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D) Régions

Vladimir Pawlotsky
1 novembre 2017

La refonte des infrastructures entre Moscou et Saint-Pétersbourg

Les infrastructures de transport en Russie souffrent d’une image déplorable et inspirent de multiples dictons populaires. À son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine cherche à redéployer et à moderniser ces infrastructures jugées obsolètes, inefficaces et inégalement réparties sur le territoire. Il entend revitaliser les régions en difficulté, innerver les territoires les plus déficitaires et favoriser l’émergence de nouveaux pôles de croissance. En 2008, sous l’égide du ministère des Transports, les autorités russes lancent leur Stratégie des transports de la Fédération à l’horizon 2030. Le texte, selon les deux scénarios avancés, prévoit un budget de 1 000 ou de 1 430 milliards d’euros. Les priorités énoncées sont les suivantes : 1) multimodalité (création de hubs) ; 2) logistique (fret); 3) mobilité de la population ; 4) connexion internationale ; 5) sécurité ; 6) diminution de l’empreinte écologique.

Très ambitieuse, cette stratégie envisage la création d’un système de financement multi-scalaire (fédéral-régional) pluriannuel et entend favoriser le développement de partenariats public-privés (PPP). Il s’agit en priorité de développer l’axe Nord-Sud, de Saint-Pétersbourg à la mer Noire ; de construire le cinquième boulevard périphérique moscovite TsKAD ; d’optimiser le transsibérien et de créer la ligne à grande vitesse (LGV) Moscou-Sotchi. En outre, nombre d’infrastructures ont été pensées dans une logique à court terme en vue de la Coupe du monde de football prévue en 2018 : c’est le cas notamment de la LGV Moscou-Kazan-Ekaterinbourg qui vise à relier les principales villes où auront lieu la plupart des matchs du Mondial.
Le réseau ferré



Le dispositif soumis par le gouvernement propose d’abord la modernisation de « l’axe des puissants » (1). Le 17 décembre 2009, les autorités lancent le Sapsan (2), train à grande vitesse reliant en moins de quatre heures Moscou et Saint-Pétersbourg. Avec plus de 4 millions de passagers en 2015 (en hausse de 16 % par rapport à 2014) et plus de 18 millions de passagers depuis sa mise en circulation en décembre 2009, le Sapsan permet d’assurer la liaison Moscou-Saint-Pétersbourg avec un gain de rapidité (entre quarante minutes et une heure par rapport au Nevski Express et un gain de plus de quatre heures par rapport aux convois « classiques »). Le prix d’accès étant élevé (autour de trois mille roubles pour un aller simple), on rencontre à son bord une clientèle aisée, issue des capitales dans son immense majorité (87 %), ayant un haut niveau de qualification et dont les trajets fréquents sont liés au business (3). Aussi, en 2013, le dispositif de trains Lastotchka (4) équipe-t-il les lignes secondaires de l’Ouest russe, assurant une meilleure liaison avec Tver, Bologoïe et Veliki Novgorod, villes majeures du territoire inter-métropolitain [mejstolitchie]. Ainsi, deux semaines seulement après le lancement des trains Lastotchka sur la ligne Moscou-Krioukovo-Tver, la RZD constate, sur cette même ligne, une augmentation du trafic de 23 % (5).

L’autoroute M11

Divisée en plusieurs tronçons – certains encore en phase d’élaboration ou de construction, d’autres déjà ouverts à la circulation –, l’autoroute à péage M11 Moscou-Saint-Pétersbourg, entend désengorger la M10, l’axe le plus emprunté du pays. Conçue dans le cadre d’un PPP entre l’entreprise française Vinci, sa filiale russe North West Concession Company (NWCC) et les autorités de Russie représentées par Avtodor (société publique en charge de la gestion des autoroutes), la M11 prévoit (pour son premier tronçon ouvert à la circulation) dans la région de Moscou de faciliter l’accès à l’aéroport international de Cheremetievo (le plus important de Russie en termes de trafic), ainsi qu’aux quartiers et villes avoisinants que sont Khimki, Dolgoproudny et Zelenograd. Le prix d’accès moyen annoncé est de 3,6 roubles par kilomètre (6) et, rapporté aux sept cents kilomètres qui séparent Moscou de Saint-Pétersbourg, fixera le prix du voyage à plus de deux mille cinq cents roubles en moyenne par véhicule (hors carburant).

Modernes, sécurisées et chères, ces nouvelles infrastructures destinées aux classes supérieures en provenance des capitales redessinent la carte et redéploient les flux de personnes et de marchandises sur le territoire inter-métropolitain. Certaines localités, devenues accessibles, sont valorisées grâce aux touristes aisés des capitales et à la construction de parcs de datchas :

1) C’est le cas de Zavidovo, dans la région de Tver. Desservi par la M10, la future M11 et une partie du réseau ferroviaire secondaire (entre 1h30 et 2h depuis Moscou), le « Grand Zavidovo », comme ses promoteurs aiment à l’appeler, se présente comme un complexe hôtelier pour classes aisées, où se trouve l’une des résidences officielles du président de la Fédération.

2) Valdaï, dans la région de Novgorod, petite ville connue pour le club de réflexion du même nom, à mi-chemin entre Moscou et Saint-Pétersbourg, abrite également une résidence présidentielle. Un « centre de repos » y a été construit pour clients fortunés.

Le 13 août 2007, à la gare de Malaïa Vichera, un attentat attribué à des terroristes du Caucase du Nord blessait soixante passagers d’un train inter-cités. Le 27 novembre 2009, une quinzaine de jours avant la mise en circulation du Sapsan, un second attentat faisait vingt-huit morts et cent trente-deux blessés dans le Nevski Express, qui effectuait la liaison Moscou-Saint-Pétersbourg avant d’être remplacé (7) par le Sapsan. Revendiqué par Dokou Oumarov [1964-2013], émir auto-proclamé du Caucase, l’attentat tuait plusieurs hauts fonctionnaires russes. Ces événements tragiques induisent l’idée que la ligne ferroviaire Moscou-Saint-Pétersbourg est une cible stratégique et qu’au vu des caractéristiques socioéconomiques de ses usagers, elle symbolise l’entre-soi de l’élite russe.

Loin d’être aléatoire, le choix des tracés est le fruit de rapports de force entre des acteurs étatiques, non-étatiques, économiques ou institutionnels, russes ou étrangers, dont les stratégies divergent souvent, convergent parfois. Ainsi la recomposition du territoire inter-métropolitain se réalise-t-elle au gré des tracés qui convertissent certaines villes historiquement secondaires en nouveaux hubs régionaux, mieux connectés, où les réserves importantes de foncier restent bon marché et favorisent l’émergence de nouveaux pôles d’attraction.

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1. Vladimir Pawlotsky, « Russie. L’axe Moscou-Saint-Pétersbourg, un médian des puissants ? », P@ges Europe, La Documentation française, 18 mars 2015.

2. Signifie « faucon pèlerin » en russe. Le Sapsan est le fruit d’une coopération entre les autorités de Russie, sous l’égide de la Compagnie des chemins de fer russe (RZD), et de l’entreprise allemande Siemens. Sa vitesse peut atteindre jusqu’à deux cent cinquante kilomètres/heure.

3. Tous les chiffres présentés ici sont disponibles dans l’enquête «Sapsan Sacvoyage SW», Mediakit, 2016. La différence entre « business » et « travail » n’est pas définie dans l’enquête.

4. Signifie « hirondelle » en russe. Tout comme le Sapsan, il est conçu par l’entreprise allemande Siemens et atteint, cette fois, une vitesse maximum de cent soixante kilomètres/heure.

5. Voir le site du groupe RZD : < http://eng.rzd.ru/newse/public/en?STRUCTURE_ID=15&layer_id=4839&refererLayerId=5074&id=106715 >

6. Le prix diffère selon le véhicule : il est minoré pour les voyages de particuliers de 2,6 à 3,9 roubles/kilomètre et majoré pour le transport de marchandises de 5,2 à 10,4 roubles/kilomètre.

7. Il sera réhabilité quelques années plus tard, à raison d’un train par jour, parallèlement au Sapsan.