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A) Politique étrangère & défense

David Teurtrie David Teurtrie
1 novembre 2018

Vers un renouveau des relations russo-mongoles ?

La Mongolie, pays de trois millions d'habitants enclavé entre Chine et Russie, entretient de bonnes relations avec son grand voisin du Nord. Mais alors que l'influence de Moscou était quasi exclusive au temps de l'Union soviétique, les liens russo-mongoles se sont fortement distendus en raison des difficultés de la nouvelle Russie et de la montée en puissance de la Chine. Les relations actuelles entre les deux pays sont marquées par le rôle de Moscou dans l'indépendance mongole, les héritages contradictoires des ères soviétique et postsoviétique et les nouvelles dynamiques à l’œuvre en Eurasie.

Indépendance de la Mongolie : le rôle central de Moscou

Les relations russo-mongoles ont une histoire pluriséculaire qui a été revisitée au XXe siècle par les eurasistes russes. Mais à l'époque contemporaine, ces relations sont à reconfigurer, compte tenu de l'émergence tardive de l’État mongol moderne. Le processus d'indépendance de la Mongolie vis-à-vis de la Chine débute avec la signature de la convention de coopération russo-mongole de 1912. Cette année-là, les troupes chinoises sont chassées du territoire mongol par les forces du général « russe blanc » Roman von Ungern-Sternberg. Les autorités soviétiques en profitent pour intervenir en Mongolie, laquelle devient république populaire en 1924. En 1939, les forces armées soviéto-mongoles repoussent une offensive japonaise à la frontière sino-mongole, lors de la bataille de Khalkhin Gol. Jusqu'en 1946, l'Union soviétique est le seul État à reconnaître l'indépendance de la Mongolie. Mais sous la pression soviétique, la Chine finit par s'y résoudre à son tour, ce qui permet à Oulan-Bator d’instaurer progressivement des relations diplomatiques avec le reste du monde. Le rôle primordial de Moscou dans l'accès à l'indépendance de la Mongolie continue d'être un facteur majeur des relations bilatérales, malgré des liens distendus depuis l’effondrement de l'URSS.

Moscou face à la politique du « troisième voisin »

L'affaiblissement des positions russes en Mongolie débute avec le retrait des troupes soviétiques du pays à partir de 1989, suite à la signature de l'accord sino-soviétique sur la réduction des forces armées dans les zones frontalières. Il semble que les autorités mongoles n'aient pas été associées à cette décision de retrait qui sera achevé en 1992. Elles entreprennent alors de multiplier les partenariats internationaux visant à sortir le pays de son face-à-face avec ses deux grands voisins. C'est le début de la politique dite du « troisième voisin », qui voit Oulan-Bator se rapprocher des États-Unis, du Japon ou encore de la Corée du Sud. Cette nouvelle politique s'inscrit dans le processus de sortie du communisme, qui se traduit par l’instauration d'une république parlementaire et la transition vers l'économie de marché. Au milieu des années 2000, les relations russo-mongoles sont compliquées par la grande proximité de la Mongolie avec les États-Unis : Oulan-Bator se veut alors un partenaire modèle de Washington dans sa « guerre contre le terrorisme ».

Plus récemment, un nouveau sujet de friction est apparu entre la Russie et la Mongolie : cette dernière souffrant de pénuries d'électricité, les autorités ont souhaité y remédier par la construction de centrales hydroélectriques sur le fleuve Selenga. Ce projet a suscité des tensions avec Moscou dans la mesure où la construction de barrages sur ce fleuve risque d'avoir un impact négatif sur l'alimentation en eau du lac Baïkal. Devant les protestations de la Russie, les autorités mongoles ont, semble-t-il, décidé de geler la construction de ces centrales à la fin de 2017, en échange d’une augmentation des exportations russes d'électricité à partir de la Bouriatie (1). Ce compromis reste cependant fragile, car il ne répond pas aux velléités mongoles d'indépendance énergétique et pourrait se révéler insuffisant pour satisfaire aux besoins d’une industrie minière tournée vers la Chine.

De fait, les positions russes dans le domaine économique se sont rapidement effritées au profit de Pékin. Si, au début des années 1990, la part de l'URSS dans le commerce extérieur mongol représentait près de 80 % du total, contre 20 % pour la Chine, les proportions se sont pratiquement inversées vingt-cinq ans plus tard : la Russie représente moins de 15 % du commerce extérieur mongol contre près des deux-tiers pour la Chine. Les échanges russo-mongols sont particulièrement déséquilibrés, les exportations russes vers la Mongolie constituant environ 95 % des échanges bilatéraux. La difficulté de rééquilibrer le commerce bilatéral réside, pour Oulan-Bator, dans le fait qu'elle exporte avant tout des matières premières (charbon, cuivre...) dont Moscou est elle-même exportatrice.

La relance du partenariat russo-mongol

Néanmoins, face au poids économique croissant de la Chine, les deux pays ont un intérêt commun à développer leurs échanges dans un souci de diversification de leurs partenariats. Et si la Mongolie représente moins d’1 % du commerce extérieur de la Russie, c'est un marché intéressant pour les exportations de produits manufacturés russes en quête de débouchés (produits agro-alimentaires, matériels agricoles et de transport, aviation civile). En 2017-2018, après deux années de recul, les échanges russo-mongols augmentent à nouveau rapidement (plus de 25 % par an).

Afin de renforcer cette dynamique, Oulan-Bator promeut la mise en place d’un corridor économique Chine-Mongolie-Russie. Baptisé « Route de la steppe », il s’inscrirait dans la dynamique des nouvelles « Routes de la soie » entre la Chine et l’Europe. Dans ce domaine, Moscou conserve un atout de poids grâce au contrôle des chemins de fer mongols au travers de la société mixte russo-mongole « Chemins de fer d'Oulan-Bator » (détenue à 50 % par le russe RZD). Un programme de modernisation est en cours, qui permet aux chemins de fer mongols de tirer profit de l'augmentation des échanges eurasiatiques : au premier semestre 2018, RZD a enregistré une hausse record du transit de conteneurs à la frontière russo-mongole (plus 85 %), notamment dans la direction Europe-Chine. Afin d'accompagner cette hausse, la compagnie russe prévoit la construction d'un nouveau terminal à conteneurs à la frontière sino-mongole (2).

Au niveau politique, l'élection de Khaltmaagiyn Battulga à la présidence mongole en juillet 2017 semble devoir confirmer une dynamique de renouveau des relations russo-mongoles. Ce dernier a, en effet, inscrit la relance de la coopération avec Moscou comme l'une de ses priorités. Il pourra compter pour cela sur les liens forts que continuent d'entretenir les élites mongoles avec la Russie, une grande partie d'entre elles y ayant été formée, notamment à l'université d'État du Baïkal (Irkoutsk), qui a partiellement conservé ce rôle hérité de la période soviétique. Enfin, dans le domaine de la défense, les deux pays ont repris une coopération étroite depuis une dizaine d'années, au travers, entre autres, de manœuvres communes annuelles baptisées « Selenga ». En juin 2018, la présence du ministre mongol de la Défense au sommet réunissant, chaque année, ses homologues de la CEI a illustré la proximité russo-mongole dans ce domaine.

Ainsi, après une période de fort déclin dans les années 1990-2000, qui a vu la Chine s'imposer comme le principal partenaire de la Mongolie, tandis que cette dernière menait sa politique du « troisième voisin », les relations russo-mongoles semblent devoir connaître un renouveau grâce à la volonté de la Mongolie d'équilibrer ses partenariats, à la politique russe du pivot asiatique ainsi qu'à l'intensification des échanges à l'échelle de l'Eurasie.

1. A. Popov, « “Ekonomitcheski chantaj”. Est li alternativa stroitelstvou mongolskilh GuE ?. » [Un « chantage économique ». Y a-t-il une alternative à la construction de centrales hydroélectriques mongoles ?], ARD, http://asiarussia.ru/articles/17523/

2. M. Borodaïevskaïa « Skorost i soubsidii » [Rapidité et subsides], Goudok, Livraison n° 111, 4 juillet 2018, http://www.gudok.ru/newspaper/?ID=1425199&archive=2018.07.04