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D) Régions

Sophie Hohmann Sophie Hohmann
1 novembre 2018

La Iakoutie : territoire, nationalités, temporalités des mobilités

La République de Sakha (Iakoutie) (1) couvre un espace immense (2), composé à 60 % de taïga et, pour le reste, de toundra, notamment au-delà du cercle polaire (3). La quasi-totalité du territoire repose sur du pergélisol. Cette république composante du district fédéral d’Extrême-Orient recèle des richesses majeures telles que le gisement de diamants de Mirny, où se côtoient Alrosa (Almaz Rossia Sakha) et des géants d’Afrique du Sud comme la compagnie De Beers. L’or, le charbon, le mica, l’étain, l’antimoine, le gaz naturel, l’uranium sont également des ressources très attractives qui modifient considérablement le rapport à l’environnement et aux populations, notamment autochtones, vivant essentiellement de la renniculture, de la chasse et de la pêche (4). 

La Iakoutie compte près d’un million d’habitants de cent vingt-neuf nationalités d’après le dernier recensement de 2010. Plus de 70 % de la population est urbaine. Les Iakoutes, la nationalité titulaire, représentent 55 % de la population. Les Évènes et les Evenks sont les plus nombreux parmi les petits peuples de la république (respectivement 15 071 et 21 008 au dernier recensement) et une sorte de compétition est palpable entre les Evènes et les autres peuples autochtones, les premiers vivant de renniculture et de pêche tout au nord, dans la zone arctique qui borde la mer des Laptev. Ces peuples subissent les conséquences de la faiblesse des infrastructures, comme dans la plupart des régions arctiques non urbanisées, des difficultés d’approvisionnement dans les régions reculées et difficilement accessibles du territoire iakoute. Traversée du sud au nord par la Lena, fleuve majestueux qui se jette dans l’Arctique à Tiksi (5), la Iakoutie est très dépendante de son fonctionnement et de celui des nombreux autres fleuves, permettant notamment le ravitaillement des stations diesel pour le chauffage. La navigation sur la Lena est très délicate, elle n’est possible que quelques mois par an, quand le fleuve est libre de glaces. Le projet de pont prévu pour relier Iakoutsk à Nijni-Bestiakh (qui permettrait de rejoindre le chemin de fer et la Magistrale Baïkal-Amour – BAM) a été ajourné, le budget nécessaire ayant été absorbé par la construction d’un pont beaucoup plus stratégique pour Moscou : celui reliant la Crimée à la Russie.

Les transformations sociales des peuples autochtones face à la modernisation, à l’attraction de conditions de vie plus favorables, se traduisent par des processus démographiques spécifiques à la Iakoutie. Par ailleurs, les migrations de travail ont un impact sur le paysage urbain et les pratiques, avec des flux non négligeables et historiques de migrants dans ces villes situées au nord du grand chantier soviétique du BAM. Une autre spécificité intéressante et relevant d’un tout autre registre fait de la Iakoutie, ancienne terre des mammouths, le pays d’élection des scientifiques internationaux, ce qui contribue grandement à fabriquer une image de marque (brandirovanié) de la république, alors qu’elle est engagée dans un processus de reconstruction identitaire.
La « Mecque » des paléontologues

Au musée d’archéologie et de paléontologie de Iakoutsk, un paléontologue, Sergueï, qui, formé à l’époque soviétique, passe son temps sur les côtes de la mer des Laptev depuis trois décennies, raconte la découverte en 2013 (6) (lors d’une expédition de la Société russe de géographie), sur l’île Maly Liakhovski, au large de Tiksi, d’un mammouth extrêmement bien conservé dans le permafrost, dont la mort a été estimée à environ quarante mille ans. Du sang liquide a pu être recueilli de sa momie dont les tissus, très bien préservés, ont permis aux scientifiques de réaliser des tests ADN. Un généticien sud-coréen, Insung Hwang, a développé l’idée originale et inattendue de cloner un mammouth sur une femelle éléphante (une convention a été signée avec Séoul). La paléontologie est extrêmement développée en Iakoutie, les scientifiques viennent des États-Unis, d’Angleterre, d’Asie, des plus grands instituts de paléontologie. Pareilles découvertes, uniques au monde, rendent forcément la Iakoutie fondamentale dans la recherche scientifique dure, d’où les nombreuses coopérations avec des scientifiques étrangers, y compris avec la France (universités de Versailles et de Sofia Antipolis). Le mammouth est devenu un véritable label national en Iakoutie, une sorte de mascotte, autour de laquelle la muséographie s’organise très activement, aux dépens de l’ethnographie nationale et des traditions locales.

Iakoutisation de la capitale

Iakoutsk est la plus grande ville de Russie construite entièrement sur du pergélisol. Elle a pour autre spécificité sa composition ethnique. Iakoutsk se « iakoutise » (7) depuis le début des années 2000 (plus de 45 % de Iakoutes pour près de 41 % de Russes) ; selon le micro-recensement de 2015, ces proportions sont respectivement de 47 % et 43 %. La population totale s’élève à 959 689 personnes en janvier 2016, dont 65,4 % en milieu urbain (figures 1 et 2).
La capitale, Iakoutsk, compte 303 836 habitants en janvier 2016. C’est un cas très particulier de ville russe qui a échappé à la dépopulation survenue dans le pays après 1991. Au dernier recensement soviétique de 1989, la ville comptait en effet 196 000 habitants ; au recensement de 2010 (8), 278 691 y étaient enregistrés. On assiste ici à un phénomène quasi unique en Russie postsoviétique de croissance de la population grâce, en très grande partie, à l’arrivée à Iakoutsk de nombreuses populations autochtones iakoutes, mais aussi de populations evenk, évène, ioukaïgir, et parmi elles, de femmes et d’enfants qui vont voir se transformer leur mode de vie au contact de la métropole. Les populations rejettent la campagne (surtout les jeunes générations), l’élevage, la pêche, au profit d’activités plus lucratives. De plus, la disparition des kolkhozes a contribué à l’organisation de nouveaux circuits de production qui posent de nombreux problèmes à des populations dont la mentalité et le fonctionnement sont très éloignés de ces nouvelles formes d’économie. L’attraction se fait aussi autour de la promotion de la langue nationale iakoute et d’une ascension axée sur les leviers sociaux, économiques et politiques représentés par les administrations, les instituts spécialisés, l’Académie de médecine, l’Université fédérale nord-orientale de Iakoutsk.

Le taux de fécondité est plus élevé chez les femmes iakoutes que chez les femmes russes. Selon la démographe Svetlana Soukniova, du centre de recherches en sociologie de Iakoutsk, le capital maternel, qui s’élève à 150 000 roubles (un peu moins de 2 000 euros) ne représente en réalité pas grand-chose. Néanmoins, il constitue un facteur attractif d’installation en ville et de possibilité d’acheter, par exemple, un logement à crédit. Svetlana Soukniova souligne que les structures familiales se caractérisent de plus en plus par un phénomène assez nouveau : les parents restent dans la taïga ou la toundra et envoient leurs enfants en ville, afin qu’ils puissent étudier. Les parents s’occupent des petits-enfants si leurs enfants sont déjà parents, ce qui est courant. Ce processus de modernisation contribue en partie à la iakoutisation de la ville, mais il faut souligner ici que les populations rurales, lorsqu’elles arrivent pour travailler en zone urbaine, se retrouvent face à un marché du travail étriqué. Elles n’ont pas, en outre, une formation suffisante, adaptée aux métiers du milieu urbain. L’alcoolisme fait des ravages dans ces franges de la population, et ce sont souvent des générations qui ont du mal à s’adapter à un nouveau contexte. En milieu rural, l’accès à la santé est devenu un problème crucial au cours des années 1990. Une initiative intitulée « Zemski Doktor » (médecin de campagne) a été mise en place en 2012, dans le cadre d’un programme fédéral, prévoyant des incitations financières pour l’installation de médecins âgés de 35 à 50 ans (un million de roubles par médecin) en milieu rural. Ce programme (9) a permis d’envoyer dans les hôpitaux et les centres de santé ruraux plus de trois cents praticiens, palliant en partie les carences du système de santé.

Un milieu urbain dynamique

En été, la température est très clémente et des marchés de gros et de détail sont ouverts en extérieur. Comme dans de nombreuses autres villes de Russie, ces marchés sont très ethnicisés. À Iakoutsk, les Ouzbeks, les Tadjiks et les Kirghizes sont répartis sur des marchés territorialement différenciés ; ils vendent tous des fruits et légumes, de la viande halal. Les conflits ethniques et régionaux d’Asie centrale laissent des traces, y compris dans l’éloignement. Les données recueillies montrent que la plupart des Ouzbeks présents à Iakoutsk sont des Ouzbeks du Kirghizstan. Les Kirghizes ethniques, eux, ont une diaspora, avec à sa tête Essen Saïdykoulov. Ce dernier incarne un pan des processus migratoires de l’époque soviétique. Danseur et champion de karaté et de boxe, formé au Kirghizstan dans les années 1970, il est invité par l’opéra-ballet de Iakoutsk en 1979. Il épouse une Iakoute et décide de rester, tout en revenant de temps en temps « au pays ». Un itinéraire original mais qui s’inscrit dans les logiques du système soviétique de grandes mobilités transversales et professionnelles (10). Soulignons que nombreux sont, d’après lui, les migrants kirghizes à acheter la citoyenneté russe pour être « tranquilles », alors qu’ils ne vivent pas là à l’année. Les Kirghizes enregistrés en 2013 seraient plus de cinq mille dans la République de Sakha ; 2 900 auraient été dénombrés à Iakoutsk en 2010. Ils deviennent ainsi la principale diaspora postsoviétique, avant les Arméniens, qui, jusqu’au recensement de 2010, occupaient la première place (figures 3 et 4). Les Arméniens sont présents dans la région dès l’époque impériale. Les mobilités atteindront une ampleur nettement plus importante avec les grands chantiers soviétiques, surtout celui du BAM. Selon le recensement de 2010, 3 700 Arméniens vivent en Iakoutie, dont 2 500 ont un passeport russe. On constate une régionalisation des migrations : les migrants arméniens de Iakoutsk sont essentiellement originaires de deux régions : autour de Gumri (région de Shirak, nord-ouest de l’Arménie) et de Dilidjan (région du Tavouch, nord-est de l’Arménie), qui apparaissent comme des territoires pourvoyeurs de main-d’œuvre, organisés autour de réseaux qui datent de l’époque soviétique et dans lesquels s’inscrit la réticularité actuelle. Les Arméniens occupent différentes niches professionnelles : ils dirigent notamment des hôpitaux, sont propriétaires d’hôtels et tiennent des marchés de gros, des garages, des marchés de matériaux de construction. On assiste ici, typiquement, à une pluri-ethnicisation des niches où les Arméniens constituent une sorte d’aristocratie économique et sont de véritables entrepreneurs qui emploient d’autres nationalités, notamment des Centrasiatiques, mais aussi des Assyriens dans la réparation automobile. Le chef de la diaspora arménienne à Iakoutsk, Antranik Navoian (président de l’Union des Arméniens), est lui-même né à Gumri en 1964. Arrivé à Iakoutsk en 1980, il fait son service militaire en Russie. Un peu plus tard, il développe son entreprise de bâtiment. La création de l’association arménienne de Iakoutsk date de 1988, et l’église arménienne Sourp Garabed a été consacrée en 2015 (11), un centre culturel attenant ouvrant ses portes au même moment. L’église a été financée par des investisseurs et hommes d’affaires arméniens locaux. Selon Svetlana Soukniova, ils seraient 30 000 en Iakoutie, dont 2 200 à Iakoutsk. Il est toutefois difficile de s’assurer de la réalité des chiffres et de leur catégorie (migrants saisonniers légaux, illégaux, citoyens russes, avec carte de séjour, permis de travail, etc.) Il y a de nombreuses communautés représentées par une diaspora : celles des Petits Peuples autochtones (ils sont environ 40 000 en Iakoutie), des Ukrainiens, des Biélorusses, des Lituaniens, des Kirghizes, des Tadjiks… Néanmoins, la fin de l’URSS a entraîné d’importantes transformations dans la république : les Biélorusses, ainsi que les Ukrainiens, sont partis massivement à cette époque, désertant un parc immobilier qui a attiré de nombreuses populations issues des campagnes. Celles-ci ont fait l’acquisition de logements, ce qui était aisé à ce moment-là, les appartements se vendant à très bas prix. Depuis 2014, avec la guerre dans le Donbass, les Ukrainiens sont nombreux à affluer pour travailler, essentiellement dans l’extraction. Les mêmes dynamiques ont été observées au cours de différentes études de terrain dans d’autres villes industrielles arctiques (péninsule de Kola et Norilsk en 2015 et 2016).
C’est au cours des années 1990 que la ville commence à attirer les populations rurales, au moment même où elle s’appauvrit considérablement, confrontée à de nombreux défis, dont le ravitaillement. Avec les débuts de la privatisation, le nombre de PME augmente considérablement : plus de 5 000 sont ainsi comptabilisées en 2010. Elles contribuent à hauteur de 6,6 % au PIB régional et emploient 40 % de la main-d’œuvre locale. 80 % d’entre elles sont concentrés dans quatre villes industrielles (Iakoutsk, Nerioungri, Mirny et Lensk). Dans les années 1990, l’entreprise publique diamantifère Alrosa ne dépendait pas de Moscou, elle participait au budget de la Iakoutie, ce qui permettait au système local et au marché du travail de se pérenniser. La situation est devenue socialement très difficile au début des années 2000, Alrosa (12) dépendant du budget fédéral depuis 2001 et ne contribuant plus du tout au budget de la république. Avec la phase de recentralisation, Moscou est désormais seule propriétaire des sols, des productions minières iakoutes et des ressources. La question du rapport Centre/périphérie est d’une importance majeure, surtout depuis 2014. Les régions réclament plus d’autonomie en raison de la crise économique et il faut souligner que la Iakoutie a enregistré le plus faible taux de soutien à Vladimir Poutine à l’élection de mars 2018.

Diamond forever ?

À Mirny, ville mono-industrielle située à 1 000 km à l’ouest de Iakoutsk, les dynamiques démographiques sont très différentes. La population de 34 800 habitants est largement dominée par les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens, attirés par les salaires plus élevés dans les années 1960. Au recensement de 2010, ils représentent 24 000 habitants sur 37 188 au total pour la ville (figure 5). Seuls 3 600 Iakoutes y vivent : ils n’ont guère été formés à ce genre d’emploi. Globalement, les minorités sibériennes manquent cruellement de cadres.
Mirny et sa région sont entièrement dédiées à l’extraction diamantifère, dominée par Alrosa. La production de diamant en Iakoutie représente plus de 90 % de la production russe et 12 % de la production mondiale. Alrosa emploie 40 000 personnes, ce qui constitue l'essentiel de la main-d’œuvre de la ville et de ses alentours ; elle couvre socialement tous ses employés, reprenant en quelque sorte le modèle soviétique. Elle est représentée dans neuf pays du monde et dix régions de Russie. Alrosa est très présente dans le développement de la ville, les questions d’accès aux soins, de retraite (fonds de pension « Automne »), protection sociale, sport, culture, bourses pour les étudiants qui se destinent à une carrière en son sein dans différentes villes de Russie, système de répartition (raspredelenié) comme à l’époque soviétique. Alrosa a été dirigée par le président de la République de Sakha, le Iakoute Mikhaïl Nikolaïev, remplacé par le Russe Viatcheslav Chtyrov en 2001 (qui sera président de Sakha de 2002 à 2010, date à laquelle Egor Borissov lui succède à la tête de la république). Depuis 2017, Alrosa est présidée par Sergueï Ivanov, le fils de l’ancien ministre de la Défense et conseiller de Vladimir Poutine, ce qui, d’après les entretiens réalisés sur place, contrarie les projets locaux, notamment de protection de l’environnement.

Les migrations en rotation (vakhta) se sont développées dans le domaine de l’extraction du diamant après la fermeture, en 2001, de la principale mine de diamant, Zarnitsa (sur le modèle de la mine de Kimberley en Afrique du Sud (13). De petites villes comme Aïkhal (13 727 habitants) et Oudatchny (12 613 habitants), toutes deux dans la région de Mirny, sont devenues très stratégiques pour les migrants, dont certains travaillent dans les niches commerciales de la vente de fruits et légumes, de viande, de vêtements, ou dans la vente au détail. Les transformations socioculturelles et nationales des villes sont visibles à travers la place du religieux, qui investit peu à peu l’espace public, des mosquées de diverses capacités ouvrant leurs portes et attestant de la croissance de la présence musulmane. La mosquée de Iakoutsk (14) avait été construite dans un style architectural tataro-bachkir, cette communauté étant très importante en Iakoutie depuis le XVIIIe siècle. Elle a dû être considérablement agrandie. La mosquée actuelle, qui a rouvert ses portes en 2012, s’inspire plutôt du style moyen-oriental ; le grand mufti de Iakoutie est ingouche, ancien officier de l’armée soviétique durant le conflit soviéto-afghan. Les tapis viennent de Turquie, les pierres du Daghestan. Il y aurait 120 000 musulmans en Iakoutie, représentant trente nationalités différentes. D’autres mosquées ont été construites récemment, à Mirny, Nijni-Bestiakh et Aïkhal ; auparavant les fidèles priaient dans des salles en contreplaqué, ce qui est encore le cas à Nerioungri (15) (deuxième ville en termes d’importance démographique après Iakoutsk), où il y aurait 25 % de musulmans, selon Svetlana Soukniova (environ 15 000 sur 61 747 habitants). Ce processus de construction de mosquées montre bien l’importance des nouveaux flux migratoires issus des Suds postsoviétiques. Quelques cas de conversion ont été observés, mais il est difficile de prendre l’exacte mesure du phénomène.

Ainsi les mobilités en Iakoutie, comme dans l’ensemble de la Russie, témoignent-elles de trajectoires et de stratégies spécifiques à chaque région. Les politiques de développement économique mises en œuvre par les autorités à l’époque soviétique et postsoviétique rencontrent des logiques propres à chaque nationalité, aux systèmes d’autorité et d’organisation familiale locaux. La réticularité des migrations permet de mieux comprendre les dynamiques socioéconomiques et politiques, ainsi que la fabrique sociale des identités postsoviétiques.

Conclusion

Les questions environnementales sont actuellement au cœur des grandes réflexions internationales, et les Iakoutes sont sensibles à la préservation de la nature qu’ils identifient à tout un panthéon de croyances paganistes. L’harmonie de l’homme et de la nature est avancée dans les tentatives d’engager un dialogue autour des stratégies de développement des régions arctiques et subarctiques pour les trente ans à venir. Les bonnes intentions se heurtent, comme dans d’autres régions très riches en énergies fossiles (district de Iamalo-Nénétsie, péninsule de Kola, Taïmyr...), à l’exploitation des ressources du sous-sol iakoute par les grands consortiums russes et multinationaux. Leur expansion sur le territoire iakoute interroge les autorités mais aussi les populations sur la modernisation des modes de vie traditionnels des peuples autochtones. De quelle manière les normes agissent-elles comme des catalyseurs de prise de décision sur les modes de vie et sur leur avenir, ce qu’ils « devraient » devenir selon les normes internationales de « bien-être » ? Anatoli est evenk. Juriste, détenteur de la chaire de droit arctique créée en 2010 (16), il creuse ces questions afin de trouver les moyens légaux de peser sur les entreprises désireuses de se lancer dans des activités extractives, des forages, etc. Des avancées importantes ont été effectuées, telle la mise en place d’une procédure d’« expertise ethnographique », imaginée par Anatoli en 2011. Cette stratégie sera d’ailleurs reprise par Vladimir Poutine en décembre 2016, qui y verra une orientation concrète de la politique environnementale russe. Cette question de la préservation des modes de vie et de l’environnement, cruciale pour les peuples autochtones, rencontre une autre réalité : celle consistant à abandonner les économies traditionnelles – renni-culture, pêche, chasse – pour tenter l’aventure de la modernité en ville, ou accepter de travailler pour des firmes d’extraction, avec, à la clef, la promesse d’une vie meilleure.

1. C’est en mars 1992 que la Iakoutie a été renommée République de Sakha, une nouvelle Constitution a été promulguée le 27 avril 1992. Mikhaïl Nikolaïev a été élu président de Sakha deux fois, en décembre 1991 puis en décembre 1996.

2.  Il s’agit de l’unité fédérale la plus étendue de Russie avec 3 millions de km2.

3.  Il y a deux coefficients de nordicité en Iakoutie (1,7 et 2 vers Tiksi), ce qui témoigne de son éloignement du centre, conjuguée à sa localisation géographique en zone arctique et subarctique où les hivers sont polaires.

4.  Le secteur agricole (renniculture, pisciculture, pêche, chasse, production de grains et de légumineux) emploie environ 8 % de la main d’œuvre en 2015 et contribue seulement à 2,3 % du Produit brut régional en 2014.

5.  Tiksi est une ancienne base militaire et une ville à circulation restreinte ; elle s’est dépeuplée en raison de la disparition du complexe militaro-industriel, mais elle est l’objet d’une certaine curiosité pour les croisières sur la Lena et représente une halte touristique. Elle est située sur la Route du Nord et les navires commerciaux ne s’y arrêtent plus. Aujourd’hui, le trafic sur cette route peut compter sur quatre mois d’autonomie entre Petropavlosk-Kamtchatski et Hambourg, mais six mois sont visés avec les deux nouveaux brise-glaces russes bientôt achevés. Le petit port de Dikson sur le delta de l’Ienisseï est, lui, encore utilisé en raison de son emplacement stratégique vers le port clef de Doudinka (notons, par ailleurs, qu’à Dikson, le charbon est de qualité, mais il n’y a pas de réhabilitation des ports à l’est de Doudinka).

6.  Pour plus de détails, voir : http://www.maxisciences.com/mammouth-laineux/un-mammouth-laineux-decouvert-avec-son-sang-dans-la-glace-de-siberie_art29680.html 




7. À la différence de Iakoutsk, il n’y a pas de phénomène de iakoutisation à Nerioungri ou à Lensk (24 996 habitants), ce sont des villes dominées par l’extraction, niche économique essentiellement investie par les nationalités russe et européennes (Ukrainiens, Biélorusses). 

8.  Selon le recensement russe de 2010, 50 % de Iakoutes, 37 % de Russes ethniques, 2,2 % d’Evenks, 1,6 % d’Évènes. 9.  Ces politiques de médecine rurale existent dans d’autres régions de Russie (régions de Moscou, de Kaliningrad,  de Smolensk, d’Irkoutsk, de Tomsk, de Volgograd, du Primorié) et tendent à se développer ; une loi fédérale (n° 326) encadre la réalisation de ce programme. 



10.  Un autre exemple mérite d’être mentionné : Ali Agli Mamedov, d’origine azérie, est arrivé en Iakoutie en 1974, selon le régime de la répartition, pour travailler à l’usine de ciment (Iakouttsement) de Mokhsogollokh au sud de Iakoutsk. Il y travaille huit mois avant d’aller faire son service militaire à Tiksi, dans un bataillon de construction (stroïbat). Il travaille ensuite dans la prospection pétrolière, à Bestiakh, pour être finalement rappelé par le directeur de l’usine de ciment à un moment où les cadres manquent sérieusement. Il est à présent à la tête de cette immense usine. 11.  Le représentant spécial du président Poutine pour la coopération dans l'Arctique et l'Antarctique, Arthur Tchilingarov (d’origine arménienne), est venu en personne, alors que le président de la Iakoutie, Egor Borissov, était absent. 



12.  En 1992, le système de santé publique a bénéficié du soutien d’Alrosa, mais la compagnie dépend désormais du budget fédéral, ce qui a entraîné une baisse des aides financières sur place. Alrosa adhère au Processus de Kimberley en avril 2000, afin de réguler et de réglementer la certification des diamants. Alrosa cesse de vendre des diamants à la compagnie sud-africaine De Beers en 2008 (les deux compagnies avaient signé une première série d’accords en 1997). L’industrie emploie 28 % de la main-d’œuvre de la république en 2015 et contribue à 57 % du GRP.

13.  Vers la fin des années 1930, un chercheur russe, Vladimir Sobolev, publia un article dans lequel il démontrait les similarités géologiques étonnantes entre l’Afrique du Sud et la Sibérie. C’est après la Seconde Guerre mondiale, en 1949, que le premier diamant brut fut trouvé. En 1954, le gisement de Zarnitsa, premier gisement primaire de diamants en Union soviétique était découvert à Mirny par deux femmes géologues russes. La mine à ciel ouvert de Mirny ouvre en 1959, la mine fermera en 2001 en raison de la dangerosité de la profondeur, les parois s’écroulent et il y a désormais de l’eau au fond, au demeurant pompée par une station installée au-dessus de la mine et recrachée au loin. Entretiens avec la directrice russe et une guide iakoute du Musée de géologie de Mirny en juillet 2017. Pour plus de détails, consulter le site officiel d’Alrosa : http://eng.alrosa.ru/.

14.  La première mosquée devait être construite à Iakoutsk en 1914, mais la guerre et la révolution ont retardé le projet.

15.  Nerioungri a été créée autour de la plus grande mine à ciel ouvert de la République de Sakha.