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A) Politique étrangère & défense

Sergueï Markedonov
11 novembre 2017

Russie – Moldavie : nouvel alignement des astres ?

La république de Moldavie ne compte pas parmi les acteurs internationaux de premier plan. Cependant, il convient de ne pas en sous-estimer l’importance.



La Moldavie se trouve à la limite de l’espace postsoviétique et de l’Union européenne (UE) ; son territoire, situé entre la Roumanie et l’Ukraine, a maintes fois, au cours du dernier quart de siècle, été le lieu de la concurrence et de la coopération entre l’Occident et la Russie. L’apparition même d’une entité étatique moldave postsoviétique rimait avec conflit transnistrien et ne pouvait être sans incidence sur la politique russe en ex-URSS, ainsi que sur les relations entre la Fédération et l’UE (de même que les États-Unis, dans une moindre mesure). La crise ukrainienne de ces dernières années a conféré au conflit de Transnistrie une acuité supplémentaire (l’entité sécessionniste a quelque quatre cents kilomètres de frontière commune avec l’Ukraine), surtout dans le contexte des relations actuelles entre Moscou et Kiev.

La Moldavie est un partenaire stratégique de l’UE (elle a été le premier pays de la Communauté des États indépendants – CEI –, dont les ressortissants ont été exemptés de visas pour voyager dans les États de l’Union). Par ailleurs, elle entretient des liens politiques, historiques et culturels particuliers avec la Roumanie. Dmitri Fourman et Cristina Batog relèvent fort justement que « de tous les principaux peuples des républiques soviétiques devenues postsoviétiques, les Moldaves ont le sentiment national le plus flou et le plus contradictoire, et l’on peut se demander, aujourd’hui encore, s’ils sont une partie du peuple roumain divisé ou un ethnos moldave particulier… D’où une concurrence de deux projets étatiques et nationaux : « moldaviste » et « unioniste » (ou « roumaniste ») (1). Une situation que l’on ne saurait imaginer dans d’autres pays postsoviétiques confrontés au défi de la sécession, qu’il s’agisse de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan ou de l’Ukraine.

En même temps, Chisinau se déclare officiellement neutre et, à la différence de Tbilissi ou de Kiev, n’insiste pas trop sur ses relations avec l’OTAN. Cela s’explique en grande partie par la présence d’un important et solide électorat de gauche, qui veut garder des liens avec la Russie, ainsi que par des problèmes avec l’autonomie gagaouze, dont la population exprime démonstrativement son attachement à l’intégration eurasiatique.
Tout cela n’a d’ailleurs pas empêché la Moldavie de refuser le projet de fédéralisation comme moyen de régler la question de la Transnistrie, proposé par Moscou en 2003 (« Plan Kozak »). Elle a également mis en doute le rôle primordial de la Russie dans la recherche d’une solution au conflit. Notons qu’à ce moment-là, il n’y avait pas, à la tête de la république, une coalition de partisans d’un rapprochement avec l’Union européenne, mais des communistes conduits par Vladimir Voronine et venus au pouvoir sous la bannière d’un rapprochement avec Moscou et l’Union Russie-Biélorussie.

Nouveaux présidents à Chisinau et Tiraspol : une chance pour la paix ?

Le 13 novembre 2016, le second tour de l’élection présidentielle moldave apporte la victoire au leader du Parti des socialistes, Igor Dodon. Ce dernier devient le troisième chef de l’État, après Mircea Snegur et Piotr Loutchinski, élu au suffrage universel direct. Restauré après une interruption de vingt ans, ce mode de scrutin (au lieu de l’élection par les députés du Parlement) est la conséquence d’une ample crise politique dans le pays. La fonction de chef de l’État en acquiert d’autant plus de légitimité. Igor Dodon se présente à l’élection avec pour programme une amélioration des relations avec la Russie et un règlement pacifique, au plus vite, du conflit de Transnistrie.

Aujourd’hui, pour Moscou, Chisinau et Tiraspol, les conditions sont réunies d’une nouvelle impulsion au processus de paix. Mais quelles sont les chances de succès ? Et quelles mauvaises surprises les parties en présence peuvent-elles attendre dans leur tentative de sortir de l’impasse ?

Peu après l’entrée en fonction du leader des socialistes moldaves, on assiste également à un renouvellement du pouvoir en Transnistrie. Vadim Krasnosselski, jusqu’alors président du Parlement de la république non reconnue, devient chef de l’État. Pendant la « trêve des confiseurs » du Nouvel An, une rencontre a lieu entre les dirigeants de la Moldavie et de la Transnistrie, la première depuis décembre 2008 ! Peu après, Igor Dodon se rend à Moscou où il engage des pourparlers avec Vladimir Poutine. C’est le premier voyage à l’étranger du responsable moldave depuis qu’il a pris la tête du pays. Mais ce premier pas ne signifie pas automatiquement le succès. Il importe aujourd’hui, pour éviter des espoirs exagérés, de prendre en compte les difficultés existantes.

Les facteurs de risque

Il convient de noter tout d’abord que, dans le système moldave, les attributions du président sont limitées. Le gouvernement et le parlement concentrent des pouvoirs considérables. Or, à l’heure actuelle, le Parti des socialistes n’en a pas le contrôle. Une série de figures politiques (dont le « deuxième prix » de la récente compétition électorale, Maia Sandu) accusent même le nouveau chef de l’État de vouloir légitimer la Transnistrie et de se livrer à des actes anticonstitutionnels. Et il y a peu de chances que la pression exercée sur lui se relâche dans un avenir proche (2).

La position de Tiraspol n’a pas moins d’importance. Le cheval de bataille de la campagne électorale de Vadim Krasnosselski était de renforcer la coopération avec la Russie. Outre les erreurs commises par l’administration sortante dans sa politique socioéconomique, Krasnosselski soulignait l’insuffisante efficacité du travail accompli par l’équipe présidentielle d’Evgueni Chevtchouk avec le Kremlin.

Il y a, toutefois, un revers à cette médaille. En l’occurrence, il s’agit de l’attitude contradictoire de la Russie. Moscou considère la Transnistrie prorusse comme un avant-poste pour ses intérêts, un contrepoids aux visées des États-Unis et de l’Union européenne, un instrument permettant d’endiguer un rapprochement de la Moldavie et de l’OTAN et de préserver la neutralité de Chisinau. D’où le refus de multiplier les scénarios abkhaze-ossète et criméen du côté de la Transnistrie, et les tentatives d’engager le dialogue avec la Moldavie, en dépit des difficultés existantes.
La brusque détérioration des relations entre Moscou et Kiev, en 2014, a sérieusement dégradé la situation en Transnistrie dans les domaines de la logistique et des transports, de la politique et de l’économie. Le Kremlin redoute un « dégel » du conflit, y compris une éventuelle confrontation militaire et une altération du processus de négociations. Dans ce nouveau contexte, la Russie suggère de conserver une marge de manœuvre, elle fait dépendre son action des avancées possibles de ses partenaires dans les pourparlers et lie son rapport à la Transnistrie à la position de Chisinau. Là encore, Moscou, Chisinau et Tiraspol ont à faire face à un dilemme complexe. Les espoirs des « citoyens non reconnus » sont tournés vers la Russie : les Transnistriens attendent une amélioration de leur situation socioéconomique par une intégration plus forte à la Fédération de Russie. Moscou, cependant, ne se hâte guère de modifier sa position sur le problème de la reconnaissance de la Transnistrie, et la Moldavie souhaite diversifier sa politique étrangère, sans pour autant renoncer à intégrer les rives gauche et droite du Dniestr dans un même pays. En outre, l’absence d’une vision unique de la situation au sein de l’élite politique moldave ne favorise en rien la recherche d’une solution pacifique.

Dans ce contexte, une intensification des négociations paraît justifiée. Néanmoins, accélérer le règlement du conflit sans résoudre, au préalable, nombre de problèmes statutaires et informels, est un risque pour l’avenir politique non seulement d’Igor Dodon et de Vadim Krasnosselski, mais aussi des diplomates russes qui œuvrent à démêler le nœud transnistrien. On peut penser que, dans la situation actuelle, la règle à suivre sera de « se hâter lentement » et que l’on ne verra vraisemblablement pas, dans un avenir proche, de décisions forcées du côté moldave. L’absence de percées, toutefois, ne signifie pas que les parties en présence ne mobiliseront pas les ressources dont elles disposent pour faire basculer les problèmes les plus aigus du côté du pragmatisme.

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1. Dmitri Fourman, Cristina Batog, « Moldova : moldavanie ili roumyny ? (vliïanie ossobennosteï natsionalnogo sozaniïa moldavan na polititcheskoïe razvitie Respoubliki Moldova) » [Moldavie : Moldaves ou Roumains ? (l’influence des particularités de la conscience nationale des Moldaves sur l’évolution politique de la république de Moldavie)], Sovremennaïa Evropa, n° 3, 2007, p. 40.

2. http://esp.md/podrobnosti/2017/01/08/poezdku-igorya-dodona-v-bendery-osuzhdayut-i-obsuzhdayut