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B) Économie

Jean-Louis Truel
1 novembre 2017

Skolkovo, état des lieux

Le projet d’origine (1)

Après la crise de 2008-2009, le président russe de l’époque, Dmitri Medvedev, lançait un grand programme de « modernisation » de l’économie, dont un des éléments majeurs était l’accélération de l’innovation technologique. C’est dans ce cadre qu’en 2010 fut initié le projet d’un parc scientifique et technologique national situé à Skolkovo, dans la banlieue de Moscou.

Il s’agissait de construire une « ville de la science » constituant un pôle d’innovation cohérent avec des activités de recherche fondamentale, des entreprises innovantes, un Technoparc, une Business School (Skolkovo School of Management), une Université scientifique partenaire du Massachusetts Institute of Technology (Skoltech), mais aussi des bureaux et des habitations. Pour inciter les entreprises à devenir « résidentes » de Skolkovo, des avantages importants étaient accordés : subventions, exonérations d’impôt sur les bénéfices et de la taxe foncière, facilités d’embauche de personnels étrangers, simplification des formalités douanières… Les résidents bénéficient également de structures de soutien aux entreprises, de formation et de nombreuses actions de promotion.

Les activités ont été réparties en cinq clusters thématiques : technologies de l’information, espace, énergie, biotechnologies et médical, nucléaire.

L’objectif initial du projet était de créer un pôle de trente mille emplois et vingt mille habitants permanents à l’horizon 2020. Une partie importante des résidents devait être composée d’entreprises étrangères : start-up, PME et ETI innovantes, et grands groupes multinationaux. Plusieurs partenariats en ce sens ont été signés au début du projet.

La Fondation Skolkovo avait aussi pour mission de recruter des résidents dans les régions.

La situation actuelle

Au début de 2017, près de mille six cents entreprises sont résidentes de Skolkovo. Six cents d’entre elles bénéficient de ce statut tout en étant installées dans les régions.

Les clusters privilégiés sont les biomédicaux (30 %), les technologies de l’information (30 %) et l’énergie (23 %). Entre 2010 et mi-2016, environ deux cents entreprises ont bénéficié de subventions directes de la Fondation Skolkovo pour un montant total de 10 milliards de roubles (environ 150 millions d’euros). Des chiffres nettement inférieurs, cependant, aux prévisions initiales (25 à 30 milliards de roubles), en raison, notamment, d’une très forte diminution des crédits à partir de 2014.

Selon l’actuel Premier ministre Dmitri Medvedev, vingt et un mille emplois ont été créés et le chiffre d’affaires des entreprises résidentes a atteint 40 milliards de roubles en 2016. À la fin de l’année, 100 milliards de roubles étaient investis sur fonds publics et 92 milliards sur fonds privés (2).

Skolkovo a néanmoins connu une inflexion significative par rapport au projet de départ.

Le changement le plus important est le recentrage amorcé, dès 2012, en faveur des entreprises russes par rapport aux entreprises étrangères. Il y a toujours, officiellement, une cinquantaine de grands groupes internationaux ayant un statut de partenaire : Airbus, Alstom, Boeing, Cisco, Ericsson, General Electric, IBM, Intel, Microsoft, Nokia, Panasonic, Samsung, Schneider Electric, Siemens, entre autres. Mais, dans la plupart des cas, ils ont une activité limitée. Pire, le programme destiné aux PME et start-up étrangères pour leur permettre d’installer une activité de Recherche et Développement (R&D) en bénéficiant de subventions substantielles n’a pas donné les résultats escomptés. Dans les faits, alors que l’objectif initial était supérieur à cent, seule une vingtaine en a bénéficié (3). Cela peut s’expliquer par la baisse des budgets, par une accumulation de lourdeurs administratives mais aussi, largement, par l’opposition très forte de certains milieux d’affaires russes à ce qui était considéré comme un avantage indu (4).

À l’inverse, nombre d’entreprises russes ont déplacé une petite partie de leurs activités afin de bénéficier des avantages du statut de résident : statut fiscal avantageux, soutien logistique, espoir d’un accès privilégié aux contrats publics. Ceci explique la réalisation de l’objectif quantitatif du nombre de résidents mais, dans bien des cas, ce transfert est largement formel.

Le programme immobilier et de construction d’infrastructures a pris du retard. Au début de l’année en cours, moins de deux cents entreprises ont une activité significative sur le site. Le retard est encore plus notable pour les habitations et les infrastructures urbaines : les premiers immeubles d’habitation ont été livrés début 2017.

En revanche, on relèvera un certain taux de réussite pour les actions d’animation du réseau et de soutien aux entreprises, en particulier les plus petites : formation, networking, recherche de financement, communication, aide au développement international par le biais de nombreuses missions... Le technoparc offre également des infrastructures de premier plan aux quatre-vingt-dix entreprises résidentes.

De plus, Skolkovo est parvenu à être au centre de nombreuses opérations de promotion du système d’innovation russe : congrès, journée de l’innovation « Start-up Village », rencontres entre les start-up résidentes et les grands groupes internationaux, missions à l’étranger…

Parmi les start-up ayant une activité réellement opérationnelle et une ouverture internationale, certains secteurs sont particulièrement bien représentés : sécurité informatique, paiements et transactions électroniques, internet des objets, nouveaux matériaux, énergies renouvelables… En 2015, un nouveau secteur était créé au sein du cluster biomédical, celui des technologies agricoles et biotechnologies. Il répond à la problématique plus générale de la politique de substitutions d’importation, notamment dans le secteur agroalimentaire.

De grands groupes russes utilisent Skolkovo comme point d’appui pour leurs projets de développement des secteurs innovants : Tcherkizovo (agroalimentaire), qui a créé un accélérateur de start-up, ou encore Renova, holding de Viktor Vekselberg – également président de la Fondation Skolkovo – dans les énergies nouvelles.

Certains groupes étrangers ont toujours une présence active. On mentionnera Panasonic, qui a signé plusieurs accords de coopération et de transfert de technologie avec des entreprises résidentes et a fourni les logements d’habitation en équipements dernier cri. Plusieurs entreprises françaises, dont Airbus, Auchan, Leroy Merlin, Michelin, ont entamé des coopérations avec des start-up de Skolkovo. French Tech Moscou a également un partenariat depuis le début de l’année 2016.

Quel bilan ?

Dans un contexte économique difficile, Skolkovo a continué à se développer, mais au prix d’une réorientation vers les entreprises nationales et en réalisant une partie seulement de ses objectifs.

C’est un centre d’innovation important, offrant des conditions très favorables aux quelques centaines d’entreprises bénéficiaires d’aides publiques et/ou résidentes du Technoparc. La spécialisation sectorielle traduit les points forts technologiques du système russe de l’innovation dans son ensemble. Skolkovo s’est également doté d’une image qui lui permet de fédérer de nombreuses initiatives. Cependant, on est encore loin de l’ambition d’origine : en faire une méga-cité de l’innovation, regroupant les acteurs internationaux pour devenir l’équivalent des grands centres mondiaux.

On peut surtout se demander si une approche moins centralisée, au profit des centres régionaux, n’aurait pas permis une meilleure optimisation de l’investissement.

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1. Cf. Jean-Louis Truel, « Les politiques d’innovation en Russie », Russie 2014, Regards de l’Observatoire franco-russe (sous la direction d’Arnaud Dubien), Paris/Moscou, Le Cherche Midi, mai 2014.

2. Communiqué de la Fondation Skolkovo, 14 décembre 2016.

3. Estimation. Le chiffre officiel n’est pas public.


4. Pour reprendre la formule du dirigeant d’une entreprise informatique russe : « Quand on me parle d’une compagnie qui “investit” à Skolkovo, j’ai l’impression qu’elle vient m’ôter une part de mon business. Et elle va, pour cela, obtenir une aide de l’État russe ».