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B) Économie

Oleg Govtvan
1 novembre 2017

Le système bancaire russe en 2017

L’analyse de l’évolution du secteur bancaire russe en 2016 n’incline guère à l’optimisme. Les actifs des banques commerciales ont chuté de 3,5 % et représentaient, au début de 2017, près de 80 000 milliards de roubles, les crédits aux entreprises non financières ont été réduits de 9,5 %, les placements de titres, de 2,8 %. Les crédits accordés à la population ont, eux, augmenté d’1,1 %, ce qui s’explique entièrement par l’accroissement des prêts hypothécaires (en grande partie grâce au programme de soutien des hypothèques par l’État, qui a pris fin au début de 2017). Le solde des entreprises a nettement diminué (-9,9 %) sur les comptes bancaires. Parallèlement, les dépôts des particuliers ont augmenté de 4,2 % : bien que cette augmentation soit due aux intérêts courus, il n’en reste pas moins que l’on est parvenu à éviter, grosso modo, une baisse des dépôts de la population.

L’évolution des indicateurs bancaires a été en grande partie déterminée par les fluctuations du taux de change. La consolidation du rouble a relativement déprécié les actifs et passifs en devises et, par ailleurs, stimulé leur restructuration en roubles. La dépréciation des actifs monétaires a fait perdre 5,4 % au total de l’actif du secteur bancaire. En d’autres termes, sans prise en compte de l’évolution du taux de change, les actifs auraient enregistré une toute petite hausse. Notons que, sous ce rapport, la situation de 2016 est le reflet en miroir de celle de l’année précédente où la hausse des actifs des banques commerciales s’expliquait par la chute du rouble. Nous voyons dans les résultats des années 2015-2016 une stagnation du système bancaire en Russie ; les changements ne reflètent, pour l’essentiel, que des correctifs structurels en fonction des fluctuations du taux de change (et d’autres facteurs extérieurs). Il faudra, bien sûr, pour surmonter la crise économique, que le secteur bancaire se montre plus dynamique.

La poursuite du mouvement de concentration des actifs est un autre aspect important de l’évolution du système bancaire en Russie. À la fin de 2016, 56 % étaient répartis entre cinq très grands établissements : Sberbank, VTB, Gazprombank, VTB 24, Rosselkhozbank. Il s’agit, dans tous les cas, de banques contrôlées par l’État. Cette situation est sans doute commode pour gérer les grands projets financiers d’envergure nationale, mais elle ne favorise en rien le développement du crédit aux petites et moyennes entreprises (PME) qui, de notre point de vue, sont une condition importante du retour de la croissance économique en Russie.

Le crédit bancaire peut-il progresser ?

La question qui se pose en premier lieu est de savoir si le secteur bancaire a suffisamment de capitaux et de liquidités.

En ce qui concerne le capital, nous nous bornerons à envisager le cas de la Banque centrale de Russie, dont les dirigeants affirment qu’il y a une réserve et que le crédit peut augmenter de 4 à 7 %. Précisons que les exigences de Bâle III, en vigueur depuis 2016, dont celle, minimale, de fonds propres réglementaires, n’ont pas eu d’impact – à de rares exceptions près – sur les banques russes.

Voyons à présent les réserves de liquidités. La dynamique des réserves bancaires libres (comptes correspondants + dépôts à la Banque de Russie) s’est nettement accélérée en 2015-2016 : les reliquats journaliers des banques ont augmenté de 30,4 % en 2015 par rapport à l’année précédente, et de 31,3 % en 2016. En tout état de cause, la volatilité des liquidités bancaires ne semble pas devoir s’accroître, ce qui indique une certaine solidité de la réserve.

Le rythme de croissance des liquidités excède nettement celui du Produit intérieur brut (PIB) nominal, l’inflation, les opérations de paiement, entre autres. On peut manifestement parler d’un excès de liquidités dans le secteur bancaire. Nos calculs les plus prudents indiquent que les réserves dépassent de 10-12 % ce qui est nécessaire pour assurer normalement les paiements et règlements. Un excès de liquidités signifie, d’une part, la possibilité d’augmenter les investissements de crédit, mais aussi, d’autre part, le risque d’une accélération des chocs extérieurs jusqu’à déclencher une crise systémique. Il en résulte que l’attention portée par la Banque centrale à la stabilisation financière n’est en rien superflue. Le seul problème est que les instruments par lesquels elle opère n’assurent qu’une absorption formelle du trop-plein de liquidités ; celui-ci ne pourrait être « jugulé » que par une augmentation du crédit bancaire, en grande partie restreint par les mesures stérilisantes en vigueur.

Nous avons vu que le système bancaire russe disposait des réserves de capital et de liquidités permettant de développer le crédit. En 2016, est venue s’y ajouter la rentabilité de l’activité bancaire.

Le grand point positif dans l’évolution du système bancaire en 2016, relevé par presque tous les analystes, est l’augmentation nette des bénéfices des banques commerciales. Ils se montent pour l’année à 930 milliards de roubles, soit presque cinq fois les chiffres de 2015. Cela a permis à la Banque centrale et à de nombreux experts de justifier leurs évaluations optimistes selon lesquelles le secteur a surmonté – ou presque surmonté – la crise : les problèmes de développement du marché des services bancaires sont quasiment résolus, ce dernier devrait, en 2017, reprendre vie.

Il est pourtant une nuance à considérer. La différence entre les bénéfices de 2015 et 2016 n’est pas calculée sur les revenus des opérations, mais sur les dépenses effectuées pour compléter les réserves en vue d’éventuelles pertes sur les prêts : en 2015, ces provisionnements se montaient à 1 350 milliards de roubles, et à 200 milliards en 2016. Ajoutons que si ces dépenses ont ralenti leur rythme, elles sont toujours à la hausse, en termes absolus comme en termes relatifs : la qualité des « dettes vendues aux banques », déjà assez médiocre, continue de se dégrader, bien qu’à un rythme plus lent. Néanmoins, de notre point de vue, les crédits à haut risque sont le principal obstacle au développement des prêts.

Il est d’autres raisons freinant la transformation de l’excès de liquidités en une hausse des investissements de crédit : l’inégale répartition des liquidités dans le système bancaire ; l’absence d’instruments efficaces permettant l’égalisation des liquidités et, en conséquence, l’inefficacité de l’utilisation de ces liquidités. Ajoutons un marché du crédit fortement segmenté en Russie, chaque segment ayant des critères de sélection différents et une approche distincte des taux d’intérêt à fixer ; on manque également d’une redistribution efficace des liquidités entre les segments.

Cependant, la raison majeure est la situation financière insatisfaisante des emprunteurs potentiels, la mauvaise qualité de leurs dettes, le flou des perspectives et, en conséquence, les risques élevés encourus par les investissements de crédit.

On se retrouve donc dans une sorte de « cercle vicieux ». La dégradation de la situation financière de la clientèle entraîne des restrictions sur le crédit, lesquelles détériorent un peu plus la situation des emprunteurs potentiels. Par ailleurs, le grand flou des perspectives de développement économique ne permet pas de substituer aux estimations « déprimantes », fondées sur une analyse rétrospective, des attentes plus « joyeuses » : dans tous les cas de figure, les risques sont importants.

Comment sortir du cercle vicieux ?

Il nous semble que ce problème ne peut être résolu à un niveau macroéconomique réaliste : il importe d’obtenir un effet macroéconomique en recourant à des solutions microéconomiques ciblées, que l’on reproduira. Pour initier les processus indispensables, une impulsion de départ est nécessaire : ce peut être une impulsion financière extérieure ou des mesures économiques intérieures – en premier lieu de politique monétaire. La première variante est la plus réaliste, mais elle a de grandes chances de conduire à la restauration de la structure antérieure, avec tous ses défauts, qui plus est en la développant ; en outre, une normalisation relative de la situation annihilerait toute envie de changements structurels (c’est le scénario que nous avons connu dans les années 2008-2011). La seconde variante peut se révéler plus productive, mais elle est moins réaliste, dans la mesure où elle implique une haute sélectivité de la politique monétaire, dont celle-ci est privée par ceux qui la font aujourd’hui en Russie.