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D) Régions

Rostislav Tourovski Rostislav Tourovski
1 novembre 2017

Bilan des élections du 18 septembre 2016 dans les régions

Les élections du 18 septembre 2016 n’ont pas provoqué de grands bouleversements dans les régions de Russie. Elles ont toutefois fait la preuve de certaines évolutions tant dans l’ensemble du système que dans la géographie politique du pays. La campagne en elle-même a été plus ample que lors des deux cycles électoraux précédents, le retour du scrutin uninominal ayant augmenté automatiquement le nombre de campagnes de deux cent vingt-cinq. Si l’élection des gouverneurs était faite d’avance dans la plupart des régions et s’il était rarement proposé de la combiner avec la campagne pour l’élection à la Douma (des élections de gouverneur directes n’ont eu lieu que dans sept « sujets » de la Fédération), le nombre de campagnes parallèles pour l’élection des assemblées législatives régionales a été imposant (trente-neuf régions), comme en 2011. En outre, le processus électoral a été « alourdi » par la multitude des campagnes municipales. Le correctif apporté au système électoral et la nécessité de surmonter « l’échec » relatif du scrutin 2011 ont prédéterminé les modifications de la stratégie préélectorale du Kremlin et de Russie unie.

Les changements affectant l’ensemble du système, survenus au cours des élections du 18 septembre, se résument en premier lieu à un accroissement de la loyauté de l’électorat vis-à-vis du pouvoir et, simultanément, à une baisse de la participation. Ces deux processus parallèles correspondaient à la stratégie du Kremlin, qui ne se fixait pas pour but d’augmenter le second : il y avait en effet un risque de vote protestataire. Ces deux processus correspondaient aussi à des tendances objectives de l’opinion, apparues après le rattachement de la Crimée. Le résultat, toutefois, est que le bilan des élections semble contradictoire. Ainsi, les principaux bénéficiaires du scrutin sont incontestablement, dans l’ensemble et dans la plupart des régions, Russie unie et le Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR), qui ont gagné en pourcentages, mais perdu en chiffres absolus. Des formations telles que le parti communiste, Russie juste et Iabloko ont, elles, perdu à la fois en pourcentages et en chiffres absolus.

La question de la participation

Le taux de participation est, comme aux élections des années passées, une clef importante pour comprendre les résultats du scrutin. De ce point de vue, celui-ci s’est largement distingué des précédents. L’augmentation de la participation en chiffres absolus n’a été manifeste que dans trois régions (celles de Kemerovo et Tioumen, ainsi que Touva). Le vieux modèle de mobilisation massive des électeurs, débouchant sur un soutien accru à Russie unie, n’a fonctionné que dans la région de Kemerovo, avec son indéboulonnable et très populaire leader, Aman Touleïev. À l’inverse, dans la région de Tioumen, l’augmentation de la participation s’est accompagnée de meilleurs résultats de l’opposition intra-système. Cela explique que la stratégie de mobilisation n’ait été utilisée que rarement dans les régions, au profit, finalement, de Russie unie.

Les régions caractérisées par un taux élevé de participation (et, simultanément, par un haut degré de loyauté) ont pris, cette fois, un relief encore plus important sur le tableau d’ensemble. La participation n’a excédé les 80 % que dans dix « sujets » de la Fédération, dans deux seulement elle s’est située entre 70 et 80 %, et dans cinq autres entre 60 et 70 %. Ajoutons que dans la liste des dix régions les plus « actives », on ne trouve quasiment que des républiques, essentiellement du Caucase du Nord (en même temps que Touva et la Mordovie qui, d’ordinaire, ont des résultats similaires). Parmi les régions, figurent dans ce groupe celles de Kemerovo et de Tioumen, déjà évoquées, où la stratégie électorale des autorités s’est nettement distinguée de celle caractéristique de l’écrasante majorité des « sujets ».

Inversement, une faible participation a caractérisé, en règle générale, les régions où les courants protestataires sont plus développés. Ce qui confirme une tendance : dans les régions à haut degré de mécontentement politique, la protestation peut se manifester sous forme de vote en faveur des partis de l’opposition, mais aussi d’abstention. Le problème de l’opposition dans un contexte de grande loyauté de la société devient la difficulté de mobiliser des partisans potentiels, qui, sur fond de méfiance croissante envers l’opposition existante, préfèrent ne pas voter du tout. En conséquence, la participation la plus faible a été enregistrée dans les capitales, Saint-Pétersbourg en tête. Elles ont été rejointes par le cercle habituel des régions du Nord et de l’Est, où la participation est, d’ordinaire, inférieure à la moyenne. Ces groupes incluent des régions clefs d’Extrême-Orient (territoires du Primorié et de Khabarovsk, Sakhaline), de Sibérie (territoire de Krasnoïarsk, régions de Novossibirsk, d’Irkoutsk et de Tomsk), la région d’Arkhangelsk au Nord de la Russie européenne. Un facteur supplémentaire non-négligeable a été la présence au pouvoir de représentants du parti communiste (le gouverneur de la région d’Irkoutsk et le maire de Novossibirsk), qui ne voulaient ni ne pouvaient utiliser les technologies de mobilisation dans l’intérêt de Russie unie.

En chiffres absolus, la pire chute de la participation, qui, en l’occurrence, a influé sur les résultats de l’ensemble du pays, a été le fait de trois régions des capitales (Moscou, la région de Moscou, Saint-Pétersbourg), ainsi que le territoire de Krasnodar et les régions de Nijni-Novgorod, Tcheliabinsk et Novossibirsk. En outre, la chute de la participation dans les plus grandes villes a conduit à une baisse des résultats des partis d’opposition, tant dans les régions concernées qu’à l’échelle du pays. L’appartenance à un parti, mais aussi le remplacement des leaders régionaux à la veille du scrutin ont eu une influence considérable sur les électeurs. Dans une série de cas, les nouveaux gouverneurs n’ont pas misé sur une mobilisation massive, à l’instar de leurs prédécesseurs, ce que confirme l’exemple de la république des Komis, du territoire de Krasnodar, des régions de Toula et de Tcheliabinsk.

Malgré la tendance à la baisse de la participation, qui avait des raisons d’être objectives et était liée à la stratégie du Kremlin, la géographie électorale elle-même n’a pas connu de changements qualitatifs. En témoignent les corrélations évidentes entre le vote pour la plupart des partis, au niveau territorial, et celui des précédentes campagnes. De ce point de vue, la carte électorale actuelle du Parti communiste se dessine en même temps que l’apparition de Russie unie et se reproduit depuis le scrutin de 2003. Néanmoins, on ne peut qualifier le vote en faveur des communistes de stable dès cette époque, il y a toujours des régions où ce parti échoue. Plus généralement, le soutien qui lui est apporté dans les régions est fluctuant, réfutant le cliché de la présence d’un noyau dur communiste dans l’électorat. Sur ce plan, la géographie du LDPR et de Iabloko se distingue par une stabilité nettement plus grande, remontant au milieu des années 1990. Le LDPR conserve un préjugé favorable, devenu habituel, dans les régions du Nord, de Sibérie et d’Extrême-Orient, tandis que Iabloko gravite généralement du côté des deux capitales.

Les problèmes les plus sérieux de stabilité du soutien électoral ont concerné, en 2016, comme il fallait s’y attendre, Russie juste. Ce parti était parvenu, en 2011, à récupérer une part considérable des voix de Russie unie, mais il a été « victime », cette fois, de la tendance inverse et, manifestement, un nombre très important de ses anciens partisans ne s’est tout bonnement pas présenté dans les bureaux de vote, tandis que d’autres optaient pour Russie unie. Cela a suscité de nouvelles oscillations dans le degré de soutien apporté à Russie juste d’une région à l’autre ; à l’échelle du pays, les résultats témoignent de l’absence, pour ce parti, d’un noyau électoral sûr.

La géographie du soutien à Russie unie est stable, au contraire, et se reproduit au plus haut degré de scrutin en scrutin. Cela s’explique en partie par la présence d’un petit groupe de régions qui votent massivement pour cette formation. Toutefois, comme dans le cas de la participation, les résultats extrêmes sont nettement et obstinément localisés. Ainsi, Russie unie n’a obtenu plus de 60 % des voix que dans dix-sept « sujets » de la Fédération (dont plus de 70 % dans onze régions). La république de Tchétchénie a été, cette fois, l’unique région à voter pour le « parti du pouvoir » à plus de 90 %. Aussi, lorsqu’on évoque les républiques nationales, il convient de se rappeler que, dans certaines d’entre elles, la concurrence a été plus forte et que les résultats de Russie unie ont généralement été un peu inférieurs. Le Bachkortostan, notamment, a quitté le groupe des républiques accordant un nombre de voix extrêmement élevé à ce parti. En revanche, la Crimée (mais non Sébastopol, dont la situation politique est plus conflictuelle) compte à présent parmi les « sujets » les plus loyaux. Du côté des régions, outre celle de Kemerovo, trois des quatre entrant dans le groupe territorial de Russie unie conduit par Viatcheslav Volodine – celles de Saratov, Penza et Tambov (ralliées par la région de Briansk) – se sont distinguées. La grande région productrice de gaz, le district autonome de Iamalo-Nénétsie, a maintenu son haut niveau de soutien au « parti du pouvoir » (les choses sont plus compliquées dans la principale région pétrolière, le district autonome des Khantys-Mansis, qui se caractérise par un degré légèrement plus élevé de tendances protestataires).

On constate donc que le soutien à Russie unie a été le plus fort dans les républiques nationales et les régions principalement productrices de matières premières. S’y sont rattachées – mais, dans la plupart des cas, ce n’était pas du tout la première fois – certaines régions conservatrices du Sud où une campagne active et bien organisée à été un stimulant supplémentaire. La grande loyauté de la Crimée, récemment entrée dans la composition de la Fédération, constitue un exemple à part.

Le renforcement des positions électorales de Russie unie a été le plus manifeste pour la Russie centrale et la région de la Volga, reflétant une tendance déjà ancienne, liée au passage progressif de l’électorat conservateur de la province profonde du parti communiste, dominant dans les années 1990, au « parti du pouvoir ». On trouve ainsi, parmi les régions présentant la meilleure dynamique en faveur de Russie unie, celles de Lipetsk, Volgograd, Briansk et Riazan, qui se situaient naguère dans la « ceinture rouge ». Parallèlement, on note une augmentation de la loyauté dans une série de grandes villes et de territoires urbanisés, ce qu’ont montré les résultats du scrutin dans les régions de Moscou, Leningrad, Samara et Nijni-Novgorod. On relève également des divergences croissantes entre les mégapoles elles-mêmes et leurs environs proches, qui expriment plus de sympathie envers le « parti du pouvoir ». Cette dynamique positive est liée, de façon décisive, à l’efficacité de l’action des dirigeants régionaux, rappel supplémentaire de l’importance des facteurs conjoncturels dans le vote pour Russie unie, qui créent sur le territoire certains chevauchements. À l’inverse, la situation économique des régions et sa dynamique préélectorale n’ont guère influencé le vote en faveur du « parti du pouvoir ». Pour l’électorat de la périphérie, la consolidation patriotique, démultipliée par l’efficacité des responsables locaux, a joué le rôle le plus important dans le soutien à Russie unie.

Qu’en est-il du vote protestataire?

De nombreuses régions de l’Est et du Nord-Ouest demeurent, en revanche, problématiques pour le « parti du pouvoir ». Nulle part celui-ci n’a subi de revers manifeste, le plus mauvais résultat (dans l’Altaï) a été de près de 35 % ; il y a pire, compte tenu du fait que la couverture géographique s’est réduite dans le vote en faveur de Russie unie, par rapport à 2011. Ajoutons que les problèmes de ce parti dans les territoires principalement industriels de l’Oural, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient restent assez aigus. De ce point de vue, les grandes régions de Sibérie occidentale (les régions d’Omsk, de Novossibirsk, le territoire de l’Altaï), la région d’Irkoutsk, la Transbaïkalie, les territoires de Khabarovsk et du Primorié, pour ne citer qu’eux, penchent clairement du mauvais côté en ce qui concerne Russie unie. Dans les régions de culture industrielle, la population est plus sensible aux phénomènes de crise, et dans celles géographiquement éloignées des centres, l’impression d’abandon et de vulnérabilité s’accroît. Cette tendance négative est apparue dans l’une des régions clefs de l’Oural industriel : celle de Tcheliabinsk.

Nombre de régions septentrionales de la partie européenne du pays forment une autre zone hautement protestataire. Elles penchaient, un temps, pour Russie juste, mais aux dernières élections elles ont opté pour une plus grande diversité de partis d’opposition, tandis que Russie unie continuait de ne pas faire – et de loin – le plein des voix. À la différence des régions méridionales, Russie unie n’est pas parvenue ici à obtenir ne fût-ce que le soutien de la périphérie rurale.

Enfin, les deux capitales, dont la population est plus politisée et plus tournée vers l’opposition, continuent de créer des problèmes à Russie unie. Pourtant, dans un contexte de faible participation, l’électorat s’y est détourné de l’opposition. La « ghettoïsation » des capitales s’est renforcée : les territoires adjacents ont fait montre d’une plus grande loyauté envers le « parti du pouvoir ». On peut donc considérer que les résultats de Moscou et Saint-Pétersbourg étaient les meilleurs possibles. Néanmoins, la chute du vote en faveur de Russie unie à Moscou a été l’une des plus remarquables du pays, tant en chiffres absolus qu’en pourcentages.

Par ailleurs, si le parti a conservé un haut degré de fidélité dans les républiques nationales, il y a malgré tout perdu une part de soutien, ce qui a été particulièrement net – en chiffres – pour le Bachkortostan. Dans une série de cas, cette baisse du soutien à Russie unie est une conséquence du remplacement des gouverneurs, comme dans la république des Komis ou les régions de Toula et Tcheliabinsk. Cependant, on a aussi vu des cas de dégradation des résultats alors que le gouverneur était là depuis longtemps, autrement dit dans un contexte de stabilité politique (par exemple, dans la région d’Astrakhan). La conjoncture électorale a pu également jouer contre Russie unie dans des régions où le parti, visant à instaurer des relations avec l’opposition intra-système, a renoncé à présenter des candidats au scrutin uninominal (comme l’ont montré les régions d’Omsk et de l’Amour, ainsi que les territoires de Transbaïkalie et de Khabarovsk).

Le vote en faveur de l’opposition s’est fait plus fragmenté, focalisé. Dans aucune région, aucun parti d’opposition n’a pu obtenir plus de 30 % des voix, et les résultats supérieurs à 20 % n’ont pas été si fréquents. On peut considérer comme grande « ceinture » d’opposition, qui s’est assez clairement exprimée par son vote en faveur du LDPR, les régions orientales et septentrionales du pays. Ce parti a obtenu ses meilleurs résultats (au niveau de 25-30 %) dans la région de l’Amour ainsi que dans les territoires de Khabarovsk et de Transbaïkalie. Sur les quatorze territoires où le LDPR est parvenu à mobiliser plus de 20 % de l’électorat, les mieux représentés sont sans doute l’Extrême-Orient et, partiellement, la Sibérie et le Nord-Ouest. La région d’Orenbourg constitue une exception : le parti y avait mené une campagne très active. La progression la plus importante en pourcentages concerne également le Nord-Ouest : la république des Komis où, après l’arrestation de Viatcheslav Gaïzer et la nomination d’un nouveau responsable, le spectre électoral est redevenu plus caractéristique de cette région du Nord et le LDPR a retrouvé sa position. Toutefois, en chiffres absolus, le parti n’a augmenté le nombre de ses soutiens que dans vingt-sept régions et n’a attiré de « nouvelles » voix qu’au Bachkortostan où le vote n’est plus « tenu » comme avant.

Les communistes, cependant, ont ressenti plus vivement encore l’absence d’un noyau dur d’électeurs. Ils dépendent de plus en plus de l’action de leurs organisations et leaders régionaux, y compris les candidats qui réussissent le mieux dans les scrutins uninominaux. La tendance à la baisse se poursuit dans de nombreuses régions de la « ceinture rouge », dont Orel, patrie de Guennadi Ziouganov. Simultanément, les communistes ont perdu une part de leurs soutiens dans une série de régions urbanisées qui, auparavant, leur faisaient bon accueil, notamment dans celles de Nijni-Novgorod et de Moscou. C’est pourquoi, dans les villes comme dans les campagnes, le parti communiste a enregistré des pertes visibles, surtout en Russie centrale et dans la région de la Volga où, à l’inverse, le « parti du pouvoir » a renforcé ses positions.

Dans ces conditions, les positions les plus sûres du parti communiste sont à chercher du côté de la Sibérie : des régions telles que celles d’Omsk, Irkoutsk, Novossibirsk, de même que la Khakassie et la Bouriatie ont été parmi les plus favorables. Par ailleurs, les efforts déployés par les dirigeants locaux étaient parfaitement susceptibles de produire d’excellents résultats dans certaines régions de la Volga et de la Russie centrale, comme l’ont montré les élections dans la république des Maris ou dans les régions d’Oulianovsk et de Kostroma. Rappelons que dans les régions d’Irkoutsk et d’Oulianovsk, ainsi que dans la république des Maris, les candidats communistes des listes uninominales l’ont même emporté sur les candidats de Russie unie.

Cependant, en chiffres absolus, le nombre des partisans du parti communiste n’augmente pas dans ces régions. Bien plus, les élections ont révélé une baisse manifeste des soutiens de ce parti à Novossibirsk, même si les résultats restent très élevés. En d’autres termes, l’arrivée au pouvoir du parti communiste dans certaines régions a des effets divers : elle peut, entre autres, susciter la déception des électeurs, qui n’apprécient pas l’action des communistes, et avoir un impact négatif sur la vision du parti tout entier. L’accroissement du nombre des partisans communistes était lié presque exclusivement à l’affaiblissement des ressources administratives dans les républiques, ce qui a permis, par exemple, d’améliorer les résultats au Bachkortostan et de l’emporter, tant au scrutin par liste qu’au scrutin uninominal, dans la république des Maris.

Au demeurant, la chute la plus nette a été pour Russie juste. Faute d’un noyau dur d’électeurs motivés, le soutien à ce parti, dans les régions, a été encore plus déterminé par l’action des leaders sur le terrain. Aussi les quelques résultats un peu significatifs (plus de 10-15 %) ont-ils leurs « héros », généralement des personnalités politiques locales, députés à la Douma. Cette personnalisation de la campagne a caractérisé les trois régions où le parti a remporté plus de 15 % des voix : la région d’Astrakhan (Oleg Cheïne), celle de Tcheliabinsk (Valeri Gartoung) et la Iakoutie (Fedot Toumoussov). Les chiffres n’ont augmenté vraiment pour ce parti que dans la région de Tioumen, ce qui a permis d’y faire élire un député à la Douma au scrutin de liste.

L’une des grandes déceptions pour Russie juste a été sa nette baisse de popularité au Nord-Ouest du pays, seule macro-région où, jusqu’à présent, une base solide et unie de soutien à ce parti se formait. Cette tendance a été renforcée par le ralliement d’Oksana Dimitrieva au « Parti de la croissance », d’où des pertes électorales extrêmement significatives à Saint-Pétersbourg.

Les problèmes de mobilisation des partisans dans les grandes villes ont également influé sur les résultats des partis libéraux. Bien que ceux-ci conservent un soutien important dans les capitales (Iabloko à Moscou, PARNAS à Saint-Pétersbourg, où ils ont obtenu leurs meilleurs scores), la participation a été trop faible. Iabloko a donc manqué de voix dans la capitale pour retrouver ses 3 % sur l’ensemble du pays. Le vote des capitales ou de certaines grandes villes où l’enseignement supérieur est très développé, ou encore de régions où Iabloko était représenté par des hommes politiques locaux qui s’étaient révélés ces dernières années (Carélie, région de Pskov), manquait malgré tout d’ampleur (dans trois régions seulement, la barre des 5 % a été franchie) et ne suffisait pas pour assurer un résultat probant à l’échelle du pays.

L’impact du scrutin uninominal

Le retour du scrutin uninominal a apporté aux élections à la Douma un supplément de suspense. Il est notable que la concurrence dans ce type de vote en circonscription a dépassé celle du scrutin national de liste. Les candidats de Russie unie et du parti communiste ont obtenu, en moyenne, un peu moins de voix que leurs partis (nettement moins dans le cas des candidats du LDPR), alors que ceux de Russie juste et, ponctuellement, ceux d’une série de petits partis, ont attiré plus de soutiens que les partis eux-mêmes à l’échelon national. Cet écart s’explique par les personnalités très diverses des candidats et par les luttes entre les élites locales qui soutenaient des candidats différents. Cependant, par trois fois, les communistes sont parvenus à l’emporter sur les candidats de Russie unie, talonnée, dans quelques autres cas, par les candidats des partis de l’opposition intra-système. Cela étant, la plupart des victoires de candidats représentant l’opposition à l’intérieur du système et des petits partis loyaux (cela vaut pour toutes les victoires de Russie juste et du LDPR), ont été remportées dans des circonscriptions où Russie unie leur avait cédé la place.

Les élections régionales parallèles ont eu un impact divers sur la campagne. Il y avait peu d’élections de gouverneurs et elles ont plutôt favorisé la mobilisation de l’électorat loyal, dans un contexte de faible opposition anti-gouverneurs (ou en son absence totale). Il n’est pas étonnant que dans quatre régions, les hommes déjà en poste aient obtenu plus de 70 % des voix. Les victoires des gouverneurs de Transbaïkalie et de la région d’Oulianovsk, avec près de 54 % des voix, ne sont pas très convaincantes : elles reflètent un niveau élevé de concurrence électorale sur le terrain, dans ces « sujets » de la Fédération où l’opposition est forte et nette.

À l’inverse, les multiples élections aux assemblées législatives régionales ont favorisé l’augmentation de la concurrence. Elles se sont déroulées dans des conditions de lutte tendue au sein des élites, et l’impact de la popularité des gouverneurs, inférieure à celle dont jouit le chef de l’État, a été sensible. En fin de compte, bien que ces scrutins se soient déroulés le même jour, les résultats de Russie unie aux élections dans les assemblées régionales n’ont généralement pas été aussi bons que ceux du scrutin fédéral. En revanche, le LDPR et le parti communiste y ont plutôt fait bonne figure, le premier se retrouvant même plus souvent à la deuxième place et récupérant bon nombre de votes protestataires. Russie juste s’est montrée tout aussi faible à l’échelon régional qu’à l’échelon fédéral. Ajoutons que les élections régionales n’ont pas élargi la liste des partis disposant de représentants dans les doumas locales ; Iabloko, Patriotes de Russie, Rodina, le Parti de la croissance (héritière de Juste Cause) et le Parti des retraités ont confirmé, les autres petits partis devront encore se battre pour obtenir ce statut aux élections régionales à venir. Il faut dire que le scrutin fédéral n’a aucunement démontré la solidité de leurs positions.

Les élections du 18 septembre 2016 ont donc, dans l’ensemble, renforcé les fractures de l’espace électoral en Russie, ce qui transparaît particulièrement dans le vote des républiques nationales, des capitales, des régions sibériennes et extrême-orientales, ainsi que dans la tendance des régions centrales et méridionales – de même que de leurs zones rurales – à aller vers plus de loyauté vis-à-vis du pouvoir. Les divergences entre les régions se sont réduites, mais elles restent très fortes quant au degré de participation électorale. Il en ressort que le ratio du soutien apporté aux partis ne manquera pas de varier encore, mais les changements les plus importants ne pourront qu’être liés à des modifications brutales dans le sort des principaux partis ou à l’apparition hypothétique – avec l’assentiment du Kremlin – de nouveaux acteurs puissants.