guerre, cette dernière n’est pour autant pas terminée. Quand le sera-t-elle ? Vladimir Poutine, qui a déjà annoncé à quatre reprises le retrait partiel du contingent russe, est-il en mesure de décréter seul la fin des combats ? Cela reste peu probable. Quelles sont, d’ailleurs, les conditions nécessaires à la fin des opérations militaires ? Le retrait américain ou celui, cher à Donald Trump et à Benjamin Netanyahou, des forces iraniennes, pourrait conclure le chapitre guerrier du conflit syrien. Demeurent, en outre, les incertitudes liées à la région d’Idlib, ce « terroristan » au nord de la Syrie où ont été acheminés, depuis plusieurs mois, des centaines de combattants opposés au régime, ainsi que leurs proches, dans le cadre d’accords passés par les Russes avec les groupes rebelles, qui ont permis au régime de reprendre le contrôle de plusieurs enclaves, ex-zones de désescalade, en 2017 et 2018. Le retour des réfugiés – à commencer par ceux se trouvant au Liban, en Turquie et en Jordanie (9) – constituerait peut-être un autre signal attestant de la fin des combats. Le rapatriement des réfugiés syriens – 890 000 au Liban, près de 3,5 millions en Turquie et 650 000 en Jordanie  – pourrait-il débuter, alors même qu’aucune solution politique n’a encore vu le jour ? C’est en tout cas le signal envoyé par Moscou, laquelle estime, à tort ou à raison, que le retour des réfugiés induirait une aide internationale financière qui faciliterait ou, du moins, sonnerait le début de la reconstruction du pays.

Force est en effet de le constater, après avoir remporté le volet militaire de la crise syrienne, Moscou peine aujourd’hui à percer le « plafond de verre » de son règlement diplomatique. Pourtant, la Russie est demeurée fidèle à son approche proactive du dossier en proposant, à l’automne 2017, un nouveau format de discussion, le Congrès des peuples de Syrie, qui s’est tenu à Sotchi fin janvier 2018. Le bilan contrasté de Sotchi illustre toute la difficulté des Russes à s’ériger en médiateurs légitimes aux yeux d’une opposition syrienne aussi divisée que laminée militairement et politiquement. Si ce congrès a abouti à la formation de comités censés œuvrer, à Genève, à la résolution du conflit, notamment par la conduite de travaux préparatoires en vue de la rédaction d’une nouvelle Constitution (10), il a été boudé par les États-Unis et les Européens, qui y ont vu une sournoiserie de plus du Kremlin. Grands absents de Sotchi, les Kurdes ont longtemps cherché leur salut dans leur alliance situationnelle avec les Américains. Toutefois, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump a affirmé à de multiples reprises qu’il souhaitait l’évacuation des forces américaines présentes en Syrie. Signe que cette « menace » est prise très au sérieux par les Kurdes, le Parti de l’union démocratique (PYD) (11) – l’aile politique des unités de protection du peuple (YPG) – a multiplié, depuis le début de l’année, les contacts directs avec Damas, à la grande satisfaction de Moscou.

Échaudée par le semi-échec de Sotchi, et face à un cycle diplomatique quelque peu ankylosé, la Russie a choisi d’explorer d’autres pistes. Lors de leur rencontre dans le cadre du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (mai 2018), les présidents Poutine et Macron ont décidé d’établir des mécanismes de consultation entre le forum d’Astana et le Small Group (12). Cette flexibilité politique des deux partenaires pourrait cependant se heurter à des difficultés : l’agenda d’Astana et celui du Small Group ont peu en commun (13), tandis que la présence de l’Iran dans l’un, et des États-Unis, dans l’autre, risque de constituer un défi majeur au bon fonctionnement des mécanismes de coopération voulus par le Kremlin et l’Élysée. Dans sa quête d’une solution politique négociée, la Russie est, par ailleurs, handicapée par ses ressources financières limitées. Moscou ne peut, en effet, « acheter la paix » en Syrie, comme Washington avait financé la paix israélo-égyptienne en 1979. Afin de compenser ce handicap, le Kremlin cherche à découpler la question de la résolution politique du conflit de celle de la reconstruction de la Syrie – dont le coût se situerait, selon l’ONU, entre 200 et 300 milliards de dollars (14) – et de l’aide économique internationale qu’elle devrait nécessiter. Il verrait bien des fonds affluer vers la Syrie avant même l’établissement d’une feuille de route politique, ce qui constitue un point de désaccord, notamment avec Paris (15). Des entreprises russes ont déjà commencé à « montrer l’exemple » en se lançant dans des chantiers d’envergure limitée, concernant principalement le secteur énergétique syrien (16). Moscou entend bien contribuer au « chantier syrien » à la hauteur de ses moyens, ne serait-ce que pour cristalliser davantage son influence dans le pays. Le ralliement des Kurdes favoriserait le retour des infrastructures énergétiques syriennes – principalement des champs pétrolifères – dans le giron de Damas. Leur remise en état, qui devrait selon toute vraisemblance être confiée à des entreprises russes, pourrait permettre de financer une partie de la reconstruction du pays. Toutefois, à ce jour, les sanctions internationales qui pèsent sur Damas rendent illégal tout commerce du pétrole syrien. La bataille diplomatique est donc loin d’être finie pour Moscou, qui ne peut ni ne souhaite assumer seule le fardeau de la reconstruction.

Qu’il s’agisse du congrès de Sotchi, des appels à débuter sans plus attendre le « chantier syrien », ou des ponts jetés vers Paris et ses partenaires du Small Group, Moscou a cherché en 2018 à donner un « coup de fouet » à un processus politique en panne. Néanmoins, compte tenu de l’équilibre des forces qui s’est établi sur le champ de bataille ainsi que du désintérêt persistant de Washington pour le dossier syrien, la future solution politique de la crise syrienne devrait avant tout refléter le rapport de force au sein du triangle Russie-Iran-Turquie.

Russie-Iran : partenaires mais pas alliés

Dans le regard géopolitique que la Russie porte sur le Moyen-Orient, l’Iran reste un acteur majeur. État charnière à la croisée de l’Asie mineure, de l’Asie centrale, du Moyen-Orient et du sous-continent indien, Téhéran nourrit des ambitions régionales que Moscou ne peut empêcher de s’exprimer, mais qu’elle a la capacité de moduler. Le règlement politique de la crise syrienne constitue donc un moment de vérité pour l’entente russo-iranienne. Vue de Moscou, la « libanisation » de la Syrie ne constitue pas une option ; aussi les Russes misent-ils davantage sur la consolidation militaire du régime syrien en faisant le pari que celui-ci, une fois renforcé, aura moins tendance à s’appuyer sur Téhéran. Cette approche convient à Israël, pays avec lequel Moscou entretient des liens étroits. Tel-Aviv, qui a intégré le fait que le régime syrien ne pouvait désormais plus perdre la guerre, préfèrerait revenir au gentlemen’s agreement qui a prévalu avec Damas pendant quatre décennies et garanti une relative stabilité à la frontière syro-israélienne. À cet égard, la décision prise par Donald Trump de retirer les États-Unis du JCPOA fournit des leviers essentiellement économiques au Kremlin qui, le moment venu, pourrait s’en servir pour infléchir une posture iranienne maximaliste sur le dossier syrien. Bien que le volume du commerce bilatéral soit modeste – environ 2,3 milliards de dollars par an en moyenne sur la période 2008-2017 – et en déclin (17), les investissements russes se révèleront précieux pour la République islamique dans le contexte du retour en force des sanctions américaines. En toute hypothèse, Moscou devrait mettre à profit la nouvelle donne post-JCPOA en Iran pour servir son propre agenda, au risque d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui, à Téhéran, prêtent à la Russie des intentions dissimulées, dont la volonté de « satelliser » l’Iran. Toutefois, à ce stade, la décision de Donald Trump a plutôt conforté les conservateurs radicaux, partisans d’une coopération plus soutenue avec Moscou, autant qu’elle a mis en porte-à-faux les conservateurs modérés et le président Hassan Rohani, qui avaient misé sur le JCPOA et entendaient capitaliser dessus économiquement et politiquement.

À l’occasion de ses rencontres régulières avec le président de Russie, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a cherché à obtenir que Moscou s’engage à faire le nécessaire pour « faciliter » un improbable retrait inconditionnel iranien de Syrie, une promesse que le Kremlin sait ne pas pouvoir tenir (18). Face à ces tractations, Téhéran prévient : si l’Iran quitte la Syrie aujourd’hui, demain, c’est à la Russie que l’on demandera de partir (19). Cet argument résonne à Moscou chez ceux qui sont convaincus que, si le Kremlin avait « lâché » Bachar el-Assad, comme Washington, de nombreux pays européens et des pétromonarchies sunnites le lui ont demandé à maintes reprises ces dernières années, on aurait ensuite exigé de la Russie qu’elle renonce à son entente avec Téhéran.

Aujourd’hui, le retour au statu quo ante n’est pas envisageable en Syrie, après sept années de guerre. Des organes administratifs ad hoc ont été formés dans des territoires reconquis, entre-temps, par le régime. En outre, la solution de la fédéralisation n’a jamais été probante dans le monde arabe, comme l’ont démontré les expériences tentées entre l’Irak et la Jordanie (1958) ou entre l’Égypte et la Syrie (1958-1961). La réinstauration d’un pouvoir centralisateur fort sera, en outre, difficilement acceptée par une société qui aspire à voir ses spécificités ethniques et confessionnelles reconnues (20). Cependant, dans quelle mesure la Turquie et l’Iran sont-ils prêts à accepter une décentralisation, même partielle, en Syrie ? Pour Moscou, la victoire militaire a un coût : gagner la paix.

1. Joint Comprehensive Plan of Action. Accord signé le 14 juillet 2015, à Vienne, par l’Union européenne, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Russie, la Chine et l’Iran.

2. Fin 2016, la Russie et les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) concluent l’accord dit « OPEP+ » en vertu duquel ils s’entendent sur des plafonds de production de brut afin d’enrayer la chute des prix du baril. Cet accord a été prolongé en 2017 et 2018.

3. Le 14 avril 2018, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis mènent des frappes en Syrie en représailles à une attaque chimique supposément perpétrée, quelques jours auparavant, par le régime syrien à Douma, dans la banlieue de Damas.

4. Countering America's Adversaries Through Sanctions Act. Il s’agit d’un nouveau train de sanctions adopté par Washington au mois d’août 2017 et qui frappe la Russie, l’Iran et la Corée du Nord.

5. En 2016, les ressources naturelles ont contribué à hauteur de 11,5 % du PIB de la Russie, tandis qu’elles représentaient près des trois-quarts des exportations du pays. Martin Russell, “Seven economic challenges for Russia. Breaking out of stagnation”, in-Depth Analysis, European Parliamentary Research Service, July 2018, p. 17.

6. La part du Moyen-Orient dans les échanges commerciaux de la Russie passe de 6,3 % en 2008 à 5,4 % en 2014. Depuis cette année – et dans un contexte d’atrophie du commerce extérieur russe –, elle n’est plus descendue en deçà de 6 %. Sources : calculs de l’auteur à partir de la base de données du Service fédéral des douanes russes.

7. Jeronim Perovic, « Le système Poutine », Analyses du CSS, n° 225, avril 2018, p. 1.

8. Vladimir Poutine est réélu dès le premier tour avec 76,69 % des suffrages et un taux de participation de 67,54 %.

9. Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

10. Un comité composé de cent cinquante personnes a été formé en vue de la rédaction d’un projet de Constitution.

11. La principale formation politique kurde en Syrie.

12. Créé fin 2017 à Washington, ce format regroupe à l’origine les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Jordanie et l’Arabie saoudite, auxquels l’Allemagne s’est ajoutée par la suite.

13. L’agenda du Small Group repose avant tout sur des convergences entre ses membres, dans la crise syrienne, sur l’humanitaire et le chimique. Le forum d’Astana reste avant tout un cadre technique où l’on discute de zones de désescalade et d’échanges de prisonniers. Voir Igor Delanoë, “Putin, Macron explore what they have to offer each other on Iran, Syria”, Al-Monitor, May 29, 2018.

14. « Rekonstrouktsia infrastrouktoury v Sirii oboïdiotsia v $200-300 mlrd – OON” [La reconstruction de la Syrie coûtera entre 200 et 300 milliards de dollars – ONU »), Argoumenty i fakty, 24 avril 2018.

15. « Moskva prizvala OON pomotch ekonomitcheskomou vosstanovleniou Sirii » [Moscou a appelé l’ONU à aider à la reconstruction de la Syrie], Interfax, 27 juillet 2018.

16. « Rossiïskie kompanii natchali gueologorazvedkou v Sirii » [Des compagnies russes ont commencé des travaux de prospection géologique en Syrie], RBK, 6 juillet 2018.
17. Si Russes et Iraniens échangeaient pour 3,4 milliards de dollars en 2008, ils ont vu, depuis, leur commerce décliner de manière quasi continue, et s’établir en 2017 à 1,7 milliard de dollars. Source : statistiques du Service fédéral des douanes russes.
18. La Russie a toutefois proposé d’instaurer une zone-tampon de 100 km en territoire syrien, jouxtant la frontière avec Israël, exempte de toute présence iranienne ou pro-iranienne. Cette proposition a été rejetée par les Israéliens. “We can't force Iran out of Syria, Russia tells Israelis”, Reuters, July 30, 2018.
19. Intervention d’Ali Akbar Velayati, conseiller spécial du Guide suprême Ali Khamenei pour la politique étrangère, Moscou, Club de Valdaï, juillet 2018.

20. Alexandre Aksenionok, « Perspektivy poslevoiennoï Sirii : konstitoutsia i gossoudarstvenno-polititcheskoïé oustroïstvo » [Perspectives pour la Syrie post-conflit : la Constitution et le fonctionnement politico-constitutionnel »], Conseil russe pour les affaires internationales, 27 juillet 2018.