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A) Politique étrangère & défense

Rouslan Poukhov Rouslan Poukhov
1 novembre 2018

Les forces armées russes en 2018

Par Rouslan Poukhov, directeur du Centre d'analyse des stratégies et technologies (CAST), membre du Conseil scientifique de l'Observatoire franco-russe, et Mikhaïl Barabanov, expert au CAST, rédacteur scientifique de la revue Eksport Vooroujeniï [Exportations d'armement].

La réélection de Vladimir Poutine en mars 2018, pour un nouveau mandat présidentiel de six ans, garantit la pérennité des grandes orientations de la construction militaire, ainsi que de l’évolution des forces armées de Russie. La crise ukrainienne et l’expérience acquise en Syrie ont toutefois façonné les contours du nouveau plan d’armement 2018-2027, approuvé par le président russe fin 2017. Dans un contexte de forte rationalisation des dépenses, la Russie privilégie l’approvisionnement en matériels modernes de qualité, plutôt que l’achat d’armements standards en quantité pléthorique.

Paramètres budgétaires

La récession économique qui a frappé la Russie dans les années 2014-2016 n’a pas eu d’impact significatif sur les dépenses engagées dans le secteur de la défense, lesquelles, jusqu’en 2016, n’ont cessé d’augmenter. À ce moment-là seulement, les fonds prévus pour le budget base (3 090 milliards de roubles) ont été quelque peu réduits par rapport à 2015 (3 160 milliards de roubles). Dans les faits, toutefois, les chiffres des dépenses effectuées pour la défense en 2016-2017 incluaient des versements supplémentaires de l’État de près de mille milliards de roubles : il s’agissait de garanties pour les entreprises du complexe militaro-industriel qui avaient contracté des emprunts auprès de banques privées, le financement de la commande d’État étant assuré parallèlement par des fonds publics et des crédits (pour un montant d’environ 792 milliards de roubles en 2016, et 200 milliards en 2017). Il en a résulté, de fait, une augmentation des dépenses du secteur de la défense, des 3 090 milliards de roubles prévus au chiffre record de 3 800 milliards en 2016, et de 2 854 milliards à quelque 3 180 milliards de roubles en 2017 – ce qui a donné l’impression d’une réduction considérable la seconde année, alors qu’il n’en était rien.

Pour 2018, le budget de la défense était, à l’origine, de 2 768 milliards de roubles, mais, dès le mois de janvier, les dépenses envisagées se montaient à 2 953 milliards, et rien ne dit que, sur l’année, elles ne connaîtront pas une nouvelle hausse, dépassant finalement le niveau total de 2017 et, pour le budget base, atteignant les pics de 2015-2016 (1). En tout état de cause, il est clair qu’avec le niveau excessivement bas de l’inflation (2,5 % seulement en 2017), le financement du secteur de la défense et des forces armées restera stable sur l’année 2018 (de même, vraisemblablement, qu’en 2019-2020), maintenant les niveaux élevés de la période 2014-2017.

Cette année, le nouveau Programme public d’armement 2018-2027 commence à se réaliser : il a été entériné par le président Poutine en décembre 2017 et a pris la suite du Programme d’armement 2011-2020. D’abord prévu pour la période 2016-2025, le nouveau programme est prolongé de deux ans – signe le plus manifeste des correctifs budgétaires apportés à la défense en raison des difficultés économiques apparues après 2014. Néanmoins, le Programme 2018-2027 conserve nombre de paramètres élevés du précédent : sur dix ans, achat pour 19 000 milliards de roubles d’armements à destination des forces armées de Russie, et pour 3 000 milliards à destination d’autres structures « de force », modernisation pour 1 000 milliards de roubles de l’industrie de défense. La réalisation du Programme 2027 nécessite un niveau d’achats à l’intention des forces armées d’au moins 1 500 milliards de roubles au cours des premières années, avec une augmentation au cours des suivantes. La commande d’État pour 2018 se monte précisément, dans les prévisions, à 1 500 milliards (2).
D’importantes dépenses d’équipements ont caractérisé le budget de la défense ces dernières années. La commande publique a représenté 60-70 % de toutes les dépenses dans ce secteur entre 2013 et 2016. Cela tient, avant tout, à la réalisation du Plan-2020 et à un réarmement d’envergure. En 2016-2017, la part des achats diminue quelque peu dans le budget base, ce qui est sans doute lié aux dépenses engagées pour le déploiement de nouvelles unités et groupements à la frontière avec l’Ukraine, à l’accent mis sur l’entraînement, ainsi qu’au coût de la campagne de Syrie. Mais, nous l’avons vu, la dépense nominale est restée élevée pour les achats en 2016-2017, en raison du versement d’environ mille milliards de roubles pour couvrir les dettes des entreprises de défense. En revanche, en 2017-2018, la part des dépenses d’équipements se voit réduite de 50 % du budget du ministère.

Aspects doctrinaux

En dépit du renforcement de la confrontation politique avec l’Occident, la structure militaire russe n’a subi, jusqu’à présent, aucun changement substantiel du point de vue de sa doctrine et de ses orientations, par rapport aux précédentes années de la présidence Poutine. La direction russe évite assez fermement les mesures militaires anti-occidentales, affirmant son respect des accords en vigueur avec les États-Unis dans le secteur des armes nucléaires ; elle ne recourt à aucune mobilisation ou mesure d’urgence, ni n’effectue de changements importants dans le déploiement des forces armées.

Le premier facteur ayant eu un impact sur le développement militaire de la Russie à partir de 2014 a été le conflit avec l’Ukraine, qui a conduit Moscou à une concentration importante de forces terrestres aux frontières de ce pays, pratiquement liquidée au cours des réformes de l’armée dans les années 2008-2012. Il en a résulté des dépenses considérables, tant pour le déploiement de nouvelles unités et leur équipement, que pour la création de l’infrastructure nécessaire.

Le groupement à la frontière de l’Ukraine, qui, dans un premier temps, comprend trois armées (la 1re blindée et cavalerie de la Garde, la 18e et la 20e de la Garde), a pour objectif de créer un puissant mécanisme de pression militaire sur ce pays et, au besoin, de résoudre par la force la « question ukrainienne » via une opération terrestre d’envergure. Le déploiement de forces à la frontière et leur équipement technique sont, manifestement, la priorité actuelle de la planification opérationnelle russe. Cependant, la mise en place de ce groupement et de l’infrastructure indispensable s’effectue de manière assez progressive, et il y a peu chances qu’elle soit achevée avant 2020.

Ajoutons qu’à compter de 2014, la Russie créait un groupement de forces terrestres et aériennes en Crimée. Il est, néanmoins, numériquement assez limité et n’excède pas, de fait, le nombre total des forces ukrainiennes et russes déployées dans la péninsule avant 2014. Le groupement de Crimée a un caractère plutôt défensif.

Nonobstant le déploiement actif de forces de l’OTAN (en premier lieu, américaines) dans les pays baltes et en Pologne, la Russie n’a pratiquement pas réagi jusqu’à présent, conservant dans la région des effectifs fortement réduits après 2009 ; elle n’a pas non plus déployé de troupes supplémentaires. Bien plus, les unités russes stationnées au nord-ouest étaient, jusqu’à ces derniers temps, les plus obsolètes techniquement et n’étaient pas prioritaires pour toucher de nouveaux équipements. Il faut attendre 2016 pour que des systèmes de défense antiaérienne et antimissile soient livrés dans la région de Kaliningrad, ainsi que des batteries côtières antinavires, puis, au début de 2018, des missiles tactiques « Iskander-M ». À partir de 2017, les unités aériennes du Nord-ouest de la Russie reçoivent de nouveaux chasseurs Su-30SM et Su-35S, mais le remplacement des anciens s’effectue lentement et les troupes terrestres de la région n’ont pas droit à une véritable modernisation.

Il en ressort que le Kremlin ne croit guère à l’éventualité d’un conflit armé conventionnel avec l’Occident et qu’il continue de s’en remettre principalement à la dissuasion nucléaire vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN, bien que la modernisation des armes nucléaires se fasse, elle aussi, à un rythme modéré.

Le recrutement

L’un des acquis majeurs du ministère de la Défense pour 2018 est un recrutement conséquent. Il était réalisé à 95 % en novembre 2017 (avec un effectif établi à 1,013 million d’hommes), sachant qu’à la fin de 2014, on n’en était qu’à 82 % (3). Cela a été rendu possible en augmentant le nombre des officiers d’environ 225 000, auxquels il faut ajouter 55 000 élèves-officiers et aspirants, ainsi qu’en maintenant celui des militaires sous contrat, qui étaient 354 000 à l’automne 2017 (4).

Dans l’ensemble, le nombre des militaires sous contrat restait inférieur à ce qui était planifié, à savoir 425 000 pour 2017, alors qu’au cours des dix premiers mois de l’année, seuls 55 000 étaient enrôlés. Néanmoins, le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, faisait part de son intention de le porter à 499 200 à la fin de 2018 (5).

Pour augmenter le nombre des officiers, on rappelle une partie de la réserve, on élargit le recrutement dans les écoles militaires (les auditeurs des académies militaires et les élèves représentaient 22 000 hommes au début de 2018), on réduit le cursus, à compter de 2018, de cinq à quatre ans.

Soucieux d’accroître l’attractivité des emplois au sein des forces armées, on prévoit en 2018, pour la première fois depuis 2012, une hausse de la rémunération des officiers et des militaires sous contrat.

Ajoutons que le recrutement reste mixte : on compte ainsi, en 2017, 276 000 appelés (contre 275 000 en 2016) (6).

On s’attache par ailleurs à améliorer la réserve, qui se dote de commandements par région militaire, et l’on entreprend de former des divisions territoriales. À compter de 2015, on organise une « première réserve » sur la base de contrats.

Le facteur syrien

La participation des forces armées, dès septembre 2015, à l’intervention en Syrie a eu un immense impact sur le système militaire russe. à ce jour, la campagne de Syrie demeure, pour la Russie, un succès. En 2017, avec le soutien actif des forces russes, les troupes gouvernementales syriennes réussissent un tournant décisif dans la guerre civile, qui sera conforté par de nouvelles victoires en 2018. Les forces de l’État islamique sont pratiquement défaites ; quant à l’opposition syrienne armée plus modérée, elle perd toute perspective de victoire ou presque et se voit repoussée à la périphérie du pays, malgré un soutien actif de la part de l’Occident et des monarchies arabes.

Tout cela, la Russie l’obtient en engageant une très petite partie de ses forces (essentiellement aériennes) et au prix de pertes négligeables. L’armée russe y gagne une immense expérience en termes d’opérations de déploiement longue distance, de soutien logistique en « théâtre lointain » et d’emploi de sa puissance aérienne. Elle y trouve un terrain d’essai pour ses systèmes d’armes de dernière génération. Elle y acquiert également l’expérience d’un large engagement de forces spéciales et de l’emploi de compagnies militaires privées.

Il est aussi notable que presque tous les principaux commandants participent, à tour de rôle, à la campagne de Syrie. Tous y acquièrent donc l’expérience opérationnelle d’une guerre moderne complexe, en territoire lointain – avec un emploi intensif de la puissance aérienne, des armes de haute précision – et de problèmes majeurs de logistique et de ravitaillement. Ces commandants ayant l’expérience de la campagne de Syrie victorieuse pour la Russie, où le rôle de l’aviation a été décisif, où les forces spéciales et les types d’armement les plus modernes ont été mis à contribution, peuvent avoir une influence considérable sur la construction militaire russe à long terme.

Dans le même temps, les frappes occidentales sur des cibles syriennes au printemps 2018 ont failli placer les forces russes et américaines devant un risque d’accrochage direct et montré les limites de la puissance et de l’influence russes en Syrie. Il est vraisemblable que les États-Unis s’efforceront encore d’y affaiblir les positions de Moscou et d’empêcher une victoire complète du régime syrien, ce qui, à son tour, prolongera le conflit dans ce pays, renforcera la confrontation militaro-politique avec l’Occident et constituera un obstacle pour que la Russie opère le retrait de ses troupes.

Forces nucléaires stratégiques et tactiques

La modernisation des forces nucléaires stratégiques russes se poursuit à un rythme modéré. Sa composante terrestre (RVSN) continue de substituer aux anciens types de missiles balistiques intercontinentaux (SS-19 Stiletto en silos et « SS-27Mod1 » mobiles) des SS-27Mod2 « Iars » en silos et mobiles. Pour 2018, a été planifiée la livraison de « plus de vingt » systèmes « Iars », des deux types, ce qui correspond à peu près au niveau des années 2014-2017 (7).

En 2018, on poursuit également le programme d’essais, initié en 2017, du missile intercontinental « Sarmat », avec passage à la production en série. Les premiers « Sarmat », voués à remplacer les SS-18Mod5, devraient commencer à être déployés en 2021 (8).

On annonce aussi le début de la production en série, dans l’année en cours, du système « Avangard » dont devraient, dans un premier temps, être équipés les vieux missiles balistiques en silo SS-19 Stiletto (9). On apprend simultanément l’interruption, pour des raisons économiques et politiques, de la mise au point du système de missiles sur plateforme ferroviaire SS-X-27Mod « Bargouzine » et le gel du déploiement des missiles balistiques mobiles légers SS-X-31« Roubej », déjà en partie testés (10).

L’année 2018 est aussi marquée par la poursuite de la modernisation des bombardiers stratégiques Tu-95MS et Tu-160 (11), au rythme de plusieurs appareils par an, équipés des nouveaux missiles de croisière Kh-101 et Kh-102. De la même façon, les forces aérospatiales seront équipées des premiers bombardiers longue distance modernisés Tu-22M3M, et les avions de ce type commenceront à être pourvus de nouveaux missiles supersoniques Kh-32 (12).

Au tournant de 2017-2018, le missile air-surface « Kinjal », testé avec succès, est lancé. Il est porté par des chasseurs MiG-31K modifiés (13).

Les forces nucléaires stratégiques navales ne connaissent pas de grands changements en 2018, la mise en exploitation du sous-marin nucléaire lanceur d’engins Kniaz Vladimir (Projet 995A, le quatrième de cette série), étant repoussée en 2019 (14).

En 2018, les forces terrestres doivent être équipées de deux systèmes de missiles supplémentaires « Iskander-M », ce qui leur permettra d’abandonner enfin les systèmes obsolètes « Totchka-U » et de porter à treize le nombre de brigades d’artillerie qui en disposent (15).

Les forces terrestres

Leur développement reste axé, en 2018, sur le recrutement et l’équipement des nouveaux groupes de combat et des unités formés au cours des deux dernières années à la frontière de l’Ukraine, notamment les trois divisions motorisées récemment créées : la 3e (état-major à Bogoutchar, région de Voronej) qui relève de la 20e armée de la Garde, la 144e (Smolensk) de la 1re armée blindée de la Garde, et la 150e (Novotcherkassk) de la nouvelle 8e armée de la Garde. Ces trois unités du premier échelon doivent constituer la base du trident dirigé vers le territoire de l’Ukraine. Au sein de ces armées, on œuvre à la création d’unités de soutien, notamment dans la 8e armée de la Garde, où elles sont à constituer de toutes pièces.

En 2016-2017 ont également été créées deux autres divisions : la 42e motorisée de la Garde en Tchétchénie et la 90e blindée de la Garde dans l’Oural. En 2018, on annonce le début de la mise en place de la 127e division motorisée dans la Région militaire orientale. Il n’est pas exclu que deux ou trois autres divisions blindées et motorisées y fassent leur apparition (16).

A contrario, on ne crée pratiquement pas de nouveaux groupes de combat du côté du Nord-ouest, à l’exception d’un régiment blindé dans la région de Kaliningrad. Il n’y a pas presque pas non plus de projets de nouvelles unités arctiques.

L’armée de terre continue, en 2018, à s’équiper – en quantités modestes – d’anciens modèles modernisés, dont des chars T-72B3, modèle modifié 2016, de T-80BVM, de véhicules blindés BMP-2, de canons et lance-missiles auto-moteurs. Depuis quelques années, la modernisation des chars se maintient à raison de 250-300 pièces par an, ce qui a permis d’équiper en véhicules T-72B3 modernisés une bonne partie des unités de ligne. On continue à fournir, en quantités limitées, des véhicules de transport de troupes BTR-82A, des véhicules blindés à roues « Typhoon », des systèmes antiaériens Buk-M3, Tor-M2 et S-300V4. On fournit par ailleurs en masse différents petits drones.

La mise au point et les essais de plateformes de combat prometteuses se poursuivent : char T-14 Armata et BMP T-15, construit sur la même plateforme modulaire, celle du « Kourganets-25 », véhicule blindé à roues « Boomerang », canon automoteur « Koalitsia-SV ». Mais leur livraison à l’armée ne se fera pas avant 2021.

Les forces aéroportées

Le ministère de la Défense s’attache à renforcer ces troupes d’intervention d’élite qui se caractérisent par leur « esprit de corps ». Toutefois, les projets ambitieux visant à en accroître le nombre ne cessent d’être reportés. Cela vaut aussi pour la formation de troisièmes régiments parachutistes dans les quatre divisions aéroportées qui existent déjà, ainsi que pour les plans de reconstitution de la 31e brigade parachutiste, déployée à Oulianovsk, qui redeviendrait la 104e division (son statut jusqu’en 1998) – ce dernier projet est repoussé en 2023 (17).

On alourdit simultanément la structure des forces aéroportées : il est prévu, pour 2018, de reformer en bataillons les compagnies blindées qui existaient dans chaque division, ainsi qu’une brigade. Ces unités sont équipées de T-72B3 modernisés (18).

Finalement, 2018 ne sera pas une année de grands changements dans l’organisation des forces aéroportées. On continuera simplement à fournir du matériel (en moyenne, deux lots pour bataillons de nouveaux véhicules blindés d’infanterie aéroportés BMD-4M et de véhicules blindés de transport de troupes aéroportées BTR-MDM par an), ainsi que de nouveaux équipements et munitions. À partir de 2020, les forces aéroportées doivent commencer à être approvisionnées en véhicules de transport, actuellement au stade des essais, en nouveaux canons automoteurs et en systèmes de défense antiaérienne.
Les forces aériennes et spatiales

Les forces aériennes et spatiales de Russie récoltent les plus grands fruits des efforts accomplis par le gouvernement Poutine pour transformer l’armée au cours des dix dernières années. Leur modernisation, commencée après 2010, est la plus réussie de toutes les armes. Cela tient autant à leurs ressources considérables, axées sur l’acquisition de nouveaux appareils et de systèmes de défense antiaérienne, qu’à la qualité des principaux types d’appareils disponibles sur le marché (y compris du côté des exportations).

À partir des années 2000 et jusqu’au début de 2018, le ministère de la Défense de Russie reçoit 347 appareils de combat de nouvelle génération et 95 avions d’entraînement. Les forces aériennes et spatiales sont également dotées, durant la dernière décennie, d’un bombardier stratégique Tu-160, de quatre avions d’observation et de reconnaissance et de trente-neuf avions de transport.

On travaille activement à moderniser le parc d’avions de combat, Su-24M, Su-25, Su-27 et MiG-31. Des programmes de modernisation sont également lancés pour les bombardiers à long rayon d’action Tu-22M3, Tu-95MS et Tu-160, de même que pour les avions de transport militaire Il-76MD. Au total, cela permet de rénover et de moderniser 60 % du parc tactique de l’aviation. Il est manifeste que dans deux ou trois ans, on aura retiré tous les chasseurs MiG-29 et Su-27 non modernisés.

Depuis quelques années, les livraisons de nouveaux avions au ministère de la Défense diminuent un peu, en raison notamment de l’arrêt de la production en série d’appareils obsolètes (MiG-29SMT et Su-30M2), mais aussi pour des motifs financiers et de nouvelle répartition des moyens pour d’autres programmes ; est prévue, néanmoins, en 2018, la livraison aux forces aériennes et spatiales et à l’aéronavale de quarante nouveaux avions de combat (14 Su-30SM, 16 Su-34 et 10 Su-35S) et de dix-huit appareils d’entraînement Yak-130 (une partie de ces derniers est un report de 2017) (19).

Les forces aériennes et spéciales doivent aussi être équipées, cette année, d’un bombardier stratégique Tu-160 modernisé, de deux avions de contrôleet de commandement aéroporté, de trois appareils de transport An-148-100E, enfin des trois premiers avions de transport militaire fabriqués en série Il-76MD-90A, bien que ce dernier programme continue d’être freiné.
La production en série du chasseur de cinquième génération PAK-FA (T-50, Su-57) ne sera lancée que dans un « deuxième temps », munie d’un nouveau moteur, soit au plus tôt en 2027-2028.

On assiste à une rénovation intensive du parc d’appareils militaires. Ces dernières années, le nombre de nouveaux hélicoptères livrés au ministère de la Défense dépasse les cent unités par an. Actuellement, des contrats ont été passés pour plus de 450 nouveaux hélicoptères de combat Mi-28N, Mi-35M et Ka-52, dont plus de 300 ont d’ores et déjà été livrés – des livraisons qui s’effectuent au rythme de 40-50 appareils par an. On ne cesse de faire l’acquisition de nouveaux hélicoptères de transport, qui se perfectionnent constamment, de la famille des Mi-8 (quelques dizaines par an). Plus de vingt hélicoptères de transport lourd Mi-26 de nouvelle génération ont également été achetés, ainsi que plus de quatre-vingts appareils légers Ka-226 et « Ansat ».

À compter de 2012, on note une acquisition massive de nouveaux systèmes d’armement pour les forces aériennes et spatiales. L’accent est principalement mis sur les missiles de croisière à longue portée, les armes de haute précision de classe « air-surface » et les missiles « air-air » guidés. On commence, notamment, à recevoir des systèmes de classe « air-surface », avec guidage par satellite, et des missiles de classe « air-air » de moyenne et longue portée, autoguidés, avec radar.

Le perfectionnement intensif des unités de défense antiaérienne et leur rééquipement technologique en systèmes de nouvelle génération se poursuivent. Entre 2007 et le début de 2018, elles ont reçu vingt batteries S-400, et les livraisons continuent au rythme de dix par an. On fournit également de nouveaux systèmes antiaériens « Pantsir-S ». Quant au parc de systèmes de détection radar, il est activement rénové, tandis que sont perfectionnés ceux de gestion de combat.

La marine de guerre

À la différence des forces aériennes et spatiales, la marine de guerre, présentée comme une priorité dans le Programme d’armement 2020, à l’instar de l’aviation, éprouve toujours des difficultés à renouveler sa flotte et connaît, dans une assez grande mesure, une situation de crise. Celle-ci est due autant aux problèmes des chantiers navals (dont la cessation des livraisons de moteurs à turbine à gaz d’Ukraine et des moteurs diesel allemands) qu’à la mise au point de nouveaux systèmes d’armement et d’équipements adaptés. Un nombre important de bâtiments de construction soviétique ou des premières années postsoviétiques nécessitent, en outre, des réparations, ce qui a conduit, ces dernières années, à renvoyer en chantier beaucoup de navires de combat et, là aussi, les délais s’allongent.

Pour finir, l’état et le fonctionnement des bâtiments atteignent, paradoxalement, leur plus bas niveau depuis l’effondrement de l’URSS, ce qui induit une exploitation intensive de ceux qui restent (y compris dans les déploiements effectués au cours des opérations en Syrie) et une augmentation potentielle des problèmes y afférents. Le commandement de la marine de guerre tente de compenser les difficultés rencontrées dans la construction de nouveaux grands bâtiments et de sous-marins nucléaires par de petites corvettes peu onéreuses, Projets 21631 (classe Buyan-M) et 22800 (classe Karakurt), susceptibles d’être armées de missiles « Kalibr » et de transporter des charges nucléaires ; il relance, en outre, la construction de sous-marins à propulsion diesel-électrique, Projet 877/636 (classe Kilo). Mais, compte tenu des « ambitions maritimes » de la flotte russe, ce ne sont que des ersatz.

Les sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière (SSGN) sont également dotés d’une faible capacité de combat : la plupart de ceux qui datent de la période soviétique sont au chantier et, en dix-sept ans, un seul modèle polyvalent a été mis en service, le Severodvinsk, tête de série du Projet 885, en 2013. Un second sous-marin, le Kazan, version modernisée du Projet 885, ne sera livré qu’en 2019, et le nombre de SSGN en état de fonctionner n’excède pas, actuellement, une dizaine. La situation ne commencera pas à s’améliorer avant quelques années, une série de sous-marins devant sortir de chantier et la construction en série des bâtiments du Projet 885 étant appelée se développer.

Les forces de surface connaissent une situation analogue : ces dernières années, les complètements sont chiches et lents. Sous ce rapport, 2018 est peut-être une année-charnière, avec la mise en service, au terme de quatre ans d’essais et d’ajustements, de lq frégate Amiral Gorchkov, Projet 22350, qui devrait ouvrir la voie à la construction en série de bâtiments du même type, lesquels constitueront, par la suite, la base des forces de surface russes.

La situation s’améliore aussi, en 2018, pour des navires d’autres types. La marine de guerre se verra dotée de la frégate Amiral Makarov (troisième du Projet 11356, classe Talwar), de deux grandes corvettes, Projets 20380 et 20385 (classe Steregouchtchi), de cinq petites corvettes, Projets 21631, 22800 et 22160, d’un grand navire amphibie, l’Ivan Gren, Projet 11711, d’un dragueur de mines nouvelle génération, Projet 12700 (le deuxième de la série), de plusieurs vedettes et bateaux auxiliaires. Dans les années 2019-2020, on peut s’attendre à ce que se développe la construction de bâtiments de types nouveaux.

Dans l’aviation navale, la livraison en série d’hélicoptères de lutte anti-sous-marine Ka-27M a commencé, mais, dans l’ensemble, le rythme du réarmement est très lent (on n’attend la livraison que de cinq chasseurs Su-30SM au maximum, et d’un ou deux avions de patrouille Il-38N).

Simultanément, on poursuivra le réarmement intensif de la flotte littorale, qui devrait être dotée de systèmes de missiles de défense côtière « Bastion-P » et « Bal ». En 2018, l’infanterie de marine a commencé à recevoir des chars, dont elle était privée depuis les années 1990.

Conclusion

Le gouvernement Poutine poursuit une modernisation militaire assez prudente, modérée et conservatrice, proportionnant le niveau des dépenses militaires aux possibilités économiques réelles de la Russie et évitant toute concurrence directe avec les États-Unis et l’OTAN. La priorité est accordée à la modernisation des forces nucléaires, et l’effort porte simultanément sur le renforcement des groupements de forces terrestres, en vue d’une éventuelle intervention militaire en Ukraine.

1. Source : Trésor fédéral, données sur les dépenses effectives du budget.

2. Annonce du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, au Collège du ministère, le 3 mai 2018.

3. Déclaration du chef d’état-major des forces armées de la Fédération de Russie, Valeri Guerassimov, au Collège du ministère de la Défense, 7 novembre 2017.

4. A. Karpov, « Stavka na katchestvo : Vladimir Poutine sokratil tchislennost Vooroujennykh sil Rossii » [Le pari de la qualité : Vladimir Poutine réduit les forces armées de Russie], RT, 17 novembre 2017.

5. « Choïgou : tchislo kontraktnikov v 2018 godou doljno dostitch 500 tyssiatch tchelovek » [Choïgou : le nombre des militaires sous contrat doit atteindre 500 000 en 2018], RIA Novosti, 7 novembre 2017.

6. Déclaration du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, à la séance élargie du Collège du ministère de la Défense, 22 décembre 2016.

7. Interview du commandant des RVSN, Sergueï Karakaïev, Krasnaïa zvezda, 14 décembre 2017.

8. Source : « Pervy polk s raketoï “Sarmat” doljen zastoupit na boevoïé dejourstvo v 2021 godou » [Le premier régiment doté de missiles « Sarmate » devrait être à pied d’œuvre en 2021], TASS, 29 mars 2018.

9. « Strateguitcheski kompleks “Avangard” zapouchtchen v seriïnoïé proizvodstvo » [Début de la production en série du système stratégique « Avangard »], RIA Novosti, 4 mars 2018.

10. Source : « Kompleks “Avangard” zamenil “Roubej” v gosprogramme vooroujenia do 2027 goda » [Le système « Avangard » remplace « Roubej » dans le programme d’armement de l’État jusqu’en 2027], TASS, 22 mars 2018.

11. T. Latynov, « 17-y “Biely Lebed” Rossii : v Kazani dostroili novy Tu-160 » [Le 17e « Cygne blanc » de Russie : à Kazan, la construction du nouveau Tu-160 est achevée], www.business-gazeta.ru/article/363841

12. « Modernizatsia Tu-22M3 natchniotsia v 2018 godou » [La modernisation des Tu-22M3 commencera en 2018], TASS, 17 novembre 2017.

13. « Dessiat MiG s raketami “Kinjal” zastoupili na boevoïé dejourstvo » [Dix Mig-31, porteurs de missiles « Kinjal », sont en exploitation], RIA Novosti, 5 mai 2018.

14. « Sdatchou pervogo modernizirovannogo “Boreia-A” perenesli na 2019 god » [Le lancement du premier « Borée-A » modernisé est repoussé en 2019], https://flotprom.ru/2018/298532

15. « Raketnoïé soedinenié 20-ï armii ZVO poloutchit novouïou tekhnikou » [Le groupement de missiles stratégiques de la 20e armée de la Région militaire occidentale sera équipé de nouveaux engins], Service de presse de la Région militaire occidentale, 5 décembre 2017.

16. Déclaration du ministre de la Défense de Russie, Sergueï Choïgou, au Collège du ministère de la Défense, 25 mai 2018.

17. « 31-ia otdelnaïa gvardeïskaïa dessantno-chtourmovaïa brigada boudet preobrazovana i vnov stanet divizieï » [La 31e brigade parachutiste de la Garde sera transformée et redeviendra une division] – Chamanov, Interfax-AVN, 5 mai 2018.

18. « VDV RF v 2018 godou sformirouiout tri tankovykh bataliona v dvoukh diviziakh i odnoï brigade » [En 2018, les forces aéroportées de la Fédération de Russie formeront trois bataillons de chars dans deux divisions et une brigade], TASS, 31 juillet 2017.19. Données du Centre d’analyse des stratégies et technologies, d’après des informations des médias de Russie.