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B) Économie

Stéphanie Morley
1 novembre 2017

La communauté tech en Russie

La Russie accuse encore un retard technologique important, comparée aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Toutefois, l’écart s’est considérablement réduit au cours des six ou sept dernières années, grâce aux efforts consentis par le gouvernement fédéral pour stimuler l’innovation et moderniser l’économie.

La Russie s’est ainsi hissée de la soixante-quatrième place en 2010 à la quarante-troisième sur cent vingt-huit dans le classement 2016 du Global Innovation Index publié par l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD).

Consciente du danger que représente la forte dépendance de son économie envers le pétrole et le gaz, la Russie a multiplié, à partir de 2010, les initiatives pour se moderniser et innover. Le gouvernement fédéral a ainsi défini cinq priorités stratégiques : les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’aérospatial, le nucléaire, les biotechnologies et l’efficacité énergétique. Une enveloppe de plus de 15 milliards d’euros a été allouée, sur la période 2011-2018, pour soutenir l’écosystème de l’innovation et des start-up : lancement du projet Skolkovo à Moscou (la « Silicon Valley » russe) et d’Innopolis à Kazan (Tatarstan), création de l’Agence des initiatives stratégiques (ASI), de fonds d’investissement publics (RVC, RDIF, IIDF…) et d’incubateurs portés par de grandes Universités d’État et des Écoles techniques spécialisées (HSE, HEU, Ingria…).

La crise politique et économique de 2014 a renforcé cette tendance dans un contexte d’embargo et de substitutions d’importation.

L’année 2016 a ainsi été marquée par l’entrée en vigueur du programme fédéral de soutien à l’innovation « National Technology Strategy Initiative d’ici à 2035 ». Adopté dès 2014, celui-ci est aujourd’hui jugé d’une importance égale à celle de la « Stratégie sur la sécurité nationale ». Sa mise en œuvre a été confiée au Fonds de gouvernement RVC (la BPI russe). Le programme se décline en neuf priorités sectorielles. Cinq d’entre elles ont déjà été validées : AeroNet, AutoNet, MariNet, NeuroNet, EnergyNet. En août dernier, RVC, responsable de sa mise en œuvre, a signé un accord de coopération avec Skolkovo et lancé un fonds de soutien à l’innovation et aux start-up tech doté d’une enveloppe de 130 à 200 milliards par an sur budget fédéral, entre 2017 et 2019.

Sous l’effet des sanctions conjuguées à la chute du prix du pétrole et à la dévaluation du rouble, la Russie a néanmoins reculé de la quatorzième à la vingt-sixième place dans le classement Bloomberg Innovation Index 2017 des cinquante pays les plus innovants.

Malgré d’importants financements publics, l’incitation à innover dans le secteur privé demeure faible en regard, notamment, de l’importance du potentiel scientifique de la Russie.

Les dépenses en Recherche et Développe-ment (R&D) représentaient 1,13 % du PIB en 2015, comparé à 2,26 % en France. Le principal financeur de l’innovation est l’État avec 70 % de parts, très loin devant le secteur privé.

La Russie est en sous-performance par rapport aux pays de l’OCDE en termes de dépôt de brevets et de dépenses en R&D financées par le secteur privé.

Cette situation s’explique par trois principaux facteurs : poids prédominant de l’État (81 % de parts dans le top 10 des grands groupes russes), prépondérance de grands groupes (79 % de parts) dans l’économie et sous-représentation de sociétés cotées en bourse.

Le pays ne compte ainsi que trois acteurs dans le classement Global Innovation des mille entreprises mondiales cotées en bourse dont les dépenses en R&D sont les plus élevées, publié par 1000Strategy& en 2016 : Gazprom (énergie – 259e rang), Yandex (Internet – 484e) et RKK Energy (aérospatial – 701e).

Afin d’encourager le soutien à l’innovation dans le secteur privé, le gouvernement fédéral a voté deux nouvelles mesures en 2016 : la première vise à promouvoir la commande publique d’achats innovants par les sociétés publiques (au nombre de quatre-vingt-dix, dont Aeroflot, la Compagnie des chemins de fer RZD, Gazprom, Rosneft…) auprès des PME ; la seconde concerne la mise en place d’un allègement fiscal (exonération de l’IS) de janvier 2017 à 2019 pour les entreprises qui investissent en R&D en Russie.

L’innovation est principalement concentrée dans le secteur des TIC

Les analystes évaluent la part de l’économie numérique à environ 4 % du PIB russe, répartis entre les secteurs télécoms, internet et e-commerce.

La Russie est le premier marché mobile et internet européen avec 259 millions d’abonnés à la téléphonie mobile (pénétration de 176 %) et près de 80 millions d’internautes (60 %). Dynamisé par l’essor d’internet, le marché de l’e-commerce présente un très fort potentiel de développement avec 41 millions de cyberacheteurs et un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards d’euros en 2016.

Trois licornes russes ont été identifiées par GP Bullhound en 2016 : Yandex (premier moteur de recherche russe), Vkontakte (premier réseau social russe) et Avito (leader de la petite annonce russe). Suite à son rachat par le conglomérat sud-africain Nasper pour 1,2 milliard de dollars, Avito est devenue la troisième capitalisation boursière derrière Mail.ru et Yandex dans le secteur internet en 2015.

Selon l’Association russe des investisseurs en capital (RVCA), le secteur TIC a capté plus des trois quarts des investissements en capital-risque en valeur sur l’année 2016, très loin devant les biotechnologies (10 %) et les technologies industrielles (5 %). L’intelligence artificielle, la Fintech, l’IoT et la robotique ont affiché les plus forts taux de croissance en 2016, comparés à la cybersécurité, le big data, l’e-commerce et le marketing digital en 2015.

Le secteur TIC a mieux résisté, mais n’a pas échappé à la crise politique et économique. Cela s’est traduit par un ralentissement du marché du capital-risque : les investisseurs privés russes se sont désengagés des start-up russes et, a contrario, ont développé une appétence de plus en plus forte pour les start-up étrangères, à l’image de Runa Capital qui a investi, en février 2017, dans une quatrième start-up française. Sur la même période, les Venture Capitalists (VC) étrangers ont renforcé leur présence : ils étaient dix-sept en 2016, contre cinq en 2014. Ce regain d’intérêt s’explique par trois principaux facteurs : un marché à fort potentiel, un rouble faible et une main d’œuvre Technologies de l’information (IT) hautement qualifiée à un coût entre cinq et dix fois inférieur à celui ayant cours en Europe ou aux États-Unis.

La French Tech Moscow : un label pour fédérer les écosystèmes français et russes de l’innovation et des start-up

La communauté française tech est en plein essor à Moscou. Elle a pris son envol à partir de 2014, avec l’arrivée de nouvelles start-up, licornes et PME innovantes françaises en Russie : AT Internet, Blablacar, Criteo, Generix, Humelab, Kameleoon, News Republic… De nouvelles pépites tech françaises sont entrées sur le marché russe en 2015, malgré le contexte difficile : Lengow, Netatmo, Parrot, StarOfService, Target2Sell… La même année, l’accélérateur parisien Numa s’exportait à Moscou.

Le projet French Tech Moscow s’est développé à partir du printemps 2015, en partenariat avec des acteurs institutionnels et privés, ainsi que d’une quinzaine d’ambassadeurs, personnalités françaises et russes emblématiques de la tech à Moscou (1).

La French Tech Moscow poursuit trois grands objectifs : fédérer tous les acteurs de l’écosystème, start-up, investisseurs, institutionnels et dispositifs de soutien aux entreprises ; faciliter le développement commercial et l’implantation des start-up françaises en Russie ; attirer des start-up et investisseurs russes en France.

Labélisée en janvier 2016, la French Tech Moscow rassemble aujourd’hui plus d’une centaine de membres (entrepreneurs à succès, start-up, PME, grands groupes, investisseurs français et russes) et organise plus d’une vingtaine d’événements et d’opérations de communication par an en vue de favoriser le réseautage et le partage d’expérience, de promouvoir et de valoriser le savoir-faire français en matière d’innovation, de renforcer la visibilité et l’attractivité du label French Tech auprès de l’écosystème de l’innovation et des start-up, des médias et influenceurs russes.

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1. http://moscow.lafrenchtech.com