Ru Ru

B) Économie

Alexandre Chirov
1 novembre 2017

Les conséquences économiques pour la Russie de la conférence sur le climat (COP21)

L’accord-cadre sur le climat, conclu à Paris en décembre 2015, aura été un événement considérable, susceptible d’influer sur les perspectives de développement de l’économie mondiale au cours des prochaines décennies. Comme tout accord global, il présente un certain nombre d’avantages et d’inconvénients, pour les pays tant développés qu’en développement.

La Russie, qui se trouve dans un contexte de limitations croissantes de son développement démographique, technologique et financier, doit réagir à temps aux défis et possibilités qui se font jour sous l’effet des processus mondiaux de protection de l’environnement.

Soulignons d’abord que le problème que vise à régler l’Accord de Paris existe vraiment. Les activités humaines sont à l’origine d’importants dégâts dans le milieu naturel. Dans certaines régions, la situation écologique est devenue intolérable, menaçant directement la qualité de vie des populations. Aussi ne peut-on que saluer les actions concertées se fixant pour but de réduire l’impact humain sur l’environnement.

En même temps, le caractère mondial des décisions concernant la régulation du climat permet de les considérer comme des facteurs influençant la dynamique et le développement structurel de l’économie. Les restrictions imposées, dans le cadre de l’Accord de Paris, sur les émissions de gaz à effet de serre peuvent changer significativement la structure de la consommation d’énergie et la géographie commerciale des ressources énergétiques.

Pour une série de pays en développement, les limitations à caractère écologique peuvent paraître un obstacle supplémentaire, non tarifaire, au négoce mondial, diminuant leur compétitivité. Cela explique que presque toutes les négociations pour parvenir au consensus final de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques se soient accompagnées de difficultés importantes.

L’économie russe se trouve au stade de l’élaboration d’une stratégie économique à long terme. Aussi toutes les limites fixées aux émissions des gaz à effet de serre doivent-elles être prises en compte dans la conception de l’ensemble des mesures de politique économique et du développement de certains secteurs.

Il convient de partir du fait que le principal impact sur l’économie de la Russie viendra non des obligations que celle-ci a assumées, mais des limites fixées aux émissions et acceptées par ses plus gros partenaires commerciaux – pays membres de l’Union européenne et Chine.

Selon nos estimations, les exportateurs russes de charbon seront les plus en difficulté. La dégradation de la situation écologique en Chine, ajoutée aux restrictions imposées dans le cadre de la régulation du climat, peut entraîner une baisse sensible de la demande en charbon de ce pays. Avec les limites qui seront peut-être fixées au développement de la production dans d’autres États de la région Asie-Pacifique, cela risque de conduire à une stagnation voire à une diminution de la demande en charbon extrait en Sibérie et en Extrême-Orient (actuellement, quelque 47 % des exportations de charbon russe partent vers l’Est). Il peut en résulter la révision d’une série de projets d’investissements dans ce secteur. Cela risque également de poser la question du chargement des tronçons du Transsibérien et de la ligne Baïkal-Amour (BAM) en cours de réfection.

À l’Ouest, la situation du charbon est plus diverse. L’Allemagne ayant renoncé à l’énergie nucléaire, la part du charbon dans les ressources énergétiques en Europe demeure assez stable, bien qu’elle puisse diminuer au fur et à mesure que se développeront les énergies renouvelables.

Écologie / économie : l’impossible entente cordiale ?

En ce qui concerne le complexe pétro-gazier, le maintien des volumes de production peut devenir le problème clef pour la Russie dans les décennies à venir. La dynamique modérée des prix du pétrole et du gaz, les risques de voir restreindre l’accès des producteurs russes à leurs marchés traditionnels (en premier lieu, le marché européen) et la pression des sanctions sont à même, ajoutés aux besoins de capitaux pour les nouveaux projets, de freiner l’augmentation de la production d’hydrocarbures. Dans ce contexte, la Russie sera contrainte de mettre au point une stratégie à long terme d’utilisation des ressources énergétiques. L’ajustement des prix du gaz naturel à l’intérieur et à l’export est, notamment, une des questions majeures.

Les limitations d’ordre écologique peuvent réduire fortement la demande en combustibles fossiles. Dans ces conditions, la réalisation des projets d’augmentation de la production du pétrole et du gaz, gourmands en capitaux (en premier lieu, les projets offshore), peut être repoussée, voire annulée.

Les limites imposées au développement des ressources naturelles contraindront l’économie russe, pour se développer, à augmenter la production hors du secteur énergétique. À moyen terme, pour parvenir à une croissance annuelle de 3-4 %, l’augmentation de la croissance hors secteur énergétique doit être de 5-7 % par an. Cette dynamique est possible à condition de développer préalablement les industries de transformation, avec un accroissement annuel d’au moins 6-8 %. Là, se pose la question de la compatibilité de cette dynamique avec les visées nationales de limitation des rejets de gaz à effet de serre.

Suite à la crise des années 1990, la Russie était parvenue, sans efforts particuliers, on le sait, à appliquer les exigences du Protocole de Kyoto. Bien plus, si l’on compare au niveau de 1990, les émissions de CO2 ont diminué en Russie de plus de 30 % ; un fait qui permet aux autorités russes et aux représentants de la communauté des experts de parler du tribut important de leur pays à la baisse de la pollution – tribut qui augmente encore si l’on prend en considération la capacité d’absorption des forêts.

Dans le cadre des « contributions nationales » pour la COP21, la Russie a jugé possible de fixer la baisse des émissions de CO2 pour 2030, de 25-30 % par rapport à 1990. Il est fort probable que le seuil de 75 % des émissions de 1990 figure dans sa « Stratégie de développement à faible densité de carbone ». La baisse des émissions à 70 % peut être obtenue grâce aux capacités d’absorption du biote (1) russe.

Les engagements pris par la Russie dans le cadre de la régulation du climat posent la question de leur compatibilité avec différents scénarios de développement économique. Des estimations macroéconomiques complexes montrent que dans aucun scénario de développement constructif, on ne retombe au niveau d’émissions de 1990 (2). En même temps, dans un scénario de croissance moyenne du Produit intérieur brut (PIB) de plus de 3,5 % pour les années 2017-2030, supposant une refonte structurelle de l’économie et un rythme plus important de la production industrielle dans la première moitié de la période envisagée, les émissions de CO2 peuvent, dès 2025, représenter 75 % du niveau de 1990. Il en résulte que, dans certaines conditions, les restrictions écologiques peuvent entrer en contradiction avec certains programmes de développement de l’économie russe, ce qui freinerait la mise en pratique de l’obligation inconditionnellement acceptée par la Russie de réduire l’émission des gaz à effet de serre.

En perspective, des limitations nationales de la part de pays développés, liant le commerce au niveau d’émission des gaz à effet de serre par le biais d’une législation fiscale, technique ou commerciale, peuvent faire courir à la Russie un risque important. Elles sont à même de produire une nouvelle spire de restrictions non commerciales dans le négoce mondial et de compliquer les négociations à venir sur la régulation du climat.

***

1. B. Fiodorov, Rossiïski ouglerodny balans : monografia [Le bilan carbone de la Russie : monographie], Naoutchny Konsoultant, Moskva, 2017.

2. A. Chirov, A. Kolpakov, « Ekonomika Rossii et mekhanizmy globalnogo klimatitcheskogo regoulirovania » [L’économie de la Russie et les mécanismes de régulation globale du climat], Journal ekonomitcheskoï assotsiatsii, n° 4 (32), pp. 87-111.