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Que fera Poutine de sa victoire à la présidentielle ?

Arnaud Dubien Arnaud Dubien
20 mars 2024
Troisième chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF : https://www.rtbf.be/article/loeil-de-moscou-que-fera-poutine-de-sa-victoire-a-la-presidentielle-11346533




Vladimir Poutine a été officiellement réélu le 17 mars avec 87,28% des voix pour un cinquième mandat à la tête de la Russie. Le contexte général dans le pays et la réalité du régime ne laissaient aucune place au doute. Les trois candidats de l’opposition parlementaire autorisés à concourir – le communiste Kharitonov, déjà en lice il y a 20 ans, Leonid Sloutski, pâle successeur de Jirinovski, et le jeune Viatcheslav Davankov – qui avait fait entendre une petite musique différente pendant la campagne avant de rentrer promptement dans les rangs dès dimanche soir – avaient été choisis précisément pour leur faiblesse.

La mise hors-jeu de Boris Nadejdine, qui avait suscité quelques frémissements au début de l’année en portant une position antiguerre sans ambiguïté, signifiait qu’une fois de plus, le système avait choisi de ne prendre aucun risque, même très mesuré.

Le décès tragique d’Alexeï Navalny, ainsi que nous le laissions entendre dans notre chronique du 18 février, n’a pas eu de conséquences politiques majeures malgré l’assistance nombreuse à ses funérailles le 1er mars et l’action "Vote à midi", qui a eu un certain écho, surtout à Moscou.

C’est donc un Vladimir Poutine plein d’assurance qui s’est rendu dimanche soir dans son QG de campagne à deux pas du Kremlin et puis lundi en fin de journée sur la scène dressée sur la Place rouge pour célébrer le 10e anniversaire du "rattachement" de la Crimée à la Fédération de Russie.

Mais quelles sont ses priorités ? La préoccupation centrale du Kremlin, qui conditionne l’ensemble de ses choix économiques, politiques et diplomatiques, est bien entendu l’Ukraine.

Il a en réalité pris acte assez tôt, dès avril 2022, de l’échec de son "Opération militaire spéciale". Depuis lors, la Russie se prépare à une vraie guerre, dont elle pense qu’elle durera au moins jusqu’en 2025 ; et s’en donne les moyens – financiers, industriels et humains – en veillant cependant à ce que le mode et le niveau de vie de l’immense majorité de la population ne soient pas affectés.

Si Vladimir Poutine pourrait – les sondages le montrent – faire accepter à la société russe à peu près toute solution – sauf un retrait des territoires et une nouvelle mobilisation –, il nous semble improbable qu’il arrête son armée avant qu’elle ait repris l’ensemble de la région de Donetsk (40% sont toujours sous contrôle de Kiev).

Ira-t-il plus loin ? Les élites dirigeantes russes semblent avoir fait leur deuil de Kiev, mais l’établissement d’une zone tampon incluant Kharkiv et la jonction avec la Transnistrie (avec Odessa en ligne de mire) sont sans doute toujours des options envisagées.

La principale interrogation à ce stade porte sur les capacités offensives de l’armée russe au cours des prochains mois. Notons que les appréciations sur ce sujet divergent, y compris parmi les experts russes.

Au-delà du dossier ukrainien, on distingue trois autres priorités du pouvoir pour les années à venir. D’une part, la "souverainisation" de l’économie, qui passe par une réindustrialisation et un effort de recherche et d’éducation massif.

D’autre part, un rééquilibrage des politiques publiques en faveur d’une plus grande justice sociale.

Car, contrairement à une image largement répandue en Occident, la Russie de Poutine reste très libérale aux plans macroéconomique et fiscal : la réforme de l’impôt sur le revenu en cours d’élaboration doit précisément symboliser ce virage social.

Enfin, Vladimir Poutine va approfondir le "tournant vers l’Est" de son pays, amorcé dès le sommet de l’APEC à Vladisvostok en 2012 et dont la focale s’est élargie à l’ensemble du monde non-occidental depuis le début de la guerre d’Ukraine.

La visite du président russe à Pékin, prévue début mai, puis le sommet des BRICS qui se tiendra à Kazan à l’automne constitueront deux jalons marquants de cette réorientation diplomatique.

A plus court terme, Vladimir Poutine devrait procéder à un remaniement ministériel. Ni son ampleur ni le casting ne semblent arrêtés. Selon toute vraisemblance, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine – qui a géré de façon plutôt efficace les conséquences de la crise du Covid-19 puis l’intendance depuis le début de la guerre d’Ukraine – sera reconduit.

Des rumeurs circulent à Moscou sur le remplacement du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et du directeur du FSB Alexandre Bortnikov, mais on sait que le chef de l’Etat répugne à changer les hommes avec lesquels il a l’habitude de travailler.

Les évolutions seront probablement plus limitées. Le président devrait promouvoir quelques éléments jugés méritants (le gouverneur de Nijni-Novgorod Gleb Nikitine ? Le vice-Premier ministre Alexandre Novak, artisan de l’accord OPEP + avec les Saoudiens ?) et tester quelques "princes", ces fils d’amis de 30 ans voire plus du président (Boris Kovaltchouk, ex-patron de l’énergéticien Inter RAO, et Dmitri Patrouchev, actuel ministre de l’Agriculture, entre autres).

Le successeur de Vladimir Poutine se trouve-t-il parmi eux ? Nul ne le sait. Seule certitude : Vladimir Poutine aime surprendre. Le remplacement de Dmitri Medvedev à la tête du gouvernement début 2020 ressemblait beaucoup, en termes de confidentialité et de soudaineté, à une "opération spéciale".

La mise sur orbite de Vladimir Poutine en 1999 également. Ce modèle, qui a fait ses preuves, sera sans doute privilégié en 2030. Ou avant.

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