Ru Ru

B) Politique intérieure & société

Clémentine Fauconnier Clémentine Fauconnier
1 novembre 2018

Panorama de l’opposition en Russie

Le 18 mars 2018, Vladimir Poutine a été réélu pour un quatrième et peut-être ultime mandat présidentiel (1). Au terme d’une campagne menée essentiellement par la Commission électorale centrale et durant laquelle le candidat s’est montré très discret, le président russe a battu tous les records, en engrangeant plus de 76 % des voix. Mécaniquement, ses concurrents n’ont jamais, au total, obtenu aussi peu de suffrages. Ce résultat marque l’aboutissement d’une tendance observable tout au long du troisième mandat présidentiel de Vladimir Poutine, à l’occasion tant des élections législatives de 2016 (2) que des scrutins régionaux regroupés tous les ans en un « jour unique d’élection », au mois de septembre.

La période 2012-2018 est en effet marquée par une nette augmentation des scores en faveur des candidats du pouvoir – qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, du parti Russie unie, de candidats sans étiquette soutenus par le Kremlin pour les sièges pourvus au scrutin majoritaire ou de l’élection de certains gouverneurs – au détriment des autres prétendants. Ces forces politiques que, mécaniquement, l’on désigne par le terme d’opposition, constituent en fait un ensemble hétérogène de phénomènes aussi bien du point de vue de leurs rapports avec le Kremlin et de leur organisation que de leur capacité à prendre part aux différents processus électoraux. Cet ensemble s’étend de l’opposition parlementaire la plus « constructive », selon l’expression consacrée, incarnée par Russie juste, qui n’a pas présenté de candidat à la présidentielle pour soutenir Vladimir Poutine, à des figures telles qu’Alexeï Navalny, marginalisé et interdit de participation à la campagne. À plusieurs égards, l’élection présidentielle de 2018 marque un tournant dans l’histoire récente des oppositions en Russie, en ce qui concerne tant les technologies d’administration du pluralisme mises en œuvre par les dirigeants, que les positionnements des représentants de l’opposition parlementaire et « hors-système ».

La promotion d’une opposition choisie : une stratégie risquée pour le Kremlin

L’administration du pluralisme constitue un trait caractéristique du système de pouvoir mis en place depuis l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence. Il s’agit d’une pratique consistant à réguler voire à créer par le haut l’offre politique, notamment via la législation électorale, et dont Vladislav Sourkov, chef adjoint de l’administration présidentielle de 1999 à 2011, a été le principal architecte. Elle suppose deux processus complémentaires : la partisanisation de la vie politique, d’une part, et la promotion d’une opposition choisie, d’autre part. Durant les années 2000, le jeu politique s’est, en effet, progressivement réduit autour d’un nombre restreint d’organisations partisanes nationales, au prix d’une loi sur les partis très contraignante. De même, l’écart s’est progressivement creusé entre l’opposition parlementaire, représentée à la Douma – depuis 2007, ils sont trois à disposer de façon stable de groupes : le parti communiste, le Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR) et Russie juste – et bénéficiant de facilités pour participer aux élections en échange d’une relative loyauté à Vladimir Poutine, et l’opposition dite « hors-système », reléguée aux marges de l’espace politique institutionnel.

Cette forme d’administration du pluralisme, que l’on pourrait qualifier de sourkovienne, ne consiste donc pas uniquement à garantir la majorité pour le parti du pouvoir aux différentes élections mais aussi à veiller à ce qu’une certaine opposition soit représentée. Ainsi, la généralisation du scrutin proportionnel – intégral pour les élections à la Douma et concernant au moins la moitié des sièges dans les régions – a limité la montée en puissance très rapide de Russie unie dans la branche législative du pouvoir durant la période considérée. La méthode connaît une nette accélération à partir du milieu des années 2000 et culmine avec la création par le haut du parti Russie juste, dirigé par Sergueï Mironov, alors président du Conseil de la Fédération – chambre haute du parlement –, ami personnel et soutien fervent de Vladimir Poutine. La concomitance d’un important mouvement social contre la loi de monétisation des avantages sociaux et des révolutions dites « de couleur » dans l’espace ex-soviétique, plus particulièrement la « Révolution orange » en Ukraine, nourrit en effet la crainte parmi les dirigeants de la répétition du même scénario en Russie. L’orientation idéologique de centre-gauche affichée par Russie juste vise donc à en faire le pendant du centre-droit Russie unie et à canaliser autant que possible l’humeur contestataire des électeurs vers des forces politiques adoubées par le pouvoir.

En dépit de son caractère contrôlé – avec, notamment, une barrière administrative très contraignante pour pouvoir participer aux élections –, cette forme d’administration du pluralisme permet de mettre en scène une relative ouverture du jeu politique. Elle présentait néanmoins des risques pour le Kremlin en offrant un certain nombre de leviers aux forces contestataires. Ainsi, au moment des élections législatives de décembre 2011, l’avocat et blogueur Alexeï Navalny, connu pour ses actions de lutte contre la corruption, opte pour une stratégie appelant les électeurs à se rendre aux urnes et à voter pour n’importe quel parti de l’opposition parlementaire. Dans les vidéos très pédagogiques qu’il diffuse sur internet à propos du fonctionnement du scrutin proportionnel, il précise que l’objectif n’est pas tant d’exprimer un soutien en faveur d’un de ces partis que de priver Russie unie de la majorité des sièges à la Douma. L’abstention, ajoute-t-il, est, en l’occurrence, contreproductive, là où le vote en faveur des autres partis représentés permettra mathématiquement de faire baisser la représentation du parti du pouvoir. Les élections législatives de décembre 2011 sont alors marquées non seulement par un recul historique de Russie unie, qui perd la majorité constitutionnelle des deux-tiers qu’elle détenait depuis 2003 et conserve d’extrême justesse la majorité absolue des sièges, mais aussi par le plus grand mouvement de contestation populaire que la Russie ait connu depuis

l’effondrement de l’URSS. Cet épisode montre ainsi non seulement que la mise en scène d’une certaine ouverture n’était pas suffisante pour canaliser le mécontentement des électeurs, mais encore que les partis de l’opposition choisie pouvaient être instrumentalisés par certains représentants plus radicaux de l’opposition « hors-système » et mettre en danger la domination de Russie unie.

La fin du mois de décembre 2011 voit l’effacement de Vladislav Sourkov et son remplacement par Viatcheslav Volodine à la gestion de la politique intérieure. Lors de sa dernière Adresse en qualité de président, Dmitri Medvedev annonce une série de réformes qui détricotent en grande partie le système mis en place par l’ancien chef adjoint de l’administration présidentielle, instaurant notamment un assouplissement considérable de la loi sur les partis, l’abandon du scrutin proportionnel intégral et le retour au scrutin mixte pour la désignation des députés à la Douma.

Un poids électoral de plus en plus faible pour l’opposition

Lors de cette ultime Adresse, Dmitri Medvedev présente ces réformes comme une réponse à la contestation populaire. Ces mesures doivent, selon lui, permettre une plus grande ouverture du jeu politique. L’abaissement de la barrière administrative doit faciliter la possibilité de participer aux élections et peut éventuellement remettre en question la frontière apparue entre l’opposition choisie et l’opposition « hors-système ». De même, le retour au scrutin majoritaire pour la moitié des députés à la Douma doit faciliter un meilleur ancrage territorial et donner l’opportunité aux représentants de petits partis ou aux candidats sans étiquette d’obtenir un mandat.

Or, l’effet obtenu est inverse. Sur la période qui s’étend de 2012 à 2018, les élections régionales, législatives et jusqu’à la présidentielle montrent un accroissement constant des scores des candidats du parti du pouvoir, tandis que l’opposition se voit de moins en moins représentée. Certes, à partir du printemps 2014, Vladimir Poutine bénéficie indéniablement d’un « effet Crimée » qui fait remonter en flèche sa cote de popularité : elle passe de 60 % à 80 % d’opinions favorables. Cependant l’accroissement de la représentation de Russie unie dans les parlements régionaux se manifeste dès l’automne 2012 et conduit à prendre en compte l’importance des facteurs institutionnels, notamment des réformes concernant les partis et les élections.

D’une part, l’abaissement des barrières administratives pour faciliter l’enregistrement des partis et leur participation aux élections entraîne un accroissement très rapide de leur nombre – sept en 2011 contre soixante-huit en 2018 – et contribue tout d’abord à éparpiller les voix en faveur de l’opposition. En outre, pour la part de scrutin proportionnel, le mécanisme de conversion des voix en sièges a pour conséquence que celles en faveur des organisations n’ayant pas franchi le seuil de représentativité – le plus souvent fixé à 5 % – permettent aux autres, notamment à Russie unie, d’obtenir plus de mandats avec moins de suffrages. Ainsi, lors des élections législatives du 18 septembre 2016, Russie unie bénéficiait, au scrutin proportionnel, de 62 % des sièges avec 54 % des voix.

D’autre part, le retour au scrutin majoritaire pour la moitié des députés à la Douma permet à Russie unie de faire le plein de suffrages, le parti ayant les moyens d’attirer les candidats les plus respectés dans les circonscriptions concernées. Lors des élections à la Douma, 203 des 225 sièges à pourvoir au scrutin majoritaire, soit 90 %, sont remportés par des candidats de Russie unie.

Les élections législatives sont une très bonne illustration de cette tendance, par ailleurs observable dans les régions sur toute la période concernée. Russie unie y obtient, en effet, le score historique de 76 % des sièges, soit 105 de plus que dans la législature précédente – alors que le parti a perdu 4 millions de voix.

Outre les facteurs mentionnés ci-dessus, ce dernier scrutin a également été marqué par un effondrement de la participation, qui passe de 60 % à 48 %. L’opposition, déjà divisée par l’assouplissement de la loi sur les partis et le retour partiel au scrutin proportionnel, est ainsi la première à pâtir du désengagement de la population. L’abaissement de la barrière administrative pour permettre à un plus grand nombre de formations de participer aux élections – elles étaient sept en 2011, quatorze en 2016 – ne remet cependant pas en cause la frontière apparue entre les partis de l’opposition constructive et les nouveaux entrants. Si le parti communiste, Russie juste et le LDPR ont à eux trois perdu plus de la moitié de leurs sièges à l’issue des législatives de 2016, ils restent néanmoins les seuls à être représentés à la Douma. Et, outre un élu sans étiquette, seuls deux nouveaux entrants sont parvenus à obtenir un mandat : un pour le parti Rodina un pour Plateforme civique. Rodina, parti nationaliste, créé une première fois en 2003, a disposé d’un groupe à la Douma à l’issue des législatives de cette même année, avant de participer en 2006, avec deux autres organisations, à la fondation de Russie juste. Il est refondé en 2012 par un député membre de Russie unie, Alexeï Jouravliov. Le parti Plateforme civique a également été créé en 2012 autour de la personnalité de Mikhaïl Prokhorov, candidat de la droite libérale à l’élection présidentielle la même année, et qui était alors arrivé à la troisième place avec près de 8 % des voix.

Le maintien de l’écart entre les partis de l’opposition parlementaire – ceux qui disposent de groupes à la Douma – et les autres se vérifie également dans les régions. Les premiers disposent à eux trois de 18,5 % des sièges dans les parlements régionaux, plus du triple des mandats des autres formations et des élus sans étiquette, Russie unie détenant 76 % des mandats. De même, ils sont les seuls à bénéficier de la politique de cooptation très sélective menée par le Kremlin pour la désignation des gouverneurs. Depuis 2012, les chefs des exécutifs régionaux ont, en effet, la possibilité de se faire élire au suffrage universel (3) ; l’écrasante majorité de ceux qui ont été élus depuis sont soit membres de Russie unie, soit sans étiquette et soutenus par le Kremlin. En 2018, on compte seulement deux gouverneurs communistes, un de Russie juste et un du LDPR. Dans la plupart des cas, ils ont été élus sans avoir de concurrent soutenu par le Kremlin ou, parfois, désignés par intérim par Vladimir Poutine, suite à la démission de leur prédécesseur : c’est le cas d’Alexandre Bourkov (Russie juste) dans la région d’Omsk, ou d’Andreï Klytchkov (parti communiste) dans celle d’Orel. En 2018, Sergueï Levtchenko, gouverneur de la région d’Irkoutsk, communiste, est le seul gouverneur de l’opposition parlementaire et de l’opposition tout court à gagner son siège contre un candidat de Russie unie.

Quel renouvellement générationnel ?

Les résultats de l’élection présidentielle du 18 mars 2018 confirment donc les tendances observées durant les années précédentes. Les partis de l’opposition parlementaire pâtissent de la stratégie de maximisation du nombre de votes en faveur de Vladimir Poutine, tout en conservant des avantages institutionnels et en étant dispensé de l’étape critique de la collecte de signatures pour pouvoir participer aux élections. On relève cependant une certaine hétérogénéité des situations. Ainsi, contrairement à l’élection de 2012, Sergueï Mironov, leader de Russie juste, n’a pas présenté sa candidature et a annoncé son soutien à Vladimir Poutine. Vladimir Jirinovski a obtenu un score à peu près équivalent à celui de 2012 en engrangeant plus de 4 millions de voix. Le principal suspens concernait la campagne et le score du candidat communiste.

De façon continue depuis les années 1990, le parti communiste reste la principale force d’opposition en Russie postsoviétique, même si son poids électoral a très fortement baissé avec l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. Au milieu des années 2000, le parti bénéficiait même d’un nouvel électorat, urbain et diplômé, canalisant une partie du vote contestataire, pour l’essentiel d’origine démocrate et libérale. Ce phénomène avait d’ailleurs donné lieu, à la marge, à une modification de la stratégie de communication du parti qui, par exemple, en 2011 à Saint-Pétersbourg, avait commencé à cibler davantage les représentants de la classe moyenne et les jeunes. L’enracinement de cette tendance aurait toutefois supposé un renouvellement aussi bien des références historiques et idéologiques du parti que de son leadership, incarné par Guennadi Ziouganov. Le fait que Pavel Groudinine, né en 1960, directeur d’un sovkhoze dans la région de Moscou soit le candidat – non encarté – du parti communiste pour la présidentielle de 2018 a suscité un intérêt important. Le soutien que lui a apporté le Front de gauche – coalition de mouvements et partis d’extrême gauche, dirigé par Sergueï Oudaltsov, incarcéré à de nombreuses reprises pour organisation de manifestations contre Vladimir Poutine – permettait en outre d’envisager un renouvellement – tant en termes de références que de militants et d’électeurs – pour le candidat. Pavel Groudinine ne transforme cependant pas l’essai en recueillant 8,5 millions de voix (11,7 %), soit le score le plus bas jamais réalisé par le parti. Cible de plusieurs attaques qui mettent au jour de nombreux avoirs non déclarés au moment du dépôt de sa candidature, Pavel Groudinine perd également une part significative de son électorat par ses déclarations en faveur de Joseph Staline, qu’il affirme considérer comme le meilleur chef d’État du XXe siècle. Il conserve cependant la deuxième place, loin derrière Vladimir Poutine, suivi de Vladimir Jirinovski. Alors que Mikhaïl Prokhorov, candidat de la droite libérale, avait recueilli 8 % des voix et s’était hissé à la troisième place en 2012, l’élection présidentielle de 2018 est marquée par l’effondrement du vote libéral et démocrate. Ksenia Sobtchak et Grigori Iavlinski, chef historique du parti Iabloko, parviennent à réunir ensemble à peine plus de 2,5 % des suffrages.

Le grand paradoxe de la présidentielle de 2018 réside toutefois dans la distorsion entre le poids électoral des différents candidats et ceux qui ont retenu l’attention publique et médiatique. Ainsi, si l’opposition non parlementaire demeure à de nombreux égards très marginalisée, les figures respectives d’Alexeï Navalny et de Ksenia Sobtchak ont cependant occupé le devant de la scène. Grand artisan du mouvement de protestation de l’hiver 2011-2012, le premier a failli mettre en ballotage le maire sortant de Moscou, Sergueï Sobianine, en 2013. Auteur de vidéos diffusées sur You Tube, consacrées au mode de vie des élites russes et regardées à chaque fois par plusieurs millions d’internautes, il se préparait très sérieusement à la campagne depuis le début de l’année 2017, multipliant les meetings à travers la Russie. Suite au refus de la Commission électorale centrale d’enregistrer sa candidature en raison des poursuites judiciaires dont il fait l’objet, il appelle au boycott des élections.

Deux mois auparavant, Ksenia Sobtchak avait annoncé son intention d’être candidate, précisant aussitôt qu’elle renoncerait si Alexeï Navalny participait. Fille d’Anatoli Sobtchak, maire libéral de Saint-Pétersbourg dans les années 1990 et mentor de Vladimir Poutine, elle a été médiatisée dès son plus jeune âge et est connue du grand public pour ses frasques, puis sa participation en tant qu’animatrice à différents programmes de télé-réalité. Au tournant des années 2010, elle se rapproche de l’opposition « hors-système », en apparaissant aux meetings durant le mouvement de protestation de l’hiver 2011-2012. Sa carrière dans les médias connaît un tournant lorsqu’elle rejoint la chaîne Dojd, réputée pour ses contenus de qualité et son indépendance éditoriale. Si le rôle du Kremlin dans sa candidature est difficile à évaluer, cette figure atypique et controversée – tous les Russes savent qui elle est, mais ils sont plus de 90 % à affirmer ne pas l’apprécier – contribue cependant à jeter le trouble dans les rangs de la nouvelle génération politique issue de l’opposition « hors-système » et du mouvement de protestation de l’hiver 2011-2012. Cible de violentes attaques verbales de la part d’Alexeï Navalny, qui l’accuse d’être un leurre téléguidé par le Kremlin destiné à le doubler et l’affaiblir, elle a néanmoins annoncé son intention de poursuivre sa carrière politique et créé dans cette perspective le Parti du changement en vue des élections législatives de 2021. De fait, Alexeï Navalny, déjà affaibli par son exclusion de la campagne qui l’a privé d’une tribune médiatique et publique importante, doit désormais se battre sur deux fronts. À l’issue de l’élection présidentielle, il annonce également la fondation de son parti : La Russie du futur.
*

Si les réformes effectuées, à l’issue de la crise de 2011, sur les partis et les élections ont détricoté une partie du système mis en place par Vladislav Sourkov, elles n’ont toutefois pas conduit directement à une plus grande représentation de l’opposition ni à sa diversification. Au contraire, la pratique d’administration du pluralisme, menée durant tout le troisième mandat de Vladimir Poutine jusqu’à sa réélection triomphale le 18 mars 2018, a abouti à une domination record de Russie unie. De même, l’assouplissement de la loi sur les partis et le changement des modes de scrutin n’ont pas réduit l’écart entre l’opposition « hors-système » et les partis de l’opposition parlementaire, qui se sont davantage trouvés en difficulté face à la hausse des scores du parti du pouvoir et à l’abstention grandissante de la population. Si la question du renouvellement générationnel est inévitable dans les années qui viennent, elle n’a pour le moment pas été concluante pour le parti communiste. La succession de Vladimir Poutine, a priori à l’issue de son quatrième mandat présidentiel, demeure aussi, actuellement, un mystère. C’est pour l’instant du côté de l’ancienne opposition « hors-système », guère plus intégrée dans le paysage politique qu’à l’époque de Sourkov, que de nouvelles figures ont émergé et se sont imposées depuis 2011. Disposant de ressources médiatiques, numériques et – pour Alexeï Navalny – d’un savoir-faire indéniable en termes de mobilisation, ce qui lui donne un réel pouvoir de nuisance à défaut, dans l’immédiat, d’un poids électoral –, ces figures annoncent la résurgence de logiques très personnalisées, là où Sourkov s’était efforcé de confronter symboliquement Vladimir Poutine à des partis plutôt qu’à des personnes. Les élections de 2018 ont ainsi vu un dédoublement de la scène politique entre un jeu électoral régulier sans beaucoup d’enjeux, et un autre, hors institution, médiatique et numérique, opposant un Vladimir Poutine vieillissant à une génération montante de prétendants.

1. La Constitution interdit d’effectuer plus de deux mandats présidentiels consécutifs. À moins que Russie unie ne propose à la Douma une modification à ce sujet, ce que Vladimir Poutine a affirmé à plusieurs reprises ne pas souhaiter, celui-ci ne pourra donc pas se présenter à sa propre succession en 2024. Il aura à ce moment 72 ans, ce qui rend assez improbable la répétition d’un scénario comme celui de la présidence Medvedev de 2008 à 2012.

2. Depuis la réforme adoptée en 2008, les mandats des députés à la Douma et du président de la Fédération de Russie passent respectivement de quatre à cinq ans et de quatre à six ans. Ainsi, pour la première fois, les élections législatives, puis l’élection présidentielle, ne se sont plus déroulées à trois mois mais à un an et demi d’écart.3. Cette possibilité leur avait été retirée en 2004, suite à la prise d’otages dans une école maternelle à Beslan, dans le contexte de la deuxième guerre en Tchétchénie. De 2005 à 2012, ce sont donc les parlements régionaux qui désignaient formellement les gouverneurs, dont la candidature était proposée par le président de la Fédération de Russie.