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B) Politique intérieure & société

Simon Kordonski
1 novembre 2019

Les ordres de la société russe contemporaine

On entendra ici par structure sociale l’ensemble des groupes de la société et leurs rapports mutuels.

La population se divise sociologiquement en groupes selon différents critères : sexe, âge, niveau d’instruction, appartenance ethnique et raciale, « facteurs » artificiels, liens statistiques. On peut toutefois considérer comme des groupes sociaux (autrement dit des groupes qui fonctionnent comme un tout dans les processus sociaux) les unions d’individus au sein desquelles la définition extérieure des membres (nom, appellation) coïncide avec leur auto-définition (leur identité).

Les groupes sociaux se répartissent entre ceux apparus naturellement et ceux créés par l’État. Entrent dans les premiers les classes (groupes de niveau de consommation), nations politiques, fraternités, collectivités territoriales, entre autres. Il s’agit bien de groupes sociaux dans la mesure où leur nom correspond à l’identité de leurs membres. Ainsi, les gens qui se définissent comme appartenant à la classe moyenne fondent-ils l’existence du groupe social « classe moyenne ».
Les groupes seront ici qualifiés d’« ordres », ceux-ci se caractérisant par leur statut juridique, leur système légal, mis en place par l’État qui promulgue les lois en conséquence.

Le tableau ci-dessus propose une classification des groupes sociaux selon leur origine et l’identité commune à leurs membres. Nous n’envisagerons ici que les ordres au sein desquels peut exister (ou non) une autodéfinition de tous les membres du groupe.  

Les ordres de l’Empire de Russie sont, à l’origine, une création étatique, mais deviennent ensuite – avant la fin du XIXe siècle – « naturels ». Ils englobent des nobles, des paysans, des membres du clergé, des marchands, des habitants des voïskos (1), des cosaques, des citoyens d’honneur, des raznotchintsy (2) et, jusqu’au début du XXe siècle, ils conservent à peu près leur identité.

Les principaux ordres de l’URSS comprennent des groupes sociaux – formés par l’État – d’ouvriers, de paysans et d’employés, que la terminologie officielle qualifie de « classes ». À compter de la moitié du XXe siècle, les membres de ces ordres développent une identité si forte que de nombreux citoyens de la Russie actuelle continuent à se considérer comme ouvriers, paysans et employés, bien que l’État socialiste n’existe plus.  

La structure des ordres aujourd’hui en Russie

La structure des ordres de la Russie contemporaine est tissée des rapports entre les serviteurs de l’État et ceux qui servent la population.

Au nombre des premiers, on trouve les serviteurs civils de l’État, les militaires, les forces de l’ordre, les juges, les députés, les employés municipaux, les cosaques (pour ceux d’entre eux qui sont au service de l’État). Leur fonction consiste à neutraliser diverses menaces et à assurer une protection. L’éventail de ces ordres dépend des menaces que l’État définit comme telles : les militaires doivent neutraliser les menaces extérieures, les forces de l’ordre celles de l’intérieur, les serviteurs civils ont vocation à neutraliser les menaces liées au non-respect de la justice sociale, et ainsi de suite.  

Les membres de ce premier ordre servent l’État et garantissent aux représentants des autres ordres la possibilité d’assurer leur propre service. Ils touchent pour ce service et cette garantie un traitement, une allocation, des primes et divers paiements compensatoires. Ils ont droit, en outre, à une rente administrative, autrement dit à des revenus particuliers en raison de leurs liens avec le pouvoir.

Il existe, par ailleurs, dans la Russie actuelle nombre d’ordres du second type hérités de l’URSS : employés de l’État non-fonctionnaires, retraités, condamnés aux droits limités, auxquels s’ajoutent de nouveaux ordres caractéristiques de la Russie postsoviétique : employés, commerçants, entrepreneurs.

Les condamnés aux droits limités forment un groupe social à part. Il y a aussi un nombre conséquent de personnes qui ont perdu – ou n’ont jamais eu – leur rattachement formel à un ordre précis. Cela concerne au premier chef les migrants, puis toutes sortes de sans domicile fixe et d’individus en situation anormale.

Les représentants de ces ordres servent les serviteurs de l’État dans leur œuvre de neutralisation des menaces. Leurs sources de revenus sont les suivantes : pensions (pour les retraités), salaires et rentes de statut (3) (employés non-fonctionnaires de l’État), revenus liés au marché, bénéfices (entrepreneurs et commerçants), subventions, allocations, bourses (personnes non autonomes), quotes-parts, rations, compléments, rentes liées au statut criminel (4) (marginaux et groupes criminalisés). Prenons pour hypothèse que la base des relations reliant les ordres actuels de Russie en une structure sociale postsoviétique est un service et une garantie mutuels, en échange desquels leurs membres ont des revenus : traitements, primes, salaires, pensions, allocations…

Le type de revenu sera envisagé plus loin, comme indicateur à la fois de l’appartenance à tel ou tel ordre, et de l’ordre que tel ou tel individu sert ou garantit. L’employé qui effectue pour l’État un service civil (un médecin, par exemple, à l’hôpital du Kremlin) se distingue radicalement de celui qui sert les forces de l’ordre – le médecin d’un établissement de la Direction principale d’exécution des peines ou celui qui, payé par l’État, travaille dans un hôpital en zone rurale. Le type de revenu (traitement, salaire, pension et autre), combiné à sa source (pour quel service ce revenu est versé), détermine le statut social de l’individu. C’est là une différence fondamentale entre la société russe, fondée sur les ordres, et les sociétés de classes modernes, dans lesquelles le déterminant est le montant du revenu, et non son type et sa source.

Les groupes énumérés ci-avant ne sont pas homogènes. Ils se distinguent entre eux par les groupes qu’ils servent ou garantissent et par l’activité qui, de ce fait, est leur source de revenu. L’ensemble des groupes et des relations entre eux (les sources de revenus de certains groupes pour garantir et servir d’autres groupes), voilà ce que nous entendons ici par structure sociale.

Toute la population de Russie est officiellement divisée en groupes-ordres, et chaque individu, qu’il en ait ou non conscience, est rattaché à un ordre ou renvoyé à un groupe de personnes qui n’ont pas de détermination précise ou l’ont perdue et, de ce fait, se voient imposer un rattachement forcé à une catégorie – catégorisation effectuée par des organismes prévus à cet effet, notamment le Service des migrations.

Le caractère formel et officiel de ce type de structure sociale transparaît dans le fait que l’appartenance du citoyen à un ordre est déterminée par l’État, autrement dit de l’extérieur. Dans la plupart des cas, cela ne s’accompagne pas d’une reconnaissance par l’individu concerné, qui n’a pas l’idée ou le sentiment d’appartenir à l’ordre auquel l’État l’a rattaché.

Dans la pratique sociale contemporaine, tout homme peut être rattaché à plusieurs ordres à la fois. Il peut simultanément, par exemple, être retraité, employé de l’État et exercer une profession libérale ; ou encore, employé de l’État et avoir une autre occupation, rémunérée par l’État, à temps partiel, s’il mène de front une activité d’enseignement et de recherche. En l’occurrence, aucun des statuts fixant son appartenance à un ordre ne lui apparaît comme tel.

Du point de vue de l’État, se met en place une structure sociale logique, ensemble d’ordres et de relations entre eux. Cependant, du point de vue des citoyens, le moins que l’on puisse dire est que cette structure sociale est opaque, et que ceux-ci ont quelque difficulté à dire à quel groupe, eux ou leurs parents, appartiennent. Dans le meilleur des cas, on observe une auto-identification à des groupes de la période impériale ou soviétique : marchands, entrepreneurs, nobles, officiers, ouvriers, paysans, employés, employés de l’État et autres. Néanmoins, ces modes d’identification ne sont pas approuvés par l’État et peuvent même être considérés comme une protestation passive des membres de la société d’ordres contemporaine contre l’opacité de l’ordre social.

On est frappé de constater que les ordres de métiers – saisonniers, indépendants, professions libérales – soit 20 à 40 %, selon les estimations, de la population apte au travail, n’ont pas de place définie dans ce type de structure sociale et peuvent, au gré de l’État, être rattachés à la population active ou aux marginaux.

Le manque de clarté dans les relations sociales de base produit une anomie, autrement dit une indétermination des citoyens dans l’espace-temps social, avec pour conséquence des limites et restrictions quant à l’élaboration de stratégies personnelles (5). En raison de cette anomie, il est assez difficile d’obtenir, des individus eux-mêmes, des informations sur leur appartenance à un groupe-ordre social. En d’autres termes, la méthode du sondage, tout comme les méthodes statistiques qui ne fixent généralement qu’un statut social de base, est d’un usage parfaitement limité.

Présentation politique de la structure par ordres

Dans le champ politique, les ordres de la société russe contemporaine forment quatre groupes :

1. Le pouvoir, qui englobe les fonctionnaires de l’État et des municipalités, les militaires, les représentants des forces de l’ordre, les juges, les procureurs, les députés et les cosaques. Les membres de ces ordres rattachés au pouvoir touchent pour leur service un traitement, des primes, une rente administrative et toutes sortes de paiements compensatoires. Ils ont pour fondement de leur unité le fait qu’ils servent tous l’État ;

2. Le peuple : employés rémunérés par l’État et retraités sont considérés comme un seul groupe. Pour l’État, les autres ordres ne sont pas le peuple. Ce dernier a pour spécificité que l’écrasante majorité de ses membres participe à toutes sortes de scrutins : le peuple vote, à la différence des membres d’autres ordres (hormis les fonctionnaires d’État), dont la participation électorale est aléatoire. Le peuple touche des retraites, des allocations, des salaires et des rentes de statut (par catégories, classes, pour ses titres), des bourses, etc. Tous les membres de cet ordre ont pour point commun que l’État assure leurs revenus sous forme de pensions, de salaire minimum, d’allocations et de versements divers ;

3. La population active (les marchands), qui inclut les commerçants et ceux qui exercent une profession libérale. Leurs sources de revenus sont le marché, les honoraires, les rentes de statut (et, dans le cas des entrepreneurs, les rentes d’adhésion aux Unions professionnelles, telles que l’Union des Industriels et des Entrepreneurs, La Russie des Affaires et autres). Le fondement de cet ordre réside dans le fait que les revenus de ses membres sont assurés par les membres eux-mêmes et sont tenus pour légaux. Si l’État les juge illégaux, il peut renvoyer ces membres de la population active dans le groupe des marginaux ;

4. Les marginaux, qui englobent les condamnés et tous ceux qui ont des droits limités, de même que les migrants hors catégories. Leurs sources de revenus sont les opérations commerciales illégales, les rations, les aumônes, des quotes-parts de revenus criminels, les rentes de statut criminel (pour les « parrains » ou les « voleurs dans la loi »). Ils sont généralement unis par l’action du premier ordre qui, au cours de sa neutralisation des menaces en tous genres (ou dans la préparation de leur neutralisation) use de sanctions administratives, juridiques et pénales à l’égard de ceux qui représentent (ou sont susceptibles de représenter) un danger pour l’État et les citoyens. La mise en œuvre de ces sanctions prive ceux qu’elles visent de leur appartenance à un des précédents ordres (ils cessent d’être des défenseurs, le peuple ou des entrepreneurs) et forment une population marginale. Les sources de revenus de ce groupe viennent soit de l’État (rations), soit de leur activité propre : revenu criminel (quotes-parts), rentes de statut criminel.

La norme des rapports entre les groupes politiques des ordres est fixée par l’État à peu près sous la forme suivante :

Le pouvoir a vocation à se soucier du peuple, lequel, en échange, soutient le pouvoir en votant pour lui aux élections.

Le pouvoir s’occupe des entrepreneurs en créant les conditions permettant de développer les affaires, tandis que les entrepreneurs paient des impôts et remplissent les fonctions sociales que leur assigne le pouvoir au titre de leur responsabilité sociale.

Les rapports entre le peuple et les entrepreneurs se construisent harmonieusement : le peuple salue le développement des entreprises, et les entrepreneurs agissent en tenant compte des besoins du peuple.

Le pouvoir surveille les contrevenants aux règles de justice sociale en les isolant de la société.

Dans la pratique politique, les relations entre le pouvoir, le peuple, la population active et les marginaux ne sont pas aussi limpides. On peut présenter une image alternative des relations entre les groupes politiques des ordres, du point de vue de citoyens anomiques :

Le pouvoir ne se soucie que de lui et le peuple tente simplement de survivre. Participent principalement aux élections les employés de l’État parmi les plus âgés, une partie des employés et les retraités.

Le pouvoir gruge les entrepreneurs, lesquels s’efforcent par tous les moyens de ne pas payer leurs impôts et de se soustraire aux obligations que l’État tient pour leur responsabilité sociale.

Le peuple hait les entrepreneurs, et ceux-ci font en sorte de s’engraisser sur son dos.

Le pouvoir « met les gens derrière les barreaux pour trois fois rien », ceux-ci deviennent marginaux et haïssent le pouvoir.

Estimations du nombre de membres des différents ordres

La structure par ordres créée par l’État a pour particularité qu’il ne s’agit pas seulement de l’existence des ordres eux-mêmes, mais aussi de leur nombre relatif. Il existe des normes étatiques explicites et implicites de service et de garantie, dont il ressort que le nombre des uns et des autres doit être proportionnel au nombre de ceux qui sont servis et garantis. Ainsi, le nombre des employés nécessaires, payés sur le budget de l’État (médecins, enseignants…), est-il calculé à partir des besoins (6) qui, à leur tour, proviennent de l’importance du « contingent à servir ». Le nombre « physique » de médecins et d’enseignants se rattache ainsi à une sorte de modèle idéal de structure sociale. Supposons que des ratios analogues vaillent pour l’ensemble de la structure sociale et tentons de recréer son contenu en partant de ce que nous savons du nombre global de la population et – très approximativement – de sa répartition dans les groupes des ordres. La population de Russie se monte à 140 millions de personnes (7), dont chacune a une appartenance à un ordre prescrite par l’État, ou se trouve hors catégorie, autrement dit susceptible de se voir imposer un ordre. Notre unité de calcul est l’individu, ce qui implique que le nombre des membres de chaque ordre est défini par le nombre d’individus rattachés à tel ou tel d’entre eux. Les ménages (et la structure familiale) sont, dans notre logique, calculés par têtes, afin d’éviter un double calcul au cas où un membre de la famille se rattacherait à un ordre différent de celui du chef de famille.

Les ordres sont liés, dans la structure sociale, par des rapports de garantie et de service. La forme de ce lien tient au fait qu’il existe, dans chaque ordre, une part qui garantit (pour ceux liés au pouvoir) et une part qui sert les autres ordres (pour ceux en dehors du pouvoir) et en tirent leurs revenus – traitements, salaires, honoraires… La taille de ces parts est proportionnelle au nombre de membres des autres ordres à garantir et à servir. En d’autres termes, si l’ordre A compte un nombre de membres B, et si l’ordre C compte un nombre de membres D,

la part de ceux, rattachés à A, qui servent C est proportionnelle au ratio entre les membres B et D. Le nombre inclus dans chaque ordre (y compris les membres des familles) est déterminé comme suit (8):

‒ Ordres liés au pouvoir : 15 millions de personnes ;

‒ Peuple : 70 millions de personnes ;

‒ Population active : 15 millions de personnes ;

‒ Marginaux : 28 millions de personnes.

Les membres des ordres ayant vocation à servir touchent un traitement pour garantir l’activité des autres ordres. Une partie des membres des ordres de service garantit l’activité des ordres les plus puissants. Le nombre des membres des ordres de service s’apparente à 15 millions de personnes, soit 11 % de la population, selon les données de Rosstat. Les membres des ordres liés au pouvoir, garantissant l’activité de ceux-ci, représentent 11 % de 11 %, soit 1,21 % (9)  de la population. Il s’agit du pouvoir à proprement parler, autrement dit des chefs ou des premiers personnages de l’État. Les autres membres des ordres liés au pouvoir garantissent d’autres ordres ; le nombre de ceux qui, liés au pouvoir, garantissent un autre ordre précis est proportionnel au nombre des membres de l’ordre qui font l’objet de cette garantie. Il en ressort que le peuple (50 % de la population) est garanti par la moitié du nombre total des gens liés au pouvoir (11 %), soit 5,5 % ou 7,5 millions de personnes.

Les individus formant le peuple (employés non-fonctionnaires rémunérés par l’État, retraités…) représentent quelque 50 % de la population. Une partie touche une pension, un salaire, une bourse, une allocation pour servir le peuple lui-même : par exemple, les enseignants des écoles où étudient les enfants des employés de l’État ; ou les médecins des polycliniques de districts, qui soignent des retraités ou des employés de l’État.

La part des représentants du peuple servant le peuple équivaut à 50 % de 50 % – part du peuple dans la population –, soit 25 % de la population ou 50 % du peuple servant le peuple lui-même. L’autre moitié du peuple sert d’autres ordres et, comme dans le cas précédent, le nombre d’individus rattachés au peuple et occupés à servir la population active – un autre ordre – est proportionnel au nombre de personnes de la population active et représente 5,5 % du peuple.

La part des individus rattachés à la population active, aux marchands, sert (et en tire des revenus) la même population active. Il s’agit d’entrepreneurs, d’acteurs des marchés financiers. Ils représentent 11 % de 11 %, leur part dans la population du pays est donc d’1,21 %. Les 9,8 % restants de la population active servent des membres d’autres ordres.

La part des marginaux, proportionnelle à leur part dans la population totale du pays, sert les marginaux eux-mêmes. En d’autres termes, 28 % des marginaux tirent leurs revenus (aumônes, rations, quotes-parts diverses) du service d’autres marginaux. Il en ressort que 7,84 % de la population sont des marginaux « professionnels » et des gens dont la principale source de revenus est constituée d’opérations criminelles.

Conclusion : un cercle vicieux ?

Pour conclure, on émettra l’hypothèse que la structure sociale créée par l’État et fondée sur une « juste » répartition du volume limité des ressources nationalisées, caractérise la Russie impériale, l’Union soviétique et la Fédération de Russie postsoviétique. Dans les périodes où les ordres se mettent à dysfonctionner et à ne plus assurer ce que leur prescrit l’État, le nombre relatif des individus hors catégories de toutes sortes (raznotchintsy, indépendants…) s’accroît, tandis que les systèmes de « juste » répartition des ressources se dégradent. De multiples pénuries se font jour, y compris de produits de première nécessité.

Pour finir, l’État se délite dans ses limites politiques et administratives, comme ce fut le cas en 1917 et 1991. Dans les États qui lui succèdent, où l’on se bat pour ce qui reste de ses ressources, la répartition de celles-ci est évincée par le marché, et les ressources nationalisées se transforment en marchandises et en argent. La formation des marchés s’accompagne d’une stricte stratification sociale par niveaux de consommation et de l’émergence d’une structure sociale de classes. Toutefois, les institutions de la démocratie, autrement dit la coordination des intérêts des groupes sociaux se distinguant par leur niveau de consommation, n’ont pas le temps de se mettre en place, car l’État, occupé par « l’ici et maintenant » de la tension sociale croissante et les conflits entre les « riches » et les « pauvres », tente de redistribuer les richesses entre les groupes en conflit. À cette fin, il forme de nouveaux ordres et nationalise les marchandises et l’argent, les transformant en ressources à distribuer.

La boucle est bouclée.

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1. Littéralement : « Armée ». Désigne les onze Armées territoriales installées sur les marches de l’Empire, au sud et à l’ouest.



2. Littéralement : « Divers grades ». Désigne des sujets de l’Empire n’appartenant pas à la noblesse, mais autorisés par les réformes d’Alexandre II à accéder au savoir et à exercer des métiers intellectuels.

3. Comprend les rentes honorifiques (pour les professionnels « émérites », les « maîtres ou artistes du peuple », etc.), rentes de classe (pour les médecins)…

4. Concerne les « parrains » ou les « voleurs dans la loi » (travaillant pour la mafia).

5. L’anomie transparaît dans un désir latent d’émigrer, caractéristique de tous les ordres et se manifestant par une mise à plat des conditions de vie « ici » et « là-bas », ainsi que par une perception négative de ce qui existe « ici » par rapport à ce qui est « là-bas ». Une partie de la population réalise ce désir en migrant. Les gens en quête de détermination sociale quittent les villages pour les villes, les villes pour les capitales, les capitales pour l’étranger.

6. Les « normes de garantie » pour mille, dix mille, cent mille personnes constituent les paramètres de base sur lesquels reposent presque tous les documents, plans et calculs de l’État. Néanmoins, pour autant que nous le sachions, leur statut dans la formation de la structure sociale n’a pas retenu l’attention des chercheurs.

7. L’important, pour notre recherche, est l’ordre de grandeur de la population, plus que son nombre exact. Aussi prenons-nous les données de Rosstat en les arrondissant.

8. Estimations volontairement « à la louche » pour la commodité des calculs. Données obtenues par la somme des membres des différents ordres, provenant de diverses sources et multipliées par le coefficient « famille ». Des données plus précises intégrées dans le modèle caractériseront plus exactement la structure sociale.

9. Les pourcentages indiqués ici sont le résultat de calculs, non de mesures.