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D) Régions

Andreï Repnevski
1 novembre 2017

Les relations russo-norvégiennes : aspects régionaux

La région euro-arctique de Barents (BEAR) comprend cinq « sujets » de la Fédération de Russie. Parmi eux, les régions d’Arkhangelsk et de Mourmansk, le district autonome de Nénétsie aspirent plus que les autres à entretenir de bonnes relations avec la Norvège. Une conférence tenue à Moscou les 12-13 octobre 2016, sur le thème : « La coopération internationale dans l’Arctique : nouveaux défis et vecteurs de développement », faisait le point sur l’état de ces relations. Organisée par le Conseil russe pour les affaires internationales (RSMD), avec le soutien du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères de Russie, elle était consacrée au vingtième anniversaire du Conseil de l’Arctique. Plus de cinq cents représentants des États membres du Conseil de l’Arctique prenaient part à ses travaux.

Dialogue, coopération et sanctions

À l’ouverture de la conférence, Vladimir Barbine, ambassadeur russe pour l’Arctique, lisait une allocution de bienvenue du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans laquelle l’Arctique était présenté comme un espace de dialogue et de coopération. Dmitri Rogozine, vice-président du gouvernement de Russie, développait ce thème dans son intervention : « L’Arctique est l’un des rares axes où la coopération internationale avec la Russie non seulement ne s’est pas interrompue, mais se poursuit activement […] et nous sommes résolus à nous opposer fermement à toute tentative de créer des tensions dans la région et d’y introduire une politique de confrontation. » Rappelons que dans les eaux de la mer de Barents et sur cent quatre-vingt-seize kilomètres de frontières terrestres entre la Russie et la Norvège, les armées et les forces navales de la Fédération de Russie et de l’OTAN se font face.

Anniken Krutnes, ambassadrice norvégienne pour l’Arctique, tenait un discours optimiste, notant que la Norvège et la Russie avaient un bon niveau de coopération, notamment sur la question des ressources halieutiques de la mer de Barents.

Malheureusement, ce n’est pas à l’aune du poisson qu’il convient de mesurer les relations entre la Russie et la Norvège, qui, en 2015-2016, ne sont pas au beau fixe et rappellent en partie le temps de la « guerre froide ». Cette tendance négative s’amorce le 30 septembre 2014, date à laquelle Børge Brende, ministre norvégien des Affaires étrangères, déclare que son pays s’associe aux sanctions adoptées contre la Russie, le 12 septembre, par l’Union européenne, en lien avec les événements d’Ukraine. Les sanctions prévoient notamment de renoncer à la coopération militaire avec Moscou en mer de Barents. Des interdits portent également sur toute forme d’assistance technique, indispensable pour la prospection pétrolière et gazière, le forage en eaux profondes et l’exploitation de la zone russe du plateau continental arctique. C’est ainsi qu’est gelé un accord majeur de 2012, entre la compagnie norvégienne Statoil et la russe Rosneft, portant sur la coopération dans la partie nord de la mer de Barents. Les investissements étaient estimés à 34-40 milliards de dollars. Certes, l’exploration offshore dans la mer de Barents a été stoppée principalement en raison de la chute brutale des prix mondiaux du pétrole. Mais les spécialistes reconnaissent qu’une partie des projets a été gelée à cause des sanctions. Au total, huit projets d’exploitation de gisements d’hydrocarbures ont été ajournés, côté russe. Il ne faut pas oublier que la Norvège est le principal concurrent de la Russie pour les fournitures de gaz aux pays de l’Union européenne et à l’Ukraine. Le bilan du premier trimestre 2015 indique même qu’elle a dépassé la Russie en volumes, livrant aux pays d’Europe occidentale 29,2 milliards de mètres-cubes.

Au terme de l’année 2014, la Norvège est soumise aux contre-sanctions. La Fédération de Russie, principale importatrice de poisson norvégien et de ses dérivés, renonce à ces achats en 2015. Un an plus tard, il est vrai, les conséquences de la riposte russe sont annulées pour les Norvégiens par une bonne conjoncture sur les marchés européens.

Retour des mythes de la « guerre froide »

Membre de l’OTAN, la Norvège suit la ligne antirusse de son ancien Premier ministre, Jens Stoltenberg, aujourd’hui Secrétaire général de l’Alliance. Le mythe de la « menace russe » se répand dans le pays, on attise la peur d’une « agression russe ». En avril 1949, ce genre de phobie poussait le pays à rallier l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. En 2016, pour les mêmes motifs, la Norvège revient sur son engagement de l’époque de ne pas accepter de bases militaires ni de troupes étrangères sur son territoire. Dès le début de 2017, trois cent trente marines américains sont stationnés (par rotation) sur la base de Vaernes, près de Trondheim.

À compter de 2016, le thème de la « menace venue de l’Est » prend une résonance très concrète, qui se traduit par la nécessité urgente d’un réarmement. Des experts ont calculé que pour faire face au « danger russe » dans l'Arctique, la Norvège a eu besoin, rien qu’en 2016, d’un budget supplémentaire de près de 2 milliards de couronnes. La ministre norvégienne de la Défense, Ine Marie Eriksen Søreide, a maintes fois évoqué la dégradation des relations entre son pays et la Russie, due à « l’agression croissante » de Moscou dans l’Arctique. Le 18 juin 2016, le Premier ministre norvégien, Erna Solberg, parle à son tour de la plus importante modernisation de l’armée depuis l’époque de la « guerre froide ». Dans le cadre du programme de réarmement qui court jusqu’en 2019, des commandes de plusieurs milliards ont déjà été passées en Suède et aux États-Unis, et l’accès des Américains et de l’OTAN à l’océan glacial Arctique a été élargi. L’effort militaire de la Norvège elle-même n’inquiète guère la Russie. Autre chose l’alarme, à savoir le soutien apporté par Oslo aux plans de l’OTAN dans l’Arctique et sur tout le flanc nord de l’Europe, des pays baltes et de la Pologne à la Finlande et à la Suède.

La région de Mourmansk et son environnement

Source : Observatoire franco-russe.

Il est probable que le gouvernement norvégien ait été effrayé par la rapide restauration et la modernisation de l’infrastructure militaire de la Fédération de Russie sur les côtes, les archipels et dans les eaux de la mer de Barents, de la Nouvelle-Zemble à Severodvinsk et Severomorsk. Mais le terme d’« agression » employé à l’égard de la Russie est parfaitement déplacé, dans la mesure où celle-ci ne menace en rien le territoire norvégien. Elle respecte strictement, bien au contraire, la frontière terrestre établie depuis 1826, de même que les limites maritimes fixées par des documents datant de 2010-2011.

Les Russes arrivent !

La diffusion, le 4 octobre 2015, par la chaîne TV2, des premiers épisodes du film L’Occupation, le plus onéreux de toute l’histoire du pays, a sans nul doute contribué à propager au-delà du raisonnable le slogan « Les Russes arrivent ! ». Selon la Société norvégienne de radiodiffusion (NRK), le premier épisode « a été regardé par six cent trente-trois mille personnes, soit 13 % de la population. Jamais aucune série n’avait connu un aussi bon début à la télévision norvégienne ». Plus de la moitié des téléspectateurs avaient entre vingt et quarante-neuf ans. Au cours de l’année 2016, le film a déferlé sur l’Europe, de la Suède à la République tchèque. Dans le scénario d’origine, les occupants de la Norvège devaient être les troupes de l’Union européenne ; elles ont été remplacées par les Russes dans la version diffusée. L’ambassadeur de la Fédération de Russie en Norvège devait déclarer que les auteurs avaient décidé, dans la pire tradition de la « guerre froide », d’effrayer les téléspectateurs norvégiens par un danger venu de l’Est, qui, en réalité, n’existe pas.

Migrants de Russie et spectre du FSB

La presse norvégienne attise également les sentiments antirusses de la population à propos des migrants. Au cours de l’année 2015, deux cent cinquante mille personnes franchissent la frontière dans les deux sens, par l’unique point de passage (des hommes et des marchandises) au nord de la péninsule de Kola (Borissoglebsk-Sturskug). Près de cinq mille cinq cents d’entre elles ne rentreront pas en Russie. Les médias norvégiens répandent alors une information mensongère, selon laquelle le franchissement de la frontière, à bicyclette, par des réfugiés en provenance de Mourmansk était une « provocation du FSB ». C’est ce qu’écrit le rédacteur en chef de la publication internet Independent Barents Observer, Thomas Nilsen, soutenu par le journaliste Kjetil Stormak, lequel affirme qu’il s’agit d’une variante de « guerre hybride ». Cette propagande porte ses fruits et, aux environs de Pâques 2016, des sondages effectués par Ipsos MMI pour aldrimer no. montrent que 43 % de la population norvégienne estiment que le FSB et les autorités russes ont activement favorisé l’afflux de réfugiés en Norvège. Ils sont même 48 % à le penser dans le comté de Finnmark.

La décision prise par Oslo, en avril 2016, d’ériger une haute barrière sur la frontière avec la Russie a également tout du battage de propagande, car les migrants de l’automne 2015 n’utilisaient que le passage officiel. Dès le mois de janvier 2016, le flot de soi-disant « réfugiés syriens » (en réalité, ces gens venaient de quarante-deux pays) se réduit à la frontière de la Russie dans la péninsule de Kola et, à l’été, il a chuté de 95 %. La situation a pu se normaliser grâce à l’entrée en vigueur en Norvège, le 20 novembre 2015, de lois restreignant le droit d’asile. Par ailleurs, le 26 février 2016, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, donnait l’ordre, au cours d’un conseil du FSB, de « renforcer les contrôles des flux de réfugiés arrivant en Russie ou en transit vers les pays d’Europe ». Il n’était donc plus besoin de « fortifications » supplémentaires, mais le pouvoir norvégien ne renonçait pas pour autant à sa « barrière anti-migrants ». Finalement, la « montagne » de la propagande « a accouché d’une souris » : des barbelés sur une longueur de deux cents mètres seulement. Précisons que l’immense majorité des migrants – des dizaines de milliers de personnes – ne passaient absolument pas par la Russie pour atteindre la Norvège. Or les Norvégiens n’ont pas entrepris de dresser des barrières à leurs frontières avec la Finlande et la Suède.

« L’image de l’ennemi » et comment le combattre

La reconstruction de « l’image de l’ennemi » a porté ses premiers fruits amers. Un sondage effectué en 2015 par le journal Dagbladet, qui fait autorité, indique que 45 % des Norvégiens voient déjà « dans la Russie une menace pour leur pays ». Le journal écrit que « 37 % des personnes interrogées ont qualifié d’“accrue” la menace russe et 8 % de “très élevée” ». Les plus inquiets sont les habitants des territoires frontaliers de la région de Mourmansk. La poursuite de cette politique est grosse non seulement d’un net affaiblissement des relations économiques, politiques, écologiques, mais aussi d’une rupture des larges contacts humains et culturels instaurés par des efforts mutuels à partir des années 1990 et jusqu’en 2013.

Si l’on veut « casser », en 2017, les tendances négatives qui affectent les relations russo-norvégiennes dans la région de Barents, il convient de prendre des initiatives au niveau des deux États concernés ; il faut aussi des changements géopolitiques favorables. Les mesures énumérées ci-après sont susceptibles d’avoir un effet en ce sens.

Premièrement, la propagande russe régionale et nationale doit combattre sans relâche toute tentative d’encourager la moindre phobie visant les voisins norvégiens et s’efforcer d’expliquer la politique de la Fédération de Russie dans l’Arctique.

Deuxièmement, dès le 30 septembre 2016, afin d’évoquer dans un contexte amical les problèmes surgissant dans l’Arctique et de mettre sur pied un mode concret de coopération, le gouvernement de Russie décidait d’organiser régulièrement (une ou deux fois par an) un forum international : « ’Arctique, un espace de dialogue ». Le premier a eu lieu en mars 2017 à Arkhangelsk.

Troisièmement, l’action du ministère des Situations d’urgence doit réjouir Russes et Norvégiens : en 2016, il entreprenait la création d’un « système de sécurité complexe » dans la zone de la Route maritime du Nord. À l’heure actuelle, quatre centres de secours sont ainsi ouverts, dont trois situés dans la région de Barents : à Mourmansk, Arkhangelsk et Narian-Mar.

Enfin, au 1er janvier 2017, entrait en vigueur le « Code polaire », un ensemble de règles internationales applicables aux navires exploités dans les eaux polaires. Il s’agit là d’un progrès à l’échelle mondiale. Des juristes et des techniciens d’une série de pays y ont travaillé de nombreuses années durant, réussissant à surmonter de graves contradictions géopolitiques. L’application du Code augmentera considérablement la sécurité écologique dans « les eaux polaires qui sont éloignées, vulnérables et peuvent être inhospitalières ». La Russie et la Norvège ont un intérêt extrême à l’existence de ce type de législation. Le « Code polaire » contribuera sans nul doute à l’amélioration du climat politique et économique de la région de Barents, ainsi que de toute la zone arctique.