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D) Régions

Vassili Abachkine
1 novembre 2017

Les clusters en Russie

LES CLUSTERS EN RUSSIE (1)

Ces derniers temps, le nombre et la qualité des clusters ont pris une expansion visible en Russie. Avant l’adoption d’une politique de clusters au niveau fédéral, à la fin de la décennie 2000, seules quelques régions avaient fait part de leur intention de contribuer au développement de ceux qui existaient sur leur territoire et dont peu marchaient vraiment. La situation, en outre, a radicalement changé au cours des dernières années. On compte au minimum, aujourd’hui, une initiative « cluster » dans la moitié des régions. La Carte des clusters de Russie indique, au début de 2017, qu’il en fonctionne plus de cent dans la Fédération, rassemblant plus de trois mille organisations et infrastructures qui emploient 1,3 million de personnes. Ce sont précisément le nombre de ces initiatives et leur poids dans l’économie des régions qui ont entraîné l’apparition de programmes fédéraux de soutien.

Les clusters se développent en Russie sur le modèle européen, présupposant le repérage et le soutien de concentrations d’entreprises, ainsi que de structures de recherche et de formation localisées, travaillant à la réalisation de projets communs et s’identifiant comme des initiatives « clusters ». Leur direction est assurée par des organismes spécialisés et leurs perspectives de développement sont définies par des documents programmatiques et stratégiques idoines.

Les principes de base de la politique fédérale dans ce domaine ont été établis en 2008 dans le Concept de développement socioéconomique de la Russie jusqu’en 2020. Y figure une des grandes conditions de la modernisation de l’économie et de la réalisation du potentiel concurrentiel des régions : la mise en place de clusters axés sur la production de technologies de pointe dans les secteurs prioritaires, ainsi que sur la transformation des matières premières et la production d’énergie à l’aide des technologies les plus modernes. Adoptée en 2011, la Stratégie d’innovation de la Fédération de Russie jusqu’en 2020 met également l’accent sur la nécessité de soutenir les clusters. Un document prévoit notamment d’apporter un soutien aux clusters innovants et aux centres de développement des clusters.

Les subsides accordés aux régions pour créer et soutenir les centres d’innovation proviennent, depuis 2010, du ministère du Développement économique. Le budget du programme pour la période 2010-2016 était de 1,063 milliard de roubles (environ 15 millions d’euros) et il en a résulté la création de trente-quatre centres dans trente-trois « sujets » de la Fédération. Leur activité consiste à soutenir les initiatives « clusters » par des actions de conseil et des services organisationnels à de petites et moyennes entreprises engagées dans ce type de structures. Ces centres favorisent aussi le lancement de modestes projets pilotes de coopération, démontrant les avantages du format « cluster ».

En 2012, le ministère du Développement économique était à l’origine du plus vaste programme – à ce jour, en Russie – de soutien aux initiatives « clusters ». Au terme d’un concours auquel avaient pris part quatre-vingt-quatorze projets, vingt-cinq étaient retenus, obtenant le label « clusters pilotes ». Dans les années suivantes, la liste en était élargie à vingt-sept. Les chiffres de 2014 indiquent que mille neuf cents organisations entrent dans ces projets pilotes, employant plus de cinq cent quatre-vingt mille personnes. Le revenu de ces clusters innovants représente quelque 1 647,6 millions de roubles (26,8 millions d’euros), dont une partie provenant de l’exportation de leur production : plus de 390,7 millions de roubles (6,4 millions d’euros).

Dans les années 2013-2015, les « sujets » de la Fédération abritant des clusters pilotes se voyaient attribuer des subsides par le budget fédéral, pour un volume global de plus de cinq milliards de roubles (environ 75 millions d’euros). Le développement de ces projets innovants a permis d’augmenter les investissements dans les régions où ils sont basés. Chaque rouble investi par le budget dans les divers programmes de développement des clusters a entraîné 3,5 roubles d’investissements hors-budget, un volume qui, sur trois ans, a dépassé les 360 milliards de roubles (soit plus de 5 milliards d’euros).

Le programme du ministère du Dévelop-pement économique est passé à la vitesse supérieure en 2016, avec la sélection des participants à son projet prioritaire : « Développement de clusters innovants, leaders par leur attractivité pour les investisseurs au niveau mondial ». Au terme de l’expertise de vingt-deux dossiers, onze clusters étaient inclus parmi les leaders.

Actuellement, à la suite du ministère du Développement économique, d’autres ministères ont augmenté leurs efforts pour repérer et soutenir des clusters de divers types. Ainsi, en 2016, le ministère du Commerce et de l’industrie élaborait les règles permettant de fournir des subsides pris sur le budget fédéral pour cofinancer des projets de clusters industriels. Cette même année, le ministère incluait dix-sept clusters industriels et sélectionnait cinq projets communs à leurs participants, dont la réalisation bénéficierait du soutien fédéral (clusters industriels et projets communs peuvent être pris en compte par le ministère hors concours, au fur et à mesure que les dossiers arrivent pour examen). Le volume des subsides prévus par le ministère du Commerce et de l’industrie est, rien que pour ces projets, de l’ordre de 976 millions de roubles (quelque 15 millions d’euros) pour la période allant jusqu’en 2019.

Au total, depuis 2008 et l’application active de la politique de clusters, deux cent soixante-dix-sept initiatives ont vu le jour. Une partie a déjà disparu (170), d’autres existent depuis au moins 2008 (61), beaucoup sont nées entre 2013 et 2015 (46).

Où sont les clusters ?

La création des clusters a un lien évident avec la densité historique de la population du pays. La plupart se forment dans la principale zone de peuplement et d’exploitation économique du territoire. C’est ainsi que 78 % sont concentrés dans les districts fédéraux situés dans la partie européenne du territoire (représentant près d’un quart de la superficie et 80 % de la population). Il est notable que pour les « sujets » de la Fédération s’étendant entièrement ou partiellement dans les districts du Grand Nord ou sur des territoires équivalents (près des deux tiers de la superficie du pays et 10 % de la population), on ne trouve que 21 % des clusters.

Soulignons que ces initiatives ont pour caractéristique, en Russie, d’apparaître principalement dans les secteurs de haute technologie. La Carte des clusters place dans le top-5 des domaines clefs de spécialisation de ces structures la production de machines et d’équipements, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les produits pharmaceutiques, la microélectronique, les nouveaux matériaux.

Les clusters de Russie se distinguent par le pourcentage scientifique et technique, d’une part, et de production, d’autre part, de leur activité. Ainsi, parmi les clusters-pilotes, on distinguera trois modèles :

– les territoires d’« ancrage » des industries de technologies de pointe, la « high-tech post-soviétique » (clusters des républiques du Bachkortostan, de Mordovie, du Tatarstan, des territoires de Krasnoïarsk et de Khabarovsk, des régions d’Arkhangelsk, de Kemerovo, de Nijni-Novgorod, de Samara, de Sverdlovsk et d’Oulianovsk) ;

– les grands centres de recherche et d’enseignement (clusters des villes de Dimitrovgrad, Dolgoproudny, Koltsovo, Obninsk, Pouchtchino, Sarov, Troïtsk, Tomsk) ;

– les régions de concentration de PME innovantes (clusters du territoire de l’Altaï, des villes de Saint-Pétersbourg et Doubna) (2).

Les clusters russes regroupent en moyenne vingt-neuf entités et, de ce point de vue, accusent un retard considérable sur les indicateurs mondiaux qui, selon Greenbook 2.0., s’élèveraient à quatre-vingts (3). L’expérience internationale et celle de la Russie montrent, il est vrai, que ce petit nombre est la marque des clusters relativement récents. Il va de soi qu’au fur et à mesure de son développement, un cluster verra le nombre de ses participants augmenter jusqu’à des grandeurs comparables à celles de ses équivalents étrangers œuvrant dans des domaines proches, s’il veut être compétitif à l’échelle mondiale.

Malgré leur jeunesse relative et l’absence d’une longue tradition de mesures politiques (si l’on compare à l’Allemagne ou à la France), les clusters de Russie sont en nombre conséquent et parfaitement compétitifs. Leur diversité, la dynamique de leur formation et de leur évolution confirment la vitalité de ce modèle de développement des territoires. On peut être presque certain qu’en 2020, les clusters-leaders de Russie seront aussi des relais de croissance importants pour l’économie mondiale.

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1. Cet article est fondé sur les documents suivants : 

E. Kutsenko, E. Islankina, V. Abashkin, The evolution of cluster initiatives in Russia: the impacts of policy, life-time, proximity and innovative environment // Foresight. 2017. Vol.19 № 2, pp. 87-120 ;

V. Abachkine, S. Artemov, E. Zaourova, E. Islankina, E. Koutsenko, D. Tsoukanov, Documents méthodologiques pour la création de clusters industriels, sous la direction d’A. Besprozvannykh, L. Gokhberg, V. Osmakov, ministère du Commerce et de l’Industrie, Institut d’études statistiques et d’économie du savoir, Haut-Collège d’économie (Moscou), 2017 ;

Rossiïskaïa klasternaïa observatoria [L’Observatoire russe des clusters], http://cluster.hse.ru/ (dernière consultation, 29 décembre 2016) ;

Karta klasterov Rossii [Carte des clusters de Russie], http://map.cluster.hse.ru/ (dernière consultation, 29 décembre 2016).

2. I. Bortnik, L. Gokhberg, A. Klepatch, P. Roudnik, O. Fomitchev, A. Chadrine, Klasternaïa politika : kontsentratsia potentsiala dlia dostijenia globalnoï konkourentospossobnosti [La politique des clusters : concentration du potentiel de compétitivité au niveau mondial], Corvus, Sankt-Peterbourg, 2015.

3. G. Lindqvist, C. Ketels, Ö Sölvell, The Cluster Initiative Greenbook 2.0., Ivory Tower Publishers, Stockholm, 2013.