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Bilan d’étape pour l’Ukraine

Arnaud Dubien Arnaud Dubien
21 avril 2025
La chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF : https://www.rtbf.be/article/l-il-de-moscou-bilan-d-etape-pour-l-ukraine-11536037

A l’approche des 100 jours de la présidence de Donald Trump, les choses s’accélèrent dans le dossier ukrainien. Jeudi 17 avril, le secrétaire d’Etat Marco Rubio et l’envoyé spécial du président des Etats-Unis Steve Witkoff étaient à Paris pour des entretiens avec des représentants de l’Ukraine, Emmanuel Macron et d’autres responsables français. Le lendemain matin, le chef de la diplomatie américaine, s’exprimant depuis l’aéroport du Bourget, déclarait que son pays avait "d’autres priorités" que l’Ukraine et qu’il pourrait bientôt jeter l’éponge en l’absence de progrès diplomatique.

Fidèle à sa ligne, Donald Trump avait pour sa part martelé en début de semaine que "La guerre entre la Russie et l’Ukraine est la guerre de Biden, pas la mienne". Puis, samedi à la mi-journée, Vladimir Poutine prenait tout le monde de court en proclamant une trêve pascale de 36 heures : ce faisant, il envoyait un signal à son homologue américain et inversait la charge de la paix en obligeant Kiev à suivre ou à passer pour un empêcheur de cessez-le-feu.

Cette séquence devrait se prolonger dans les jours qui viennent avec un nouveau contact entre Witkoff et la direction russe, la poursuite des consultations entre Occidentaux à Londres et – murmure-t-on à Moscou – un troisième entretien téléphonique entre Poutine et Trump.

Les sceptiques diront que les positions des belligérants restent diamétralement opposées et qu’aucun accord de paix n’est en vue.

Pour autant, les lignes ont bougé, les perspectives des protagonistes aussi. De fait, l’administration Trump a refaçonné l’ordre du jour en mettant la fin des hostilités au cœur des discussions : c’est la fin du "quoi qu’il en coûte aussi longtemps que nécessaire" qui faisait office de stratégie chez les Occidentaux depuis 2022. Cette rupture rebat les cartes, en premier lieu pour l’Ukraine.

A ce stade, son armée tient bon et – malgré la lassitude de la guerre – la société n’entend pas capituler. Mais comment arriver à la table des négociations en meilleure posture si le soutien américain s’érode voire disparaît ? Est-il plus risqué d’accepter aujourd’hui une Pax Trumpica défavorable ou de poursuivre le combat sans perspective réaliste de l’emporter (une question qui, au demeurant, se pose aussi pour l’Union européenne) ?

Vu de Moscou – dont le rêve de "grand deal" avec Washington n’a jamais semblé aussi proche de se réaliser depuis le 11 septembre 2001 – il s’agit de dérouler la bobine en veillant à ne pas rompre le fil.

Au premier abord, les contraintes internes dont doit tenir compte Poutine sont faibles ; elles ne sont cependant pas nulles. Outre la "mouvance Z", qui pèse sans doute entre 20% et 25% de la population et qui serait frustrée en l’état actuel des choses, il doit composer avec l’aspiration – majoritaire – à la paix de la société russe et avec les intérêts – souvent divergents – des oligarques et des milieux d’affaires : si certains souhaitent continuer à évoluer en vase clos, d’autres – sans doute plus puissants mais se faisant discrets depuis le début de la guerre – veulent retrouver des conditions plus normales et ne pardonneraient pas au Kremlin de gâcher une opportunité unique de normaliser les relations avec Washington.

Quant à la Chine, qui était jusqu’ici en position très favorable grâce à la guerre (dépendance accrue de la Russie, sollicitations de l’Union européenne pour limiter son soutien à Moscou, prises de parole au nom du "Sud global", maintien de positions économiques en Ukraine), ses gains semblent désormais moins évidents.

Si elle n’a aucunement l’intention de se dissocier de son "partenaire stratégique", la Russie entend bien retrouver des marges de manœuvre à la faveur de l’affrontement Etats-Unis / Chine qui se profile. Notamment dans le domaine énergétique avec le projet de gazoduc Force de Sibérie-2, crucial pour Gazprom et dont la perception en termes de risques va sans doute évoluer rapidement à Pékin.

Le seul point sur lequel semblent s’accorder les protagonistes est que l’on se trouve à un tournant. A tort ou à raison, les observateurs russes ont interprété les récents propos de Rubio plutôt comme une mise en garde destinée à l’Ukraine et à ses principaux soutiens ouest-européens.

Ainsi que nous l’écrivions dans notre chronique du 3 mars, Moscou privilégie un scénario qui verrait Washington se désintéresser de l’Ukraine et qui lui permettrait d’atteindre ses objectifs militaro-stratégiques. A condition cependant que les Etats-Unis cessent effectivement tout soutien à Kiev, ce dont beaucoup doutent au Kremlin.

S’agissant de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, les Russes ne croient pas à l’hypothèse d’un "désalignement" par rapport à l’Ukraine. Leur espoir est plutôt que ce qu’ils perçoivent comme l’inéluctable défaite de Kiev soit aussi la débâcle de ses alliés.




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