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C) Économie

Ani Oganesyan
1 novembre 2019

La réforme des retraites en Russie : des mesures impopulaires pour quels résultats ?

Les gens, en Russie, ne se fient guère aux systèmes de retraites : le vieillissement de la population, la faible rentabilité de l’épargne retraite, la baisse de l’emploi, la couverture retraite insuffisante dans certains secteurs – autant d’éléments qui empêchent de croire que ces systèmes, par répartition ou capitalisation, tiendront leurs promesses le moment venu.

En théorie, les retraites doivent fonctionner selon un principe simple : les travailleurs épargnent leur vie durant, les employeurs déduisent les cotisations sociales (notamment pour la retraite) et l’État collecte les impôts afin de pouvoir financer ses aides. Ces divers moyens doivent constituer, au total, une source stable de revenus pour la retraite. L’idée selon laquelle employés, employeurs et gouvernement partagent les responsabilités est la base même du modèle de financement à trois niveaux (1), fondamental pour assurer une retraite.

La Russie se voit dans l’obligation de transformer son système de retraite pour plusieurs raisons : augmentation des coûts, dépendance des recettes et contributions budgétaires, faible volume d’actifs et creusement prévisible du déficit de la Caisse de retraites.

La situation démographique s’est considérablement détériorée dans le pays, la natalité ayant chuté dans les années 1990. Après avoir atteint un sommet en 2012, la population active a commencé à diminuer sur fond d’accroissement progressif du nombre de retraités, induisant une charge conséquente pour les actifs et le creusement du déficit de la Caisse fédérale de retraites. En 2014 et 2015, les dépenses de l’État liées aux retraites se montaient à 2 800 milliards de roubles (3,4 % du PIB, environ 39 milliards d’euros); en 2017, elles atteignaient déjà 4,6 % du PIB et l’on parle de 14,9 % aux environs de 2050. Les prévisions du ministère du Développement économique évoquent une baisse de 7 % de la population active en 2020, tandis que le nombre de retraités connaîtra une hausse de 17 %. Le nombre d’actifs pour un retraité diminuera en 2030 par rapport à 2015, passant de 1,18 à 0,98, ce qui aggravera encore le déficit de la Caisse de retraites. Cette situation et ces prévisions rendent obligatoire une réforme du système de retraites en Russie.

Que disent les chiffres officiels ? Que le pays a un taux de chômage très bas, un taux d’emploi élevé et une faible proportion de dépenses pour le maintien de la composante étatique des retraites par rapport au PIB ; mais il a aussi un nombre très élevé de retraités (29,2 %), un faible taux de remplacement, des niveaux de salaires et de pensions absolument incomparables et une augmentation importante de la durée de vie attendue pour 2030. La différence entre l’espérance de vie et l’âge de la retraite est de 10,4 ans, et si l’on tient compte de l’augmentation évoquée ci-avant, de 13,7 ans. Le pourcentage des retraites privées dans la population de Russie est passé de 4,6 % en 2013, à 3,6 % en 2016 (2).

Parmi les grandes mesures déployées par l’Union européenne et dont s’inspire la Fédération de Russie pour perfectionner prioritairement son système de retraites, on retiendra l’augmentation et l’égalisation de l’âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes, la hausse de la part des cotisations pour mettre en place un modèle par capitalisation, la levée des restrictions sur les transferts d’épargne retraite vers des fonds de pension non-étatiques, ainsi que la poursuite du développement du secteur privé.

La base du système de retraites en Russie est le modèle par répartition, selon lequel les cotisations de la population active servent à verser les pensions des retraités du moment. Ces dernières sont calculées à partir de la somme des cotisations et du nombre d’annuités (tableau 1).

Dans la structure de la Caisse de retraites de la Fédération de Russie, nous distinguerons les garanties publiques et privées, de même que les modes de retraites publiques, les assurances retraites et les retraites par capitalisation.

La réforme des retraites en Russie

Ces derniers temps, le système de retraites a subi nombre de réformes diverses, visant essentiellement à remédier au principal problème : le déficit du budget de l’État. Ce dernier est dû à la crise économique prolongée : les montants transférés dans le fonds de retraites ne suffisent pas, en effet, à couvrir toutes les dépenses.

On peut situer le début de la réforme du système de retraites en Russie en 2002, date à laquelle, en vue d’augmenter la part de l’épargne, le principe de solidarité qui prévalait dans le système russe a été remplacé par un principe mixte de répartition-capitalisation. À partir de 2004, on voit se développer activement le marché des fonds de pension privés. Et, depuis 2008, l’État soutient l’épargne retraite.

Les réformes entreprises dans les années 2013-2015 ont induit une nouvelle forme de calcul des pensions, qui prend en compte les annuités, le salaire et l’âge de départ à la retraite. Les cotisations, qui garantissent par la suite une pension, sont versées à la Caisse de retraites par l’employeur à hauteur de 22 %, dont 16 % servent à la constitution d’une garantie de retraite (principe de solidarité), et 6 % à une capitalisation (ils sont réservés actuellement aux retraites par capitalisation, aux termes du moratoire en vigueur sur le calcul de l’épargne retraite) (tableau 2).

Il existe, par ailleurs, un système de retraite privé, permettant des abattements supplémentaires à la fois pour l’employeur et pour l’employé.

La part assurance est calculée non en roubles, comme la capitalisation, mais sous forme de coefficients ou de points de retraite. Au moment où l’employé fait valoir ses droits à la retraite, ceux-ci sont « reconvertis » en roubles. La valeur du point de retraite est fixée annuellement par le gouvernement. En 2019, elle est de 87,24 roubles. Pour toucher cette retraite, il convient d’avoir travaillé au moins quinze ans et accumulé un minimum de trente points (pour un départ à la retraite en 2025) (3). Si le nombre de points ou d’annuités est inférieur à cette norme, le retraité touchera une pension sociale de l’État.

Il en ressort que, sur la base de la réforme actuelle, les individus nés en 1967 et après ont désormais le droit de décider de l’emploi de ce qu’ils ont capitalisé pour la retraite. La capitalisation se fait, depuis 2014, sur la base du volontariat, l’employé peut s’y refuser au profit de l’assurance retraite. Néanmoins, dans les années 2014-2016, la possibilité de compléter son capital a été stoppée, ce qui a suscité un certain mécontentement.

Les réformes du système de retraites visant à augmenter l’âge de départ représentent un bloc à part. Cette question a été abordée épisodiquement, sans, toutefois, que des informations précises sur la mise en œuvre de la réforme soient divulguées ; quant à son application, elle a été repoussée de toutes les façons. C’est pourquoi, quand des mesures radicales ont finalement été prises en 2018, la réforme pour relever l’âge de la retraite a eu un effet négatif sur la population. En se fondant sur l’expérience d’autres pays, de nombreux experts estiment que ni le marché du travail – les gens d’un certain âge ont du mal à trouver un emploi, il faudra donc leur payer, au lieu d’une pension, une allocation chômage, ce qui n’améliorera pas le budget – ni les indicateurs sociologiques et démographiques n’y incitent.

Le délai prévu pour modifier l’âge de départ est long ; il court du 1er janvier 2019 à l’année 2028. Il en ressort que l’âge de départ à la retraite passera de soixante à soixante-cinq ans pour les hommes en 2028, et de cinquante-cinq à soixante ans pour les femmes en 2034. Ajoutons qu’à l’heure actuelle, l’espérance de vie, en Russie, est de 66,5 ans pour les hommes et de soixante-dix-sept ans pour les femmes. De plus, les salariés appelés à prendre leur retraite en 2019-2020 auront droit à un avantage particulier : ils pourront partir six mois avant la nouvelle limite. Par exemple, une personne qui doit prendre sa retraite en janvier 2020, le pourra dès juillet 2019.

Résultats des réformes et conclusions

Ainsi, au cours de la réforme, le système de retraites de la Fédération de Russie a acquis une structure à trois niveaux (une partie solidaire, qui prévoit le versement d’une somme fixe ; une partie d’épargne retraite obligatoire, avec des points ; enfin, une partie basée sur le volontariat, dans laquelle l’État n’est pas impliqué, fondée sur le principe de defined contribution). La suite des réformes prévoit de consolider l’ensemble du système et d’augmenter la part de l’épargne retraite.

Toutefois, à l’heure actuelle, on ne saurait qualifier le système russe de retraites de financièrement stable et autonome, en raison de la situation démographique, de la dynamique des dépenses prévues à l’horizon 2050, de la forte dépendance des recettes budgétaires et des cotisations, de l’utilisation de tous les fonds de la Caisse de retraites pour payer les pensions actuelles, des faibles actifs du système de retraites et d’une vraisemblable hausse importante du déficit de la Caisse.

Tous ces éléments expliquent la nécessité de poursuivre la réforme du système russe de retraites, fût-ce au prix des mesures impopulaires prises actuellement, afin de parvenir à des résultats positifs sur le long terme.

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1. Le premier niveau est le régime de base, obligatoire pour les employeurs et les salariés qui doivent cotiser. Le deuxième niveau est la retraite d’entreprise, qui dépend de l’employeur, avec la participation éventuelle du salarié, sur la base de conventions collectives, d’accords internes à l’entreprise ou d’accords de branches. Le troisième est individuel : le salarié épargne personnellement pour sa retraite.

2. E. Zabolotski, « Opyt reformirovania pensionnykh sistem stran Evropeïskogo soïouza i vozmojnosti ego ispolzovania v Rossii » [L’expérience des pays de l’Union européenne dans la réforme des systèmes de retraite et les possibilités de s’en inspirer en Russie], Vestnik Sankt-Peterbourgskogo ouniversiteta. Série 5, Ekonomika, n° 3, 2017.

3. http://www.pfrf.ru/grazdanam/pensions/kak_form_bud_pens/