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A) Politique étrangère & défense

Dmitri Trenine Dmitri Trenine
11 novembre 2017

Les relations Russie/États-Unis sous la présidence Trump

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de 2016 a été l’illustration la plus éclatante de la tendance mondiale à déplacer les accents vers la défense et la promotion des intérêts nationaux. Cette tendance était apparue auparavant, dans les résultats du référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne (UE), à l’été 2016, et, avant encore, elle s’était solidement affirmée en Chine, Russie, Turquie, Inde, notamment. On la relève également dans la politique étrangère plus indépendante du Japon.

La victoire du candidat d’orientation nationale sur les représentants de l’establishment américain plus axés vers la mondialisation, d’abord au sein du Parti républicain, puis à l’échelle du pays, a été perçue d’emblée comme le signe de changements radicaux à venir dans la politique étrangère des États-Unis. On affirmait que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump montrait que la métropole était lasse du système global des institutions et unions qu’elle soutenait. Cette perspective plongeait dans l’angoisse nombre d’Européens ; ailleurs, au contraire, elle suscitait l’espoir de voir l’Amérique se transformer en « pays normal ».

En Russie, le résultat de l’élection présidentielle américaine a été moins perçu comme une victoire de Donald Trump que comme une défaite de sa rivale, Hillary Clinton, sur laquelle – de même que sur l’allié politique de celle-ci, le président Barack Obama – il portait un jugement entièrement négatif. D’un autre côté, le fait que le candidat Trump, à la surprise de Moscou, ne se soit pas joint au chœur antirusse américain, de même que ses déclarations sur le président Poutine, oscillant entre la neutralité et le positif, suscitaient des sympathies naturelles à l’égard du milliardaire new-yorkais. Barack Obama plaçait la Russie au même rang des menaces mondiales que l’État islamique ou le virus Ebola. Donald Trump, au contraire, promettait d’essayer d’arranger les choses avec Moscou, ce qui donnait certains espoirs.

La barre des attentes était, pour partie, placée trop haut. L’avantage évident, et d’une importance extrême, de l’élection de Donald Trump est que le risque est moindre d’un affrontement direct entre la Fédération de Russie et les États-Unis. Si Hillary Clinton avait été élue, avec ses projets d’instaurer une zone d’exclusion aérienne en Syrie ou d’élargir l’aide militaire aux combattants de l’opposition locale, un affrontement cinétique Russie/États-Unis aurait pu devenir réalité. Bien des choses peuvent se produire avec Donald Trump, mais ce danger concret a été évité. L’un des premiers contacts russo-américains, au début de 2017, a été la rencontre à Bakou des chefs d’État-major des armées, afin d’envisager des mesures permettant d’éviter des incidents entre des avions et des navires des deux pays.

La nouvelle politique américaine

Pour évaluer les perspectives d’une coopération russo-américaine, il est essentiel d’analyser les intérêts, les priorités et les stratégies de base des parties. Donald Trump n’a certainement rien d’un isolationniste. À l’instar de son prédécesseur, il veut faire en sorte de renforcer la domination des États-Unis dans le monde. Mais si Barack Obama s’y essayait, à bien des titres, par le biais d’unions fondées sur des valeurs communes et à l’aide d’instruments très divers, Donald Trump, lui, préfère des actions simples et directes, y compris des pressions musclées et un recours à la force. De fait, deux composantes sont toujours présentes dans la politique américaine, l’une idéaliste, l’autre réaliste ; simplement, les proportions en changent sans cesse. L’actuel président met l’accent, non sur la supériorité morale des États-Unis, mais sur leur prédominance matérielle par rapport aux autres États.

Le nouveau locataire de la Maison-Blanche n’a donc aucune intention de renoncer au leadership mondial des États-Unis – une variante moderne (la plus évoluée) de l’hégémonie. Donald Trump s’efforcera d’actualiser ce leadership et d’amener le système à mieux servir les intérêts américains. Cette approche de Washington est susceptible, à la fois, de corriger le système, en modifiant l’équilibre des investissements et des retours au profit de l’Amérique, et de déclencher des processus centrifuges au sein du collectif occidental. La première hypothèse semble plus réaliste à brève échéance, mais la tension apparue entre les intérêts des États-Unis en tant que nation et ceux de l’empire américain, ne fera vraisemblablement que croître. Sur le long terme, plus que les tendances séparatistes des alliés, la lassitude de la métropole pourrait entraîner une transformation du rôle et de la place des États-Unis dans le monde.

On reconnaît en Russie que les principes de la politique étrangère du quarante-cinquième président américain ne sont pas clairs. Son équipe ne se distingue pas par des sympathies particulières à l’égard des Russes, et certains de ses membres ont, par le passé, tenu des propos ouvertement hostiles à Moscou. Trois semaines seulement après la prise de fonction du président, la démission forcée et précipitée du général Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale, considéré comme un partisan de larges accommodements avec Moscou, a été, pour les Russes, un déplaisant signal – une mise en garde contre toute tentative des États-Unis de se rapprocher de la Russie.

Dans son allocution à la Conférence de Munich 2017, le vice-président Mike Pence réaffirmait le plein soutien de l’OTAN à l’Europe. Il rassurait ainsi ses partenaires européens, après quelques déclarations critiques de Donald Trump, mais ne réjouissait pas particulièrement Moscou. Mike Pence, il est vrai, n’incluait pas la Russie dans la liste des menaces pour les États-Unis, dans laquelle figurent l’État islamique, l’Iran et la Corée du Nord ; il rappelait toutefois que Washington invitait Moscou à répondre de ses actes en Ukraine. Cette rhétorique témoigne d’une permanence de la politique étrangère américaine plus grande que beaucoup ne l’imaginaient après l’élection de Donald Trump.

Il devient de plus en plus évident qu’en dépit des précédentes déclarations du président américain sur l’OTAN, organisation « obsolète », et de son indifférence envers le sort de l’Union européenne, il n’y aura pas de révolution dans les relations des États-Unis et de leurs alliés européens. Le renforcement du flanc est de l’OTAN, du côté de la Russie, se poursuivra. On ne renoncera pas à créer un système de défense antimissile en Europe, s’intégrant dans le système global de défense antimissile américain. Bien plus, à la fin du mois de février 2017, Donald Trump proposait d’augmenter le budget de la défense de 54 milliards de dollars, ce qui correspond à peu près au budget total de la défense en Russie.

Tout en voulant intensifier le potentiel militaire, le président Trump critiquait le traité START III, conclu par son prédécesseur, et le Département d’État accusait Moscou d’enfreindre le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF). Autant d’éléments qui peuvent être perçus, au mieux, comme une volonté de rectifier les accords de maîtrise des armements en faveur des États-Unis et, au pire, comme un désintérêt de Washington pour cette question elle-même. Quoi qu’il en soit, il peut s’ensuivre une sérieuse modification de la nature et du contenu des relations russo-américaines, ce qui aurait inévitablement des conséquences sur la stabilité stratégique mondiale.

La situation actuelle a ceci de paradoxal que, si le rôle de la Russie dans la lutte politique intérieure aux États-Unis est hypertrophié et instrumentalisé, les relations avec celle-ci en tant qu’État n’entrent pas dans les priorités de l’administration Trump. L’attention de Washington se concentre principalement sur la grande rivale des Américains dans la région Asie-Pacifique et sur la scène mondiale : la Chine. Pékin s’attend à un durcissement de la démarche américaine. Même si ce durcissement n’implique pas, actuellement, une confrontation militaire et politique, il est clair qu’une dégradation des relations américano-chinoises entraînerait de grands défis pour la Russie.

Aux principales menaces pour la sécurité des États-Unis – l’État islamique, l’Iran, la Corée du Nord – il sera répondu par des pressions musclées. L’éventail s’en étendra des tentatives d’élimination physique (État islamique) aux efforts pour écarter les adversaires (Iran) et pour les contenir sur les plans militaire et politique (Corée du Nord). Si les approches russe et américaine coïncident, dans l’ensemble, en ce qui concerne l’État islamique, elles divergent considérablement pour les deux autres pays mentionnés, ce qui peut conduire à des frictions diplomatiques et des conflits politiques entre Moscou et Washington.

La Russie devra également prendre en considération le climat politique aux États-Unis. Faute de l’avoir emporté à l’élection présidentielle, l’establishment a effectué un repli tactique, il s’est regroupé de façon très opérationnelle pour lancer une campagne contre Trump, dans le but de faire de son élection une victoire à la Pyrrhus. Ajoutons que la crise d’estime de soi traversée par les élites libérales et démocrates, qui se traduit, notamment, dans leur sentiment maniaque d’être persécutées par le Kremlin, ne cesse d’engendrer de nouvelles attaques contre le président, tuant dans l’œuf la moindre initiative d’adoucissement ou de levée des sanctions adoptées contre la Russie. Le consensus antirusse est plus large que jamais au sein de l’élite politique américaine, et extraordinairement influent.

Cette situation ne change rien, néanmoins, à l’opposition entre les intérêts nationaux des États-Unis et ceux du leadership mondial américain. S’il est impossible de prédire l’issue de la lutte, il est évident que celle-ci sera longue. Certes, il ne s’agit pas ici du « début de la fin » du leadership mondial des États-Unis, encore moins d’une désintégration du pays. L’Amérique restera, pour un bon moment, l’État le plus influent et le plus puissant du monde. Pourtant, les événements de l’année 2016 signifient la fin de « l’exception américaine » : un système politique à l’abri de conflits intérieurs aigus et immunisé contre les influences extérieures.

L’Amérique de Donald Trump est devenue un pays imprévisible, en ce qui concerne aussi bien les réactions de la société dans son ensemble que la lutte entre les élites. Dans certaines conditions, les États-Unis peuvent entrer dans une zone de turbulences politiques telles que les générations d’aujourd’hui n’en ont pas connues. Compte tenu de la position centrale de ce pays dans le système mondial, ce ne serait pas sans conséquences non seulement pour la politique étrangère américaine, mais aussi pour tout l’ordre mondial.

L’état des relations russo-américaines

Les présidents Poutine et Trump sont des hommes d’action, prônant une approche réaliste, pragmatique, des relations internationales. Ils peuvent adopter l’un vis-à-vis de l’autre un langage que tous deux comprennent. Sont-ils en mesure de parvenir à un accord ? La question reste ouverte. Les relations personnelles des leaders des deux pays est une des composantes importantes d’un dialogue constructif. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont dans l’incapacité de supprimer les motifs fondamentaux de la rivalité entre la Russie et l’Amérique. Si, avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, la confrontation russo-américaine a été stoppée, le conflit de base entre les intérêts et les visions du monde est toujours d’actualité. Sous la présidence Trump, les États-Unis poursuivront leur politique hégémonique. Cependant, la ligne directrice de la Fédération dans les questions de vision du monde consiste à favoriser le remplacement de la domination américaine exclusive par un concert des grandes puissances incluant la Russie. Il en résulte que la rivalité sera la principale composante des relations bilatérales dans un avenir prévisible.

Finalités et tâches de Moscou

Le « phénomène Trump » ayant induit une indétermination accrue, la politique étrangère russe à l’égard de l’Amérique doit résoudre plusieurs problèmes d’importance. Tout d’abord, elle doit éviter les chocs frontaux entre les forces armées des deux pays en Syrie, ainsi que le long de la nouvelle ligne de confrontation en Europe, et les heurts indirects en Ukraine. Ensuite, il lui faut obtenir la reconnaissance par Washington des intérêts nationaux de la Russie sur le terrain européen, afin d’éviter de nouvelles crises dans la région, ce qui implique, de fait, une neutralisation politique et militaire de l’Ukraine et le refus de voir l’OTAN s’élargir plus à l’est. Enfin, il est essentiel d’instaurer des formes concrètes de coopération dans la résolution de problèmes mondiaux : lutte contre le terrorisme international, renforcement de la non-prolifération nucléaire, maintien de la stabilité mondiale…

Il faut être réaliste : la question de la levée des sanctions a peu de chances d’être résolue prochainement, pour la bonne raison, entre autres, que si l’on tentait de défaire ce qui a été fait, en l’occurrence, par le président Obama, le Congrès fixerait aussitôt, sous forme de loi, des restrictions sans doute plus dures encore. Dès lors, les sanctions pourraient rester en vigueur, à l’instar, en son temps, de l’amendement Jackson-Vanik, des décennies durant. La Russie s’est globalement adaptée au régime de sanctions et continuera de subir les restrictions économiques et financières des Américains et de leurs alliés.

Rien ne permet non plus d’escompter un accord sur les armes stratégiques. En même temps, l’effet du renforcement du système américain de défense antimissile sera mis à mal, pour plusieurs dizaines d’années, par le développement des armements stratégiques offensifs en Russie. De ce côté-là, en tout cas, l’efficacité de la dissuasion nucléaire ne se dément pas. La Fédération ne peut voir d’un bon œil le déploiement de contingents militaires de l’OTAN en Europe de l’Est. Néanmoins, cette entreprise de l’Alliance occidentale ne menace pas gravement, pour l’instant, la Russie au niveau européen. Moscou a pris des mesures en réponse, ce qui a permis un certain équilibre des forces le long de la nouvelle ligne de fracture militaire et politique à l’est de l’Europe. C’est cela qu’il faut maintenir dans un avenir prévisible, sans céder à la tentation de s’enliser dans une course aux armements avec les États-Unis, ruineuse et sans perspective pour la Russie.

La région où la situation peut devenir incontrôlable, c’est l’Ukraine. Non seulement le conflit n’a pas été réglé depuis 2014, mais il n’est pas même circonscrit. Les accords de Minsk sur le Donbass, conclus en 2015, sont impossibles à appliquer. Signés au moment de l’échec de l’offensive menée par les troupes ukrainiennes dans le Donbass, ils sont favorables à Moscou, mais gros, à Kiev, d’un effondrement du régime en place. Il n’est toutefois pas question pour les États-Unis d’obliger l’Ukraine à remplir sa part des accords. Notons que, si les engagements pris à Minsk sont également susceptibles de saper les positions des forces parvenues au pouvoir à Donetsk et Lougansk, il est beaucoup plus simple pour Moscou, en cas de nécessité, de contraindre ces deux républiques populaires à les respecter.

Kiev et ses adversaires de l’Est de l’Ukraine échangent périodiquement des tirs d’artillerie et ont recours à d’autres formes d’action militaire, essentiellement pour préserver un statu quo qui les arrange. Le problème est que la situation peut devenir incontrôlable et entraîner une escalade, dégénérant en conflit généralisé. Une plus grande implication des États-Unis dans ce conflit – sous la forme, par exemple, de livraisons d’armes létales à l’Ukraine – est susceptible, à son tour, de pousser à nouveau les relations russo-américaines à la limite de la confrontation. Ainsi, dans un contexte où une solution politique du conflit est inaccessible, il est de l’intérêt tant de Moscou que de Washington qu’une trêve durable s’instaure dans le Donbass.

Dans l’ensemble, il ne semble pas possible actuellement, au niveau européen, de parvenir à des décisions globales, du type Helsinki ou Yalta. L’Europe n’est pas menacée d’être redivisée en zones d’intérêts stratégiques de l’Amérique et de la Russie. Elle devra cependant décider elle-même de son avenir : rester, de fait, un protectorat stratégique des États-Unis ou choisir la voie de l’autodétermination et s’affirmer comme un acteur géopolitique autonome.

Pour l’instant, il ne semble pas que de nouvelles menaces planent sur la Russie du côté européen : l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE n’est plus d’actualité. L’Ukraine, il est vrai, restera sans doute longtemps l’État le plus hostile à la Russie, d’autant que l’arrivée au pouvoir à Kiev de pragmatiques est moins vraisemblable qu’une influence accrue des nationalistes. Les États-Unis demeureront le grand sponsor extérieur et avocat de l’Ukraine, ce qui ne manquera pas de continuer à tendre les relations russo-américaines.

Des possibilités de coopération en Syrie existent, mais il convient de ne pas les surestimer. La position de l’administration Trump sur la question syrienne n’est pas claire à ce jour. Une chose est sûre : Washington durcira considérablement le ton (par rapport à l’administration Obama) sur le rôle de l’Iran dans la région. Les États-Unis, toutefois, ne peuvent escompter que Moscou sacrifie, comme dans les années 1990, ses relations avec Téhéran pour améliorer celles qu’elle entretient avec Washington. En même temps, l’Iran est devenu – à côté de la Turquie – un acteur important du processus de négociations initié par le Kremlin. Dans ce contexte, la tâche de la Fédération consiste à entraîner les Américains dans le processus de paix en Syrie, afin de s’assurer, au minimum, de leur bienveillance envers les efforts diplomatiques russes.

D’un autre côté, une coalition militaire russo-américaine contre l’État islamique est inenvisageable : si, pour Moscou, elle signifierait un statut égal, politique, militaire, mais aussi diplomatique avec les États-Unis, pour le Pentagone, qui continue de considérer la Russie comme un adversaire potentiel, bien qu’inégal, ce serait renoncer, de fait, au leadership américain.

On peut, grosso modo, imaginer une coopération russo-américaine dans les domaines suivants : stabilité stratégique globale, cybersécurité, consultations sur la question nucléaire coréenne. Ces questions devront, toutefois, être sérieusement creusées. Il n’est pas sûr, à l’heure actuelle, que Moscou et Washington aient des intérêts suffisamment concordants pour un dialogue productif.

Sur le terrain économique, où les liens russo-américains sont particulièrement faibles, la Russie pourrait proposer aux États-Unis un modèle unique de coopération en Arctique et en Sibérie, dans des projets concernant, au premier chef, les matières premières minérales et les infrastructures dans le Grand Nord et l’Extrême-Orient russes.

Washington – Pékin – Moscou

Le triangle Moscou – Washington – Pékin, envisagé pour la première fois par Henry Kissinger dans les années 1970, redevient d’actualité, à ceci près que les États-Unis n’en constituent plus le sommet. Le souhait éventuel de Donald Trump de modifier cette situation en se rapprochant de la Russie, tout en mettant une distance entre Moscou et Pékin, était d’emblée voué à l’échec. Au cours des trente dernières années, les relations avec la Chine ont acquis, en elles-mêmes, une immense valeur pour la Russie. Le partenariat politique et économique des deux pays est considéré comme une des réalisations les plus précieuses de la diplomatie russe. Les dirigeants de la Fédération n’ont pas l’intention de la mettre en jeu au nom des avantages fantomatiques d’un éventuel rapprochement avec les États-Unis. Les relations avec la Chine, de même qu’avec l’Inde et d’autres pays de l’Asie du Sud-Est, sont d’ordre stratégique ; elles forment la base permettant de réaliser la stratégie de la Grande Eurasie, priorité économique et géopolitique de la Russie au XXIe siècle.

En même temps, de sérieuses complications dans les relations entre Washington et Pékin – qui, à l’heure actuelle, ne semblent pas inéluctables – seraient effectivement une menace sérieuse pour la politique d’équilibre de Moscou. La Russie ne peut se permettre non seulement d’apparaître comme un quasi-allié de Washington, mais aussi de devenir un partenaire secondaire de Pékin dans l’affrontement entre celle-ci et l’Amérique. La nécessité de manœuvrer dans les limites du triangle formé par les puissances leaders du monde sera un défi de plus pour la politique étrangère russe. En cas de crise, les Russes pourront reprendre à leur compte l’expérience des Chinois, qui ont su soutenir la Fédération au début de sa confrontation avec les États-Unis sans, toutefois, nuire à leurs propres relations avec Washington. Moscou a moins de possibilités matérielles que Pékin pour une telle manœuvre, mais elle a suffisamment d’expérience diplomatique.

Conclusion

Ainsi, dans un avenir prévisible, les relations de la Russie avec les États-Unis resteront principalement celles de rivaux, avec, ici ou là, des éléments de coopération. La politique russe continuera de viser l’équilibre des intérêts des deux pays, de même que l’égalité de leurs statuts. Les possibilités de coopérer seront limitées par le fait que Russie et Amérique ont peu à se proposer mutuellement et que leurs programmes de politique étrangère et leurs systèmes de priorités seront très différents. Dans ce contexte, les dirigeants des deux pays ont pour principale obligation de ne pas laisser les relations bilatérales se dégrader jusqu’à une confrontation menaçant non seulement la Fédération de Russie et les États-Unis, mais encore le reste du monde. Pour y parvenir, des contacts permanents, dans un climat de confiance, sont nécessaires entre les dirigeants russe et américain, leurs bras-droits et les commandants de leurs forces armées.