Mais de cette séquence conciliaire a émergé le besoin de réinvestir la notion même de primauté au sein de l’orthodoxie. La question ukrainienne devenait alors centrale dans la définition et la promotion des droits canoniques et historiques du Patriarcat œcuménique de présider à la destinée et à la naissance d’une nouvelle Église locale. Outre la dimension proprement politique de la division des orthodoxes d’Ukraine, il s’agissait avant tout pour le patriarche œcuménique Bartholomée d’être la personnalité par laquelle l’unité du monde orthodoxe ukrainien devait intervenir. Le concile (sobor) d’unification qui s’est tenu à Kiev en décembre 2018 était une étape cruciale dans l’octroi du statut d’autocéphalie. Force est de constater que malgré les interventions appuyées de l’État, une petite poignée de hiérarques du Patriarcat de Moscou a assisté à la rencontre. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le bras droit du patriarche Philarète, le métropolite Épiphane, soit finalement élu primat de cette nouvelle Église, laissant aussi craindre l’apparition d’une forme de nationalisme ukrainien. C’est du moins ce que décrit tout particulièrement le Patriarcat de Moscou. En revanche, comme le fait remarquer Stéphane Siohan, « dans les mois ou les années qui suivront, la séparation de l’Ukraine du monde spirituel russe pourrait être une des plus grandes avancées pour l’indépendance du pays » (3).
La question de l’autocéphalie en Ukraine fait naître de nombreuses interrogations non seulement sur l’avenir de l’orthodoxie dans le pays et la survie ou non d’une juridiction ecclésiale dépendant du Patriarcat de Moscou ; mais elle sert aussi de catalyseur à un phénomène sans doute plus profond et identifié par Jean-François Colosimo comme « le divorce déjà entamé entre [le patriarche] Cyrille et Poutine. » (4) Les incertitudes nées à la suite de l’élection présidentielle de mars-avril 2019 en Ukraine, qui a porté Volodymyr Zelensky aux plus hautes fonctions de l’État, devront être prises en compte avec attention.
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1. “Orthodox Christianity in the 21st Century”, Pew Research Center, November 8, 2017, p. 22.
2. Jean-François Colosimo, La crise orthodoxe (2) Les convulsions, du XIXe siècle à nos jours, Fondation pour l’innovation politique, décembre 2018, p. 29.
3. Stéphane Siohan, « L’Ukraine à la recherche du berceau national », in Olivier Da Lage, L’essor des nationalismes religieux, Demopolis, Paris, 2018, p. 341.
4. Jean-François Colosimo, op. cit., p. 30.