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D) Régions

Natalia Zoubarevitch Natalia Zoubarevitch
1 novembre 2019

Le développement des grandes villes : opportunités et obstacles

La Russie a un taux élevé d’urbanisation (74 %) et une part importante de sa population vit dans de grandes villes, dont plus de 21 % dans des agglomérations de plus d’un million d’habitants, et 31 % si l’on ajoute les villes d’un demi-million de personnes. Dans les économies de type postindustriel, les mégapoles sont des « moteurs » de développement. En Russie, pourtant, elles ne jouent pas encore un rôle déterminant, le pays continuant à vivre de la rente pétrolière. Sont-elles en mesure d’y parvenir ? La réponse à cette question passe par l’analyse de leurs indicateurs socioéconomiques et des facteurs institutionnels de leur développement.

Entrent dans la catégorie « grandes villes » en Russie les agglomérations de plus de cent mille habitants. Elles étaient au nombre de cent soixante-dix-huit en 2017, soit 16 % des villes du pays, dont vingt et une dans la région de Moscou – une concentration favorisée par celle, croissante, de la population dans l’agglomération de la capitale. L’agglomération de Saint-Pétersbourg, elle, n’en compte aucune. Près de la moitié des grandes villes (42 %) sont des centres régionaux, qui « attirent et aspirent » la population des environs.

À la fin de l’année 2018, quinze villes de Russie comptaient plus d’un million d’habitants, les plus récentes de la liste étant Krasnoïarsk, Voronej et Krasnodar, principalement en raison d’un élargissement de leurs limites territoriales.

Ces villes sont largement dépassées par les deux capitales, Moscou et Saint-Pétersbourg, tant en nombre d’habitants (9-10 fois plus et 4-5 fois plus respectivement) ; toutes deux ont un statut de ville fédérale (« sujets » de la Fédération) et, en conséquence, beaucoup plus de ressources budgétaires et de pouvoir de décision. Toutes les autres villes sont des municipalités, ce qui, dans le système russe, limite à l’extrême leur budget et leur autonomie. Les deux villes fédérales et leurs agglomérations sont largement « coupées » des autres grandes villes, et il convient de les examiner sur le fond du pays tout entier.

Moscou et Saint-Pétersbourg sur fond de Russie


Aux avantages objectifs d’être la plus grosse agglomération du pays, s’ajoute, dans le développement de Moscou et la concentration de ses ressources financières et humaines, un avantage institutionnel : le statut de capitale. Ce dernier est très important pour deux raisons : la « verticale du pouvoir » en Russie et la domination, sur le plan économique, de grandes banques et compagnies ayant leur siège à Moscou. Saint-Pétersbourg a une population moindre et moins d’avantages en tant qu’agglomération ; le transfert des sièges de Gazprom et Gazprom Neft, dans les années 2010, a cependant constitué pour la ville et son budget un atout institutionnel incontestable.

La concentration de la population et de l’économie du pays dans les deux plus grosses agglomérations se poursuit, principalement en faveur de Moscou. L’agglomération de la capitale abrite plus de 13 % de la population, soit un habitant de Russie sur sept. De ce point de vue, Moscou dépasse Saint-Pétersbourg de 2,4 fois, mais la différence entre les deux villes est encore plus forte pour la concentration de l’économie et des ressources budgétaires (tableau 1). Moscou représente près de 20 % de la totalité du produit national brut, la part de Saint-Pétersbourg étant quatre fois inférieure. La capitale récupère presque 15 % de tous les investissements du pays – une part en augmentation, ces dernières années, grâce aux gigantesques investissements effectués par la ville (23 % de l’ensemble des investissements de Moscou en 2018) ; Saint-Pétersbourg accuse un retard de 3,2 fois.
Les agglomérations des villes fédérales attirent des populations de toute la Russie, elles concentrent la demande solvable, y compris pour le logement : au total, les deux agglomérations comptent le quart des logements neufs dans le pays. Si, ces dernières années, Saint-Pétersbourg a dépassé la capitale pour la construction, l’agglomération de Moscou propose plus de 16 % des appartements neufs du pays, la plupart à sa périphérie, où ils sont moins onéreux. La concentration des crédits pour le logement est encore plus importante : selon la Banque centrale, près de 20 % concernent l’agglomération de Moscou, auxquels il faut ajouter 7,5 % à Saint-Pétersbourg et dans la région de Leningrad.

La capitale concentre environ le quart du commerce de détail, la part de Saint-Pétersbourg/région de Leningrad est quatre fois moindre. Cela s’explique par les revenus moyens de la population moscovite, une fois et demie supérieurs à ceux de Saint-Pétersbourg, comparables, eux, aux revenus de la région de Moscou. La concentration d’argent dans la capitale est énorme, deux fois plus importante que la population : la ville compte 17 % de tous les revenus de Russie et, avec la région de Moscou, elle atteint presque 25 %. L’épargne est encore plus importante – 35 % des dépôts en banque (41 % avec la région) ; Saint-Pétersbourg accuse ici un retard de 4,7 fois. Ultra-riche, Moscou est beaucoup plus coupée du reste du pays que Saint-Pétersbourg.

Moscou dispose en outre d’énormes rentrées budgétaires (2 400 milliards de roubles en 2018) ; sa part correspond, depuis de nombreuses années, à 19-20 % du budget de toutes les régions, soit un rouble sur cinq. Saint-Pétersbourg en a trois fois moins, malgré le transfert du siège de grosses compagnies contribuant largement à son budget. Ces importants moyens permettent aux autorités de la capitale d’investir dans le développement de la ville : Moscou concentre 27 % des dépenses de tous les budgets régionaux pour l’économie nationale (transports, construction de routes…) et ses infrastructures s’améliorent rapidement. Saint-Pétersbourg accuse ici un retard de 5,7 fois. Moscou engage aussi des sommes considérables pour le bien-être de la population, plus de la moitié (56-60 %) des dépenses de toutes les régions dans les années 2016-2018. Saint-Pétersbourg dépense quinze fois moins. Moscou consacre également les sommes les plus importantes à la protection sociale (21 % des aides de toutes les régions), bien que les Moscovites ne soient pas – il s’en faut de beaucoup – les plus pauvres du pays. Saint-Pétersbourg en dépense cinq fois moins. Tous ces chiffres confirment, s’il en était besoin, la justesse du dicton : « Moscou n’est pas la Russie ».

Développement socioéconomique des grandes villes


La situation démographique s’est dégradée dans les grandes villes, comme dans l’ensemble du pays. En 2017 (1), la population avait diminué dans vingt-deux gros centres régionaux, contre dix seulement en 2011. Les villes où elle augmente le plus vite sont Tioumen, Krasnodar et Grozny ; celles où elle chute particulièrement – Mourmansk, Kourgan et Orel. Dans les grandes villes hors capitales régionales, la situation est assez désolante : en 2017, 55 % d’entre elles se dépeuplaient, contre 46 % en 2011. Deux facteurs jouent sur la courbe démographique : l’accroissement naturel de la population et les migrations. En 2017, on relevait une baisse de la population hors migrants dans presque la moitié (47 %) des grands centres régionaux, et plus encore (58 %) dans les grosses villes hors capitales régionales. La population des agglomérations urbaines vieillit, la mortalité augmente, tandis que baisse la natalité. L’accroissement migratoire a en moyenne été négatif, en 2016-2017 (2), pour un tiers des centres régionaux et plus de la moitié (52 %) des villes hors capitales régionales. Parmi les centres régionaux, viennent en tête pour les migrations Tioumen, Krasnodar et Kaliningrad, et les dix premières villes hors centres régionaux sont toutes de la région de Moscou, à laquelle il faut ajouter Sotchi. Hors capitales régionales, ce sont les grosses agglomérations qui attirent les migrants, ainsi que le Sud de la Russie, mais la plupart connaissent une baisse de population en raison d’un reflux migratoire.
Le vieillissement de la population des grandes villes apparaît également dans la structure des âges. Dans vingt-huit gros centres régionaux (soit 36 % d’entre eux), la part de la population n’étant plus en âge de travailler l’emporte sur la moyenne des villes russes. Les villes de la Russie centrale (Tambov, Briansk, Orel, Kalouga, Toula – 28-30 %) détiennent le record. Le vieillissement est encore plus marqué dans les villes qui ne sont pas des capitales régionales, 44 % d’entre elles abritant plus de personnes âgées que la moyenne russe. Seules les grosses villes des régions pétrolières du Nord et le Caucase ont une population plus jeune.

On peut évaluer le niveau de développement économique des grandes villes à leur productivité industrielle par habitant, aux investissements, au commerce de détail, au nombre de nouveaux logements pour mille habitants, ainsi qu’au salaire moyen de la population (3). Pour 2017, les différences entre les grandes villes, selon les indicateurs choisis, sont très importantes. Les dix villes de tête pour la production industrielle ne sont pas des capitales régionales, ce sont des agglomérations spécialisées dans la métallurgie, l’extraction pétrolière et la pétrochimie (Tobolsk, Norilsk, Nijnekamsk, Tcherepovets, Salavat, Sourgout, entre autres). Parmi les centres régionaux, seules Lipetsk, Toula, Oufa, Omsk, Perm, Volgograd et Tcheliabinsk – auxquelles, depuis les années 2010, s’est ajoutée Kalouga – conservent des indices supérieurs à la moyenne nationale. Pour 40 % des grandes villes, les indices de production sont au moins deux fois inférieurs à la moyenne et, dans une ville sur dix, ils sont au plus bas (moins de 20 % par rapport à la moyenne). Il s’agit, en l’occurrence, de lieux de villégiature du Sud et de villes faiblement développées des républiques du Caucase du Nord. Ces tendances sont constantes depuis le début des années 2000.

On note des oppositions plus polaires encore pour les investissements. En 2017, les plus gros investissements par habitant ont concerné la ville de Tobolsk (région de Tioumen), avec la construction d’un complexe chimique, et d’autres villes industrielles spécialisées dans l’extraction et le traitement primaire des ressources pétrolières, gazières et métallurgiques (Norilsk, Oukhta, Nijnekamsk, Novy Ourengoï). L’analyse doit prendre en compte les inexactitudes statistiques : ainsi, Astrakhan et Ioujno-Sakhalinsk se sont vu « attribuer » des investissements destinés à des réalisations industrielles hors de leurs limites. La véritable bénéficiaire des investissements les plus importants par habitant en 2017 a été Moscou (1,5 fois plus que la moyenne nationale) ; quelques villes se sont situées un peu au-dessus de la moyenne, telle Saint-Pétersbourg (1,2 fois). Seuls six centres régionaux ont également dépassé la moyenne : Iakoutsk, Khanty-Mansiïsk, Tioumen, Kaliningrad, Rostov-sur-le-Don et Krasnodar. À Rostov et Kaliningrad, la raison en a été la Coupe du monde de football (construction d’un stade et d’un aéroport) – un effort à court terme, qui ne saurait garantir une augmentation régulière des investissements. La plupart des grandes villes ne sont pas devenues attrayantes pour les investisseurs : dans 56 % d’entre elles, les investissements par habitant ont été inférieurs d’au moins deux fois à la moyenne nationale. Les outsiders sont deux centres régionaux (Makhatchkala et Ivanovo), ainsi que des dizaines de villes qui ne sont pas des capitales régionales et dont l’économie est dépressive.

Pour les autres indicateurs, les différences demeurent. En ce qui concerne les nouveaux logements par personne en 2017, les villes de la région de Moscou restent en tête (entre trois et sept fois plus que la moyenne de la Fédération de Russie) ; il faut aussi mentionner Krasnodar, les migrations entraînant une demande dans ce domaine. Le commerce se porte beaucoup mieux à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans les villes limitrophes de la capitale ; il est nettement plus faible dans les villes du Caucase du Nord et celles d’Extrême-Orient, hors capitales régionales (4).

Les différences entre les villes n’ont guère varié depuis le début de la décennie en cours. La tendance reste inchangée : les villes de l’agglomération de Moscou sont celles qui se développent le plus rapidement, tandis que celles qui ne sont pas des capitales régionales accusent, pour la plupart, un retard de plus en plus important. Les industries se concentrent dans les villes travaillant à l’export, les investissements dans les villes fédérales et les grands centres industriels, la construction de logements dans les agglomérations de Moscou et des gros centres régionaux. On note la même permanence dans les différences de salaires : viennent en tête les villes du Nord, spécialisées dans les ressources naturelles, et les villes fédérales. Les inégalités entre les grandes villes sont également constantes et dues à des facteurs objectifs : taille, statut, spécialisation économique et situation géographique.

Polycentrisme de la Russie : opportunités et obstacles

2018 a vu l’élaboration et l’adoption de la Stratégie de développement territorial en Russie (5). L’un de ses principaux objectifs est la formation de grosses agglomérations urbaines et d’un espace national polycentrique. La Stratégie retient quarante agglomérations d’un demi-million d’habitants et plus, qualifiées de « très grosses villes, centres potentiels de croissance ». Le budget fédéral est censé leur allouer des moyens supplémentaires pour développer leurs infrastructures.

La première version de la Stratégie comprenait entre quinze et vingt agglomérations. Leur nombre a doublé en raison d’un phénomène typique en Russie : le lobbying des pouvoirs locaux dans l’espoir d’obtenir des financements supplémentaires. La liste définitive inclut désormais toutes les villes d’un demi-million d’habitants, indépendamment de leur situation socioéconomique et de leurs perspectives de développement. Il en résulte que si un soutien est effectivement accordé, il se fera sous la forme d’un saupoudrage général ou impliquera une sélection sur des critères plus ou moins opaques.

Les autorités de Russie ne veulent pas considérer les obstacles objectifs et institutionnels au développement des agglomérations, qui le cèdent de plus en plus à l’agglomération de Moscou. Si l’on fait la somme des indicateurs des treize villes d’un million d’habitants et d’autres grosses villes entrant dans leurs agglomérations, si l’on y ajoute ceux de l’agglomération Saratov-Engels, qui compte plus d’un million d’habitants, la part de ces quatorze agglomérations dans la population du pays n’atteint pas 13 %, elle est de 17 % dans la construction de logements, de 15 % dans le commerce de détail (6). Ces indicateurs sont inférieurs ou comparables à la part de l’agglomération de Moscou (tableau 1). La part totale des quatorze villes considérées pour les investissements (8,5 %) représente la moitié de celle de Moscou – les investissements revenant, en Russie, aux territoires qui présentent les plus gros avantages concurrentiels, autrement dit à la principale agglomération du pays (20 % en 2018) et à la principale région productrice de pétrole et de gaz, celle de Tioumen (14 %).

Autre caractéristique, les agglomérations se développent différemment, ce que confirment les indices par habitant des quarante plus grosses villes de Russie, abritant plus de cinq cent mille personnes, auxquelles s’ajoute Kaliningrad (475 000 habitants) (graphique 2). Les villes spécialisées dans la métallurgie, l’extraction pétrolière et la pétrochimie, qui ont de gros revenus grâce à l’exportation de leur production, restent les principaux centres industriels (7). Les plus attrayantes pour les investissements sont les villes fédérales, les indices élevés d’autres centres régionaux s’expliquent par des facteurs à court terme ou parce qu’ils leur sont « rattachés ». Pour la construction de logements par habitant, arrivent en tête les villes du Sud, plus agréables à vivre, les centres régionaux des Terres noires, de même que Tioumen et Kaliningrad.
Le commerce de détail est le plus actif dans les villes fédérales et dans certains centres régionaux importants ou qui se développent rapidement (Ekaterinbourg, Kazan, Krasnodar, Tioumen). Pour les salaires, revus en tenant compte du coût de la vie, les villes fédérales, Ekaterinbourg, Tioumen et Irkoutsk occupent les premières places, mais dans la plupart des grosses villes les différences ne sont pas énormes, aussi n’y a-t-il pas entre elles de flux de migrants conséquents : quitte à partir, autant aller à Moscou ! Les statistiques des villes sont imprécises ; elles n’en montrent pas moins que les villes leaders sont Moscou et Saint-Pétersbourg ; ne se détachent par ailleurs que Krasnodar, Tioumen, Kazan et, partiellement, Kaliningrad.

Les perspectives de développement des plus grosses agglomérations pour les dix ou quinze années à venir dépendent de la concentration de population qu’elles ont déjà atteinte et de l’économie de leur région. Deux gigantesques « aspirateurs » – Moscou et Saint-Pétersbourg – « avalent » les ressources humaines et financières de l’ensemble du pays, les autres grandes villes sont moins concurrentielles et doivent généralement se contenter des ressources de leur région. Quelles sont les grandes villes et leurs agglomérations susceptibles de se développer en disposant d’une « réserve » plus conséquente de ressources régionales ?

Les calculs effectués selon les données de Rosstat pour 2017 montrent que les possibilités de développement par une concentration des ressources locales sont maximales pour les agglomérations du Sud du pays (Krasnodar, Rostov-sur-le-Don, Makhatchkala) et pour les capitales des républiques de la Volga (Kazan, Oufa). Elles ont une part moindre en ce qui concerne le nombre d’habitants, la population active, les investissements, la construction de logements et le commerce de détail de leur région (graphique 3). Les chances de développement de Samara, Novossibirsk, Omsk et Volgograd sont fortement limitées, dans la mesure où elles ont déjà atteint un niveau élevé de concentration.
Un certain nombre d’obstacles institutionnels freinent toutefois le développement des grandes villes et de leurs agglomérations. Tous les centres régionaux sont des municipalités ayant le statut de districts urbains, ils ont peu de rentrées fiscales et assez peu de marge de manœuvre. La plupart des impôts sont portés au compte du budget régional ou fédéral, les districts urbains n’ont droit qu’à 15 % de l’impôt sur le revenu collecté sur leur territoire (en 2012, ils en avaient 30 %), ainsi qu’à l’impôt foncier et immobilier (très peu élevé en Russie) pour les particuliers et aux taxes des petites entreprises. Constituer sur cette base un budget non déficitaire de grande ville est impossible. Le niveau de dotations des districts urbains est passé de 47 % en 2010 à 59 % en 2018 (tableau 2). Dans les régions comprenant des villes d’un million d’habitants, les districts urbains de la région de Tcheliabinsk ont bénéficié du plus haut degré de dotations pour 2018 (69 %), et ceux des régions de Sverdlovsk, de Rostov et du territoire de Krasnoïarsk ont touché plus que la moyenne (63-64 %). Les moins favorisés ont été ceux du Tatarstan (42 %) et des régions de Samara et Novossibirsk (47 %) ; néanmoins, là aussi, les autorités régionales contrôlent presque la moitié des rentrées budgétaires des grandes villes.
La part du lion des transferts (34 % sur 59 %) est constituée de subventions décidées par le pouvoir régional, qui fait parvenir les fonds aux villes. 16 % sont des subsides attribués à des projets précis, dans lesquels la région est également décisionnaire, tandis que la ville doit les cofinancer. Les dotations (des fonds dont la ville peut user librement) ne représentent que 5 %. Bref, les villes n’ont guère d’argent à consacrer à leur développement, la gestion est décidée d’en haut, presque toute la politique sociale de la municipalité (santé, enseignement, protection sociale) est transférée à l’échelon de la région.

Pour réduire les obstacles institutionnels, une décentralisation du système de gestion est indispensable. Dans les années 2000, les villes conservaient une part plus importante des impôts, notamment ceux sur le revenu des particuliers, et avaient plus d’autonomie dans les prises de décisions. Toutefois, la « verticale du pouvoir » leur a imposé des restrictions drastiques. Le résultat est que la concurrence entre les grandes villes existe non pour les ressources humaines et les investissements d’entreprises, ce qui favoriserait le développement, mais pour une aide financière en provenance des budgets régional et fédéral. Seul un changement des institutions, c’est-à-dire des règles du jeu en Russie, susciterait entre les agglomérations une concurrence à même de stimuler leur développement. Malheureusement, au niveau local, on ne s’occupe guère des problèmes institutionnels, et le pouvoir fédéral estime qu’il est plus important d’aider financièrement les agglomérations à développer leurs infrastructures. * * *
Les tendances et les obstacles au développement des grandes villes et agglomérations de Russie sont bien connus, mais il est nécessaire d’expliquer les résultats des études et de marteler leurs conclusions jusqu’à ce que des changements soient amorcés dans le pays.

Moscou conservera ses avantages tant qu’existeront en Russie une « verticale du pouvoir » inflexible et la domination des grosses compagnies. Sans changements institutionnels, Moscou se « coupera » encore plus du pays, et les habitants de Russie auront une vision encore plus négative de la capitale.

Malgré toutes les tentatives de doter Saint-Pétersbourg d’avantages institutionnels supplémentaires, Moscou garde au moins trois longueurs d’avance pour les principaux indices socioéconomiques, particulièrement en ce qui concerne le budget. L’attrait croissant de Saint-Pétersbourg pour les migrants de toute la Russie s’explique par un coût de la vie inférieur à celui de Moscou, avec, néanmoins, les vastes opportunités qu’offre une grande agglomération.

Les centres régionaux se portent généralement mieux que les autres villes ; il en résulte que toute tentative d’agrandir les régions portera un coup aux « relais de croissance » – les villes capitales régionales.

Les années 2010 ont été marquées par un renforcement de la polarisation du développement urbain : les villes de l’agglomération de Moscou, auxquelles il faut ajouter quelques centres régionaux assez performants (Krasnodar, Tioumen, Kazan), réalisent des avancées fulgurantes, tandis que les grandes villes qui ne sont pas des capitales régionales et ont une économie dépressive sont de plus en plus à la traîne.

Résoudre les problèmes des grandes municipalités implique une décentralisation du système de gestion et une diminution des obstacles au développement des petites et moyennes entreprises. Or, cela n’est pas réalisable dans le cycle politique et économique actuel. En conséquence, le retard des gros centres régionaux sur Moscou et Saint-Pétersbourg se creusera encore.

Un développement polycentrique de la Russie n’est possible qu’au prix d’une transformation radicale des institutions – par le passage d’une hyper-centralisation à une décentralisation, y compris au sein des régions. Sans cette transformation, toute tentative de résoudre la question du retard des grands centres régionaux sur les villes fédérales est vouée à l’échec, même si les premiers bénéficient de financements supplémentaires du budget fédéral pour développer leurs infrastructures.
1. Le Service fédéral des statistiques Rosstat a du retard dans la publication des données urbaines; les plus récentes remontent à 2017.


2. L’indice moyen vise à corriger les inexactitudes et insuffisances des statistiques.


3. Les statistiques municipales ne prennent en compte les salaires que pour les grandes et moyennes entreprises et organisations. Les indices d’investissements et de nouveaux logements concernent en moyenne la période 2016-2017, en raison des fortes fluctuations des statistiques. Les indicateurs du commerce de détail et des salaires sont revus en fonction des différences de prix selon les régions.

4. Si ces villes sont à la traîne, la faute en revient partiellement aux statistiques : Rosstat mesure les bénéfices des magasins de taille moyenne et plus ; or, la part des petits commerces et de l’initiative individuelle est plus élevée dans le Caucase du Nord et en Extrême-Orient.

5. Lire l’article de Jean Radvanyi dans le présent volume Russie 2019.

6. Pour rendre comparables les statistiques municipales du commerce de détail (calculées d’après les grosses et moyennes structures) à celles des régions (qui prennent en compte toutes les structures), l’indice total est complété en incluant la part des grosses et moyennes structures commerciales dans le chiffre d’affaires du commerce de détail (47 %).

7. Les indicateurs élevés, par habitant, de la production industrielle à Moscou et Saint-Pétersbourg sont en grande partie statistiquement faussés en raison de l’enregistrement dans les villes fédérales des compagnies pétrolières et gazières, ainsi que de celles de transformation.