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A) Politique étrangère & défense

Florent Parmentier Florent Parmentier
1 novembre 2018

La Russie perd-elle la Transnistrie ?

Le 22 juin 2018, la diplomatie moldave met à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) la question du retrait des troupes russes de Transnistrie (ex-14e Armée soviétique). Les autorités moldaves exigent à cette occasion que le retrait des 1 500-1 700 soldats (et 21 000 tonnes de munitions) soit « inconditionnel et complet » – en dehors des soldats russes présents dans le cadre du contingent de maintien de la paix. Chisinau rencontre un certain succès avec son initiative, comptant 64 voix en faveur de la résolution (pour 15 votes contre et 85 abstentions).

Si ce vote renforce la visibilité internationale du conflit, il y a peu de chances que Moscou suive cet avis. Certes, les acteurs transnistriens ont un certain degré d’autonomie, et la Russie joue un rôle moins exclusif dans les processus géopolitiques en cours. Mais cette dernière peut-elle pour autant réellement perdre son contrôle de la Transnistrie ?

Une politique de survie tournée vers la Russie

Dans la recherche de leur propre survie, les acteurs transnistriens ont su mobiliser de nombreux soutiens en Russie.

La Transnistrie (Pridnestrovié) fait partie de ces États apparus de facto (1)  dans la foulée de l’effondrement de l’Union soviétique et cherchant à survivre dans des environnements hostiles. Son fondateur, Igor Smirnov, a structuré pendant une vingtaine d’années un système politique qui a résisté au conflit initial ayant causé un millier de morts, à une crise économique profonde et à la concurrence du général Alexandre Lebed pour le contrôle du pays. Fait original, la Transnistrie n’a pas de nation titulaire : les populations principales (Moldaves, Russes, Ukrainiens) se retrouvent des deux côtés du Dniestr.

Au pouvoir, Igor Smirnov ne manque pas d’afficher son soutien à la Russie : en témoigne, par exemple, le référendum du 17 septembre 2006, où les autorités transnistriennes offrent une alternative entre le renoncement à l’indépendance et l’intégration avec la Moldavie, d’une part, et l’indépendance et la future possible intégration avec la Russie, d’autre part. Pourtant, il finit tout de même par lasser à Moscou, en raison de ses impayés de gaz et autres subventions à son régime politique : en 2011, Sergueï Narychkine, alors chef de l’administration présidentielle, lui conseille officiellement de ne pas se représenter (2). Il est effectivement battu par Evgueni Chevtchouk à l’élection présidentielle de décembre 2011, ce dernier s’imposant face à lui et à un autre candidat soutenu par la Russie, Anatoli Kaminski. La vie politique transnistrienne bascule à nouveau en décembre 2016, lorsque Vadim Krasnosselski est à son tour élu président. Ces alternatives politiques traduisent le fait qu’au-delà du système construit autour d’Igor Smirnov, de nouvelles forces sont apparues autour du conglomérat Sheriff, capables de capter les principales sources de profit de la république séparatiste, tant légales qu’illégales. Les risques de recentralisation du pouvoir, et leurs conséquences sur, notamment, les institutions démocratiques et l’État de droit, sont donc bien réels (3).

Un triangle incertain : Moscou, Chisinau et Tiraspol

L’influence russe en Transnistrie doit se comprendre plus largement dans le cadre de sa politique vis-à-vis de la Moldavie, mais aussi de sa concurrence avec d’autres acteurs extérieurs.

En effet, le Kremlin a souvent louvoyé entre deux positions contradictoires : s’assurer de la plus grande influence politique en Moldavie, et encourager la Transnistrie dans ses velléités de large autonomie, sinon d’indépendance. En dépit de son soutien multiforme, Moscou ne reconnaît pas l’indépendance de la Transnistrie. En 2003, elle a même mis sur pied, au moment où le président Voronine était au pouvoir à Chisinau, un projet de résolution du conflit connu sous le nom de « Mémorandum Kozak », qui prévoyait une forte autonomie transnistrienne au sein d’une Moldavie réunifiée.

Si les relations entre Vladimir Poutine et Igor Dodon, le président moldave, sont bonnes, elles sont en revanche plus compliquées entre la majorité parlementaire favorable à l’intégration européenne et la Russie. À la différence de son gouvernement, le président moldave a d’ailleurs fait preuve de circonspection au moment du vote de l’AGNU, craignant que cela n’altère la position de négociation de son pays (4). Au demeurant, pour un certain nombre d’acteurs, tant moldaves que transnistriens, une réunification impliquerait des coûts, tant économiques que politiques, ce qui ne favorise guère l’avènement d’une solution négociée.

Enfin, les relations entre Chisinau et Tiraspol restent compliquées : certes, aucun acte majeur de violence n’est à déplorer ces dernières années, mais plus d’un quart de siècle après la fin du conflit armé, le différend n’est toujours pas réglé. Les négociations sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), en format « 5+2 » (5), n’avancent guère au-delà de vagues déclarations d’intention, permettant à la Transnistrie de consolider son statut politique. Vis-à-vis de la Moldavie, la politique de la Transnistrie laisse peu de place à un rapprochement : selon le politologue Andreï Safonov, elle se caractérise par une volonté d’affirmation nationale, un refus de la réintégration, un rejet de toute influence roumaine et un désintérêt pour des autorités moldaves fortes (6). Pourtant, en dépit des tensions existantes, c’est bien dans le cadre du championnat moldave que le club de football du Sheriff Tiraspol a obtenu plusieurs titres nationaux  (7) !

L’attention internationale portée à la Moldavie semble s’accroître : au-delà du vote aux Nations unies et d’une volonté ukrainienne d’avancer sur ce conflit (8), force est de constater que l’Union européenne s’est impliquée de manière croissante depuis près d’une quinzaine d’années. Après les premières sanctions à l’encontre des dirigeants transnistriens en 2003, les acteurs européens ont entrepris d’utiliser le levier économique en faveur de Chisinau, notamment via l’enregistrement dans cette ville des entreprises souhaitant exporter à destination de l’UE.

Toutefois, en dépit de cette attention internationale renforcée et de la montée en puissance d’autres acteurs que la Russie, cette dernière reste essentielle pour la Transnistrie : celle-ci, dans un contexte international tendu, voit ses marges de manœuvre se réduire dans les relations clientélistes qu’elle entretient avec une Russie toujours présente.

1. Dov Lynch, Engaging Eurasia's separatist states: unresolved conflicts and de facto states, Washington D.C., United States Institute of Peace Press, 2004.

2. «Narychkine ne podderjal vydvijenié Smirnova na vyborakh v Pridnestrovié» [Narychkine n’a pas soutenu la candidature de Smirnov à l’élection en Transnistrie], Ria Novosti, 13 octobre 2011, https://ria.ru/politics/20111013/457969193.html

3. Andrey Devyatkov, “Never Sans Sheriff: Consolidating Power in Transdniestria”, Carnegie Moscow Center, August 7, 2017, https://carnegie.ru/commentary/72730

4. “The withdrawal of Russian troops from Transnistria: second attempt”, JAM News, June 22, 2018, https://jam-news.net/?p=109062

5. Les négociations incluent l’OSCE, la Russie, l’Ukraine, la Moldavie et la Transnistrie, ainsi que les États-Unis et l’Union européenne en tant qu’observateurs.

6. Andrey Safonov, “Transnistria: A Policy of Denial, Containment and Separation from Moldova”, in Marcin Kosienkowski, William Schreiber (dir.), Moldova. Arena of International Influences, Lexington Books, Lanham, 2012, pp. 267-271.

7. Adam Eberhardt, “The Paradoxes of Moldovan Sports. An insight into the nature of the Transnistrian conflict”, OSW, November, 2011, https://www.osw.waw.pl/sites/default/files/punkt_widzenia_26_en.pdf

8. “Transnistria should become integral part of Moldova – Klimkin”, UNIAN, June 23, 2018, https://www.unian.info/politics/10163417-transnistria-should-become-integral-part-of-moldova-klimkin.html