La chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF :
https://www.rtbf.be/article/ukraine-poutine-est-il-trop-confiant-11552342Une fois n’est pas coutume, la presse occidentale et les propagandistes du Kremlin semblent sur la même longueur d’onde : les uns et les autres rapportent – qui pour s’en lamenter, qui pour s’en réjouir – que Vladimir Poutine serait particulièrement confiant quant à la suite des événements en Ukraine.
Il est vrai que le président russe a de bonnes raisons de l’être. Sur le terrain, ses troupes repartent de l’avant depuis une quinzaine de jours et bousculent l’armée ukrainienne dans le Donbass, dont la conquête reste l’objectif central du Kremlin.
Le rythme de progression des Russes a retrouvé des niveaux proches de ceux de l’automne dernier (30 km2 par jour), tandis que – à la surprise de la plupart des observateurs – le ministère de la Défense continue à recruter plus de 1000 volontaires par jour pour son " opération spéciale ". La guerre d’attrition commence donc, vu de Moscou, à porter ses fruits.
Sur les plans économique et politique, les grandes peurs de 2022/2023 semblent bien loin. La croissance sera certes plus faible cette année (sans doute 1,5%, contre plus de 4,3% en 2024) et la conjonction d’un pétrole à 55 dollars le baril de marque Urals et d’un rouble fort a contraint le gouvernement russe à réajuster le budget.
Mais rien, à court terme, ne paraît en mesure de compromettre l’effort de guerre du pays (qui n’est pas, à proprement parler, en économie de guerre). Quant à l’hypothèse d’une instabilité interne qui obligerait Vladimir Poutine à la paix ou à un départ – qui avait tant enflammé les Occidentaux au moment de la tentative de coup de force de Prigojine –, elle n’est plus guère prise au sérieux. La " mouvance Z " a été reprise en main et les anti-guerres sont en exil, en prison ou ont pris le parti de se taire.
Quant aux oligarques, il y a beau temps (depuis 2003 et l’affaire Ioukos pour être précis) qu’ils ont renoncé à s’immiscer dans les grands dossiers politiques et qu’ils se contentent de défendre leurs intérêts corporatistes les plus étroits.
Enfin, les derniers développements diplomatiques – en particulier les discussions d’Istanbul – ont conforté le Kremlin dans sa conviction que l’unité occidentale sur l’Ukraine appartenait au passé.
Donald Trump a pour priorité d’arrêter les frais, tandis que les Européens sont à court de moyens, d’idées et d’options (ce que ne saurait occulter l’adoption de nouveaux paquets de sanctions). La Russie considère en outre avoir repris la main en imposant le tempo (pas de cessez-le-feu immédiat), la méthode (échange de mémorandums préalables) et le cadre (strictement bilatéral) des négociations avec Kiev.
Cette chronique d’une victoire annoncée pour la Russie peut-elle encore ne pas se matérialiser ? La part d’incertitudes se réduit, mais certaines inconnues demeurent pourtant. Donald Trump, dont la versatilité est bien connue, pourrait-il finalement se braquer contre son homologue russe s’il le jugeait trop gourmand ?
Le différentiel quantitatif et qualitatif entre les armées russe et ukrainienne est-il suffisant pour ouvrir la voie à une accélération des opérations ? Les Russes sont-ils par exemple capables d’accéder aux faubourgs de Kharkiv ou de Zaporijjia – et donc de créer une nouvelle réalité politique – d’ici à l’hiver prochain ?
Car si Vladimir Medinsky, le chef de la délégation russe à Istanbul, s’est plu à rappeler que la Guerre du Nord conduite par Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle contre la Suède avait duré 21 ans, nul ne croit à Moscou qu’une guerre aussi longue est tenable. La conviction qui prévaut est que le véritable horizon temporel est de quelques mois, d’un an tout au plus.
Beaucoup d’acteurs influents du système ainsi que l’immense majorité des Russes aspirent en effet à passer à autre chose à défaut de revenir au statu quo ante. Si, d’ici-là, le rapport de force n’a pas évolué de façon significative, Vladimir Poutine devra envisager de trouver une issue politique afin de sauver l’essentiel.
Ou de se résoudre à une mobilisation de l’économie et de la société à une autre échelle, un choix qu’il a toujours refusé car jugé risqué. Ce quatrième été de la guerre russo-ukrainienne, on le voit, nous rapproche de l’heure de vérité.