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C) Économie

Sergueï Efremov
1 novembre 2019

Projets nationaux 2018-2024 : mode d’emploi

Dans son « décret de mai » 2018, le président de la Fédération de Russie fixe au gouvernement des « objectifs nationaux de développement » jusqu’en 2024. Ceux-ci englobent la garantie d’un accroissement naturel stable de la population, l’augmentation de l’espérance de vie jusqu’à soixante-dix-huit ans, l’assurance d’une hausse durable des revenus réels ainsi que des retraites, la réduction de moitié de la pauvreté, l’amélioration des conditions de logement pour au moins cinq millions de foyers par an, l’accélération du développement technologique ainsi que des technologies numériques dans l’économie et le secteur social, l’intégration de la Russie dans les cinq premières économies mondiales, un rythme de croissance économique supérieur à la moyenne mondiale tout en préservant la stabilité macroéconomique, ou encore la création, parmi les fondamentaux de l’économie du pays, d’un secteur de grande qualité axé sur l’export. Ces objectifs sont également importants en raison de leur coïncidence conceptuelle avec le calendrier international, dont une série d’enjeux du développement durable mis en évidence par l’Organisation des Nations unies.



Les projets nationaux sont un outil essentiel pour atteindre les objectifs de développement. Douze sont aujourd’hui en cours de réalisation (Démographie, Santé, Formation, Logement et milieu urbain, Écologie, Sécurité et qualité des routes, Productivité et aide à l’emploi, Science, Culture, Économie numérique, petites et moyennes entreprises et soutien aux initiatives entrepreneuriales individuelles, Coopération internationale et export), auxquels il convient d’ajouter un Plan complexe de modernisation et d’élargissement des principales infrastructures. Il s’agit de projets fédéraux, qui se « déclinent » ensuite jusqu’aux projets régionaux, souvent à mettre en œuvre dans tous les « sujets » de la Fédération. Ainsi l’ensemble des échelons du pouvoir étatique se voit-il impliqué dans la réalisation des projets nationaux.

Une place importante est réservée au développement des petites et moyennes entreprises. Le projet concernant les PME prévoit de développer un système d’aide à leur intention, depuis leur création jusqu’à ce qu’elles commencent à travailler à l’export. Un programme de taux bonifiés est ainsi prévu pour favoriser leur accès aux ressources financières. Le coût élevé des emprunts est l’un des principaux obstacles à leur évolution, au même titre que les particularités de l’environnement institutionnel. Des mesures spéciales visent à soutenir les entreprises orientées vers l’export, à améliorer le système des marchés passés par de gros clients auprès de PME, à aider les coopératives agricoles et les fermiers privés. Le projet se fixe pour but d’élever à 32,5 % la part des PME dans le PIB pour 2024 (le niveau actuel étant, selon les chiffres avancés dans le projet, de 22,3 %), de favoriser leurs exportations et de faire passer le nombre des actifs de ce secteur de 19,2 millions de personnes à 25 millions (près du tiers de la population active). Les mesures figurant sous l’intitulé « Transformation du climat des affaires » incluent une amélioration du contrôle et de la supervision, de l’administration des douanes et de la qualité de la réglementation.

Renforcer la confiance

Une place importante est également accordée au développement des exportations russes. Tel est l’objectif du projet « Coopération internationale et export », qui concerne, entre autres, les secteurs de la logistique, de l’industrie, de la construction, de l’agriculture, des technologies de l’information. Un rôle majeur est ici dévolu à la libéralisation des régimes de visas, ainsi qu’à la promotion du tourisme dans la Fédération de Russie. Ajoutons que la réussite du projet dépendra en partie de la capacité à renforcer la confiance de la communauté d’affaires internationale envers, principalement, les institutions étatiques et juridiques de Russie. La confiance a un impact sur les investissements et, à leur tour, la stabilité et la prévisibilité du contexte macroéconomique et politique influent sur la confiance.

Des investisseurs russes et étrangers peuvent œuvrer à la réalisation des projets nationaux, en commençant par localiser leur production en Russie, ce qui offrira des opportunités supplémentaires pour attirer des financements de l’étranger et à l’intérieur même du pays, pour augmenter la qualité de la production, développer les transferts de technologies et les échanges de bonnes pratiques. Bien que le financement des projets nationaux soit principalement assuré par le budget fédéral, des possibilités de cofinancement existent, hors deniers de l’État.

Un ensemble de projets se fixe pour objectif de développer le secteur social et le capital humain (il s’agit des projets nationaux « Formation », « Santé », « Démographie », « Culture »). Les projets « Productivité et aide à l’emploi », « Science » sont également consacrés au capital humain, et le programme « Économie numérique » vise plus spécifiquement les cadres (il s’agit d’un programme « transversal », destiné à différents secteurs et branches). Il est envisagé d’augmenter la productivité en s’inspirant d’expériences étrangères, notamment françaises, japonaises, allemandes… La réussite des projets pourra être mesurée à leur capacité de transformer le capital humain en développement économique et compétitivité de l’économie. L’existence d’un ascenseur social, une meilleure qualité de la formation, notamment technique et pédagogique, ne manqueront pas d’avoir un impact dans ce domaine.

Compte tenu de l’immensité du pays, il importe particulièrement, pour le développement économique, d’accroître la connectivité des régions, leur accessibilité, en vue d’augmenter la mobilité du travail et la rapidité de circulation des marchandises. C’est à cette fin qu’a été prévu le Plan complexe de modernisation et d’élargissement des principales infrastructures, qui concerne les chemins de fer, les transports aérien, routier, maritime et fluvial, de même que le développement des infrastructures électriques. Des corridors de transport « Ouest-Est » et « Nord-Sud » sont prévus, auxquels il faut ajouter la construction et la modernisation de tronçons de routes pour des itinéraires « Europe-Chine occidentale », sans oublier le développement de la Route maritime du Nord. La construction et la modernisation de points de passage des frontières de la Fédération de Russie sont également planifiées.

Pour la coordination, contre la bureaucratisation

Pour atteindre les objectifs des projets nationaux, il importe de coordonner l’action des divers organes de pouvoir, en premier lieu des échelons fédéral et régional, de la planification à la réalisation. Une des conditions majeures du succès sera la qualité du travail de conception des projets effectué par la Fédération avec les régions, ainsi qu’au sein même des régions. Il est indispensable, à cette fin, d’intégrer la conception des projets dans le travail quotidien des organes de pouvoir. Si les administrations « s’enlisent » dans la bureaucratie et donnent la priorité aux affaires courantes, perdant ainsi de vue les objectifs de développement, l’efficacité des projets nationaux sera limitée. De ce point de vue, le système des indicateurs de performance des principaux responsables a une importance majeure et doit être activement utilisé. Il représente un ensemble de signaux servant à mobiliser le pouvoir à différents niveaux. Les indicateurs de performance personnels réduisent, en outre, les possibilités de se renvoyer la balle des responsabilités en cas d’échec.

Les projets peuvent être affinés, complétés, ce que prévoit l’approche choisie. Ils doivent être un mécanisme « vivant », assez souple pour s’adapter aux circonstances extérieures. Pour atteindre les buts fixés, des approches inter-projets peuvent être nécessaires en complément des projets entérinés.

Les résultats dépendront de la qualité du suivi. Celui-ci est important pour aider à prendre des décisions de gestion. Le suivi est favorisé par la présence d’une infrastructure informationnelle, permettant, à partir d’un centre unique, de repérer l’état d’avancement et les risques à tous les niveaux de l’exécution. L’existence d’une infrastructure numérique informationnelle est également un gage de succès. Une place particulière est réservée au « Budget électronique ».

Le potentiel des projets nationaux ne doit pas être exagéré. Des estimations indiquent qu’ils coûteront, dans les années 2019-2024, entre 2,8 et 4 % du PIB. Les chiffres peuvent changer dans le cadre de la « planification continue », autrement dit au fur et à mesure de diverses mises au point durant la réalisation, notamment avec la prise en compte des dotations budgétaires disponibles. La contribution des projets nationaux au développement du PIB peut devenir réalité à la condition première de développer les infrastructures, d’augmenter le volume et la qualité des investissements dans la santé, la science et la formation. Les investissements dans les secteurs énumérés ont souvent un effet différé sur le développement économique.

Les financements les plus importants (selon les plans du début de l’année 2019) doivent être attribués au Plan complexe de modernisation et d’élargissement des principales infrastructures, de même qu’aux projets concernant la sécurité et la qualité des routes, l’écologie, la démographie, la santé et l’économie numérique. Cela donne une idée de l’ampleur des obligations de l’État dans les secteurs évoqués et, indirectement, des priorités dans les projets énumérés.

Afin de réaliser les projets nationaux, il importe de vaincre l’inertie bureaucratique et de simplifier des procédures souvent redondantes. Des mécanismes ont ainsi été mis en place pour une harmonisation simplifiée des divers actes juridiques indispensables.

Le « décret de mai » est un guide pour les organes du pouvoir à tous les niveaux et une promesse faite à la société de résultats que l’on prévoit d’atteindre d’ici à 2024. Sous ce rapport, il importe de prendre en compte les propositions de la société civile, les points de vue du monde des affaires et des investisseurs. Cette prise en compte, impliquant une adaptation des plans (notamment dans le cadre de la « planification continue »), est un instrument important pour augmenter la confiance envers les projets nationaux et accroître les investissements.

Les projets nationaux sont un des messages essentiels du nouveau cycle politique entamé en 2018. L’obtention de résultats et la prévention des blocages qui laisseraient les choses à l’état de projets dépendront de l’élimination des risques évoqués ci-avant, de la vision des objectifs de développement aux divers échelons du pouvoir, de la confiance de la société et des investisseurs envers ces instruments que sont les projets nationaux, de la capacité de l’État à assurer leur coordination et leur mise en œuvre.