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E) Miscellanées

Alexandre Tchoudinov
1 novembre 2019

La Révolution française vue par les contemporains russes

La Révolution qui éclate en 1789 est avant tout l’œuvre des Français, mais pas seulement. Des ressortissants d’autres pays y prennent une part active, tels l’Italien Philippe Buonarotti, l’Anglais Thomas Paine, l’Irlandais Theobald Wolfe Tone, les Allemands Georg Forster et Anacharsis Cloots, auxquels il faut ajouter Francisco de Miranda, originaire du Venezuela, le Suisse Étienne Clavière et bien d’autres. Les révolutionnaires français soulignent d’ailleurs volontiers le caractère international des événements en cours dans le pays, ce que l’Assemblée législative concrétise partiellement, le 26 août 1792, en décernant le titre de citoyen français à dix-huit étrangers, pour leur concours « à ce grand acte de raison » et leur apport « à la cause de la liberté ». Toutefois, ni parmi ces citoyens français qui n’en ont que le nom (la plupart ne veulent pas en user) ni parmi les vrais acteurs de la Révolution, on ne trouve le moindre patronyme russe. Et cela n’a rien d’étonnant. La Russie a subi, moins que tout autre pays d’Europe, l’influence directe de la Révolution française, sur le plan tant idéologique que politique.
Source : Collection particulière, D.R.

En admettant que quelque Russe éclairé pût éprouver de la sympathie pour les principes de la Révolution à ses débuts, ce sentiment était trop superficiel pour entraîner l’apparition de jacobins « maison » sur les bords de la Neva ou de la Moskova, comme ce fut le cas, par exemple, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie ou en Hongrie. Alexandre Radichtchev, qui, par son Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou, vise à « susciter l’indignation du peuple contre les chefs et le commandement », n’obtient pas grand-chose : il entre dans l’histoire non seulement comme le premier, mais encore le seul révolutionnaire russe de son temps. Au demeurant, au fur et à mesure que se déroulent les événements, son enthousiasme le cède à l’effroi, ce qui le conduit à écrire son célèbre poème « Dix-huitième Siècle » : « Bonheur, vertu, liberté – engloutis dans le furieux tourbillon / Vois, d’effroyables décombres flottent encore dans le courant… »

Durant la période soviétique, l’étude des traditions révolutionnaires sous toutes leurs manifestations devient la principale commande d’État faite aux historiens. Mikhaïl Shtrange, chercheur qui fait autorité, s’attache alors à mettre en lumière l’impact de la Révolution française. Né dans une famille d’émigrés russes de la première vague (celle déclenchée par les bouleversements de 1917), il suit, en France, une formation d’ingénieur en construction navale, étudie l’histoire à la Sorbonne, devient agent pour le compte de l’URSS, entre dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, émigre en Union soviétique en 1947, où on l’emploie dans la recherche. On lui doit l’ouvrage La société russe et la Révolution française, 1789-1794, paru en 1956, dans lequel il traque littéralement les moindres cas de répression, par le gouvernement de la Russie impériale, de ceux que l’on suspecte de répandre la « contamination française ». À son évidente déception, leur nombre est si négligeable qu’on les compte sur les doigts d’une main. Rien de commun, par exemple, avec les déportations en Australie de dizaines de « jacobins » britanniques, auxquelles procèdent les services de Sa Gracieuse Majesté. Pour compenser la maigreur des résultats obtenus, comparée aux efforts déployés par le chercheur, ce dernier émet cette assertion des plus éloquentes : « Les persécutions policières s’étendaient manifestement à un large cercle de personnes que nous n’avons pu identifier » (les italiques sont de nous). En d’autres termes, malgré tout le désir de l’historien soviétique de montrer le caractère massif de ces répressions, il ne trouve pas de faits pour étayer son propos.

Faute de « jacobins » nationaux et de ressortissants de Russie dans le panthéon des acteurs de la Révolution française, les historiens soviétiques portent au pinacle trois ressortissants de l’empire, devenus, à les en croire, sinon des « héros », du moins des « acteurs » de ces événements. Les ouvrages généraux parus en URSS sur la Révolution française évoquent, d’ordinaire, trois rejetons de familles aristocratiques : le comte Pavel Stroganov et deux frères Golitsyne, Boris et Dmitri. Certes, les historiens n’apportent aucune donnée concrète prouvant leur contribution supposée aux bouleversements de France. Ils se contentent de mentionner comme en passant que Stroganov, séjournant dans le Paris révolutionnaire, devient membre du Club des jacobins, et que les Golitsyne « participent à la prise de la Bastille ». Nous examinerons ci-après dans quelle mesure ces affirmations correspondent à la réalité.

Un observateur bienveillant mais distant

Formellement, on ne peut nier le jacobinisme de Pavel Stroganov. À Milan, le Musée du Risorgimento conserve à ce jour une attestation d’adhésion du « citoyen Otcher » au Club des jacobins, en date du 7 août 1790. Or, c’est sous le nom de « Paul Otcher » que le jeune comte Stroganov séjourne alors à Paris. Quant à savoir si ses convictions sont authentiquement « jacobines », la question est autrement plus complexe.

Pavel Stroganov (1772-1817), fils du comte Alexandre Stroganov (1733-1811), l’une des plus grandes fortunes de l’empire, naît et passe les sept premières années de sa vie à Paris, où ses parents se sont installés après leur mariage. Le français devient la langue maternelle du petit Popau, ainsi qu’on l’appelle en famille. Son père joue un rôle majeur dans le mouvement maçonnique. En 1773, il est un des fondateurs du Grand Orient et, en 1776, adhère à la loge des Neufs Sœurs, l’une des plus importantes du XVIIIe siècle, qui réunit des figures éminentes de la science et de la culture, telles que Voltaire, Benjamin Franklin, Jean-Antoine Houdon. Il s’y lie avec Charles-Gilbert Romme (1750-1795), originaire d’Auvergne, qui gagne sa vie en donnant des leçons particulières de mathématiques. Repartant en Russie avec sa famille en septembre 1779, le comte Stroganov lui propose d’y devenir le précepteur de Popau.

Romme et son pupille demeurent en Russie jusqu’à la moitié de 1786. Ils sillonnent le pays : Moscou, Nijni-Novgorod, l’Oural (1781), Vyborg, Imatra et ses rapides (1783), la Carélie et la mer Blanche pour gagner les Solovki (1784), Kiev (1785) et, de là, la Crimée (1786). À partir de juillet 1786, les périples du jeune Stroganov et de son précepteur se déroulent en Europe : Allemagne, France, Suisse. Partout, ils sont accompagnés du peintre Andreï Voronikhine, ancien serf des Stroganov, appelé à devenir un grand architecte, auquel on devra la cathédrale de Kazan à Saint-Pétersbourg.

À la fin du mois de mai 1788, Romme et Pavel Stroganov quittent Genève, où ils résident depuis près de deux ans, et arrivent en France. Ils passent l’été 1788 en Auvergne, tantôt dans le village de Gimeaux, où la mère de Romme possède une grande maison, tantôt en voyageant à travers la province. En août, ils décident de se rendre à Paris, pour assister à l’ouverture des États généraux. Jusqu’alors, les événements politiques survenus en France non seulement n’ont aucune influence sur l’enseignement de Romme, mais ils sont inexistants dans les lettres que l’élève et le maître adressent au père de Pavel. Ils remarquent toutefois l’élan donné à la société par l’édit du roi concernant des élections imminentes. En outre, le principal objectif de leurs voyages étant de visiter toutes les curiosités possibles et imaginables, tous deux ne peuvent se désintéresser d’un phénomène aussi rare que l’assemblée des trois ordres, convoquée pour la première fois en 1614.
Source : Collection particulière, D.R.

Néanmoins, l’essentiel pour Romme, à Paris, reste l’instruction de son pupille, principalement dans le domaine des sciences exactes et naturelles. Pour ne pas distraire le garçon des études et lui épargner l’obligation de fréquenter les cercles mondains, Romme lui suggère de prendre le pseudonyme d’« Otcher » – nom d’une propriété de son père dans l’Oural. Les activités de Pavel Stroganov suivent leur cours à Paris, leur volume en paraît même augmenté. Les relations de l’élève et du maître se composent, là encore, d’après leur correspondance, de savants. Jusqu’en mai 1789, tous deux ne se soucient guère de politique. Toutefois, avec l’ouverture des États généraux, les occupations du jeune Stroganov connaissent d’importants bouleversements. Romme et lui se rendent régulièrement à Versailles, où ils observent l’action des députés à la tribune. Le tourbillon des événements révolutionnaires les emporte de plus en plus. Parallèlement, à compter de l’été 1789, leurs divergences face à ce dont ils sont témoins se creusent notablement. Les positions de Romme ne tardent pas à se radicaliser : d’observateur curieux, il se change, en l’espace de quelques semaines, en ardent partisan de la Révolution, puis désire y prendre personnellement part. Son élève, pensif, sensible et profondément religieux, ne partage pas entièrement l’enthousiasme révolutionnaire de son mentor. Ses réactions, qu’il exprime dans ses lettres à son père, forment un étonnant contraste avec celles de Romme. Malgré une indubitable sympathie pour les changements à l’œuvre dans l’organisation sociale de la France, le jeune homme se montre un observateur bienveillant mais distant. Il ne se sent pas partie prenante des événements ; bien plus, le désordre qui règne alentour, lui pèse. Il est, en revanche, réellement concerné par les difficultés auxquelles se heurte alors la Russie : guerres contre la Suède et la Turquie, risques de troubles intérieurs. Le leitmotiv de ses lettres des années 1789-1790 est le souhait que cessent conflits et révoltes en Europe, que s’instaure la paix civile en France et que la Russie se réconcilie avec ses voisins.

Le 10 janvier 1790, Romme et une vingtaine d’enthousiastes de la révolution créent un petit club politique, qui porte le nom de « Société des amis de la loi », auquel adhère Pavel Stroganov. La figure la plus pittoresque en est la célèbre Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Native du Luxembourg, cette beauté de vingt-six ans a pris une part active aux journées versaillaises des 5-6 octobre 1789. Romme est élu président de la Société, Théroigne de Méricourt en devient archiviste, et Stroganov bibliothécaire. À en juger d’après les protocoles de séances, Pavel Stroganov ne brille pas par son action parmi les « Amis de la loi » : il tient principalement un rôle de figurant lors des assemblées. Romme, lui, est véritablement l’âme et le leader de la Société, l’un des principaux inspirateurs de ses discussions.

Accaparé par la politique et l’éducation révolutionnaire de son élève, Romme ne semble pas s’apercevoir que ses nouvelles activités risquent de susciter la désapprobation du vieux comte et des autorités de l’empire, dont son pupille est sujet. C’est ainsi que, dans une lettre du 18 mars 1790, Stroganov-père recommande instamment au précepteur d’emmener Popau hors de Paris. Romme ignore ce conseil et poursuit son action révolutionnaire. Il reçoit alors, le 16 juillet, une nouvelle lettre du comte, dans laquelle celui-ci exige que son fils quitte Paris. Les autorités de Russie ne tardent pas à formuler la même exigence.

Romme est furieux : force lui est de quitter la capitale au moment précis où sa carrière révolutionnaire apparaît pleine de promesses. Son projet d’éduquer son élève dans les mêmes idées est également réduit à néant. Il se voit contraint, néanmoins, d’obtempérer. Il décide d’« attendre la décision finale » du vieux Stroganov à Gimeaux.

Au moment où le départ en province est décidé, Romme s’est arrangé pour que le « citoyen Otcher » rejoigne le Club des jacobins. Ce dernier y entre le 7 août et, six jours plus tard, l’élève et le maître gagnent l’Auvergne. C’est ainsi que Pavel est véritablement membre du Club moins d’une semaine. Quelle en était l’utilité ? Romme, manifestement, confère à cette démarche une valeur symbolique. D’une part, cet acte est l’aboutissement logique de « l’éducation politique » du jeune homme, effectuée tout au long de l’année précédente ; Pavel compte désormais, en quelque sorte, au nombre des « hommes libres ». D’autre part, Romme se venge ainsi du vieux comte qui a ruiné ses plans.

La conduite de l’élève et du maître à leur arrivée à Gimeaux montre combien le jeune Stroganov est loin de partager l’enthousiasme de son précepteur. Une nièce de ce dernier décrit ainsi leurs occupations respectives à la campagne : « Sais-tu, ma bonne amie, qu’il est question d’élire M. Romme à la députation ? Ce choix ferait honneur aux patriotes. Le peuple se doterait, en sa personne, d’un défenseur zélé. En attendant l’instant où sa voix résonnera à la tribune, il met à profit ce loisir pour éclairer ses concitoyens. Il réunit, tous les dimanches, quantité de paysans auxquels il lit les journaux et explique les nouvelles lois. […] Tandis que son précepteur pérore devant les habitants de Gimeaux, Monsieur le Comte en profite pour s’amuser avec les jeunes villageoises. » Si le jeune comte nourrit quelque intérêt pour la politique, il ne s’agit que de politique internationale. Ses lettres à son père montrent qu’il continue de rechercher avidement des nouvelles de la politique étrangère de la Russie et, avant tout, des guerres qui l’opposent à la Turquie et à la Suède.

Ainsi, non sans éprouver de la sympathie pour les idées que lui a inculquées Romme, Pavel Stroganov s’en tient néanmoins à une position d’observateur et, à l’inverse, ne cesse de se sentir un fidèle sujet de Sa Majesté impériale. Il s’en explique à un ami qu’ils ont en commun avec Romme : « Dans une lettre que j’ai pu faire parvenir à mon père par un intermédiaire privé et dans laquelle je pouvais donc me dévoiler, je l’informais de mon enthousiasme pour la Révolution, mais lui faisais en même temps savoir que j’estimais pareille révolution inadéquate pour la Russie » (les italiques sont de nous). En novembre 1790, Pavel Stroganov rentre au pays, mettant de la sorte un point final à son « engagement » supposé dans la Révolution française.

Révolutionnaires malgré eux

Les deux autres « acteurs » russes présumés des événements de France – les frères Golitsyne, Boris (1769-1813) et Dmitri (1771-1844), sont des aristocrates, à l’instar de Pavel Stroganov, mais d’une très noble lignée princière. En 1774, ainsi qu’il est de coutume dans leur milieu, tous deux entrent, encore enfants, dans les prestigieux régiments de la Garde impériale – Boris dans le Semionovski, Dmitri dans le Preobrajenski. En 1782, ils sont envoyés à l’université de Strasbourg, accompagnés de leur précepteur français Michel Olivier. Leurs études achevées, ils s’installent à Paris où ils entrent à l’École militaire. En Russie, cependant, ils ne cessent de monter en grade. En 1789, Boris est lieutenant dans le Semionovski, et Dmitri dans la Garde à cheval.

Quand éclate la Révolution française, les Golitsyne mènent, à Paris, une vie mondaine très active, fréquentant assidûment salons, théâtres, bals et dîners. Le récit de leurs amusements aristocratiques occupe une part non négligeable de leurs lettres à leur mère, qui séjourne à Londres. Ils courtisent les demoiselles et se piquent de politique, sans avoir la moindre intention de s’en mêler concrètement.

Les événements qui, peu à peu, se déroulent hors des hôtels particuliers de la noblesse, apparaissent d’abord aux frères Golitsyne, à l’instar du grand monde qui les entoure, comme un prétexte supplémentaire aux disputes et une complication fâcheuse. Ils n’y perçoivent aucune menace réelle pour leur position sociale. Boris résume ainsi l’état des esprits dans la haute société après les émeutes de juillet : les « patriotes actifs » considèrent que l’avenir de la Révolution est merveilleux, la Cour – que tout est perdu, les gens prudents et sans idées préconçues – qu’il faut laisser du temps au temps. Les deux frères se rattachent plutôt à cette dernière catégorie. Boris, il est vrai, n’est pas témoin des événements de juillet : il est parti aux eaux, en juin, à Bourbon, d’où il observe les péripéties de la lutte pour l’égalité des droits menée par le tiers état, au moment des États généraux, contre les deux ordres privilégiés. Précisons que ses sympathies ne vont absolument pas aux réformateurs : « Il est difficile d’imaginer, écrit-il à sa mère, que le roi ne dissolve pas ces États généraux, dès qu’il en aura l’occasion. » Toutefois, comme rien de tel ne se produit, Boris se dit que, désormais, le roi « sera contraint d’en faire selon la volonté du tiers état ». Et d’ajouter, chagrin : « Cela me désole affreusement ».

Resté à Paris, Dmitri Golitsyne, qui a vu de ses yeux le déroulement de la crise politique dans la capitale, est encore plus catégorique et ne soutient en rien la Révolution : « Tu noteras, écrit-il, à Bourbon, au précepteur Olivier, que le souverain a pris la parole à la séance royale, mais que le tiers état ne recule pas pour autant. Des soldats de divers régiments ont refusé d’intervenir, déclarant qu’ils s’étaient engagés dans l’armée pour combattre l’ennemi et non leurs concitoyens. […] Je vous assure bien qu’ils doivent s’estimer heureux de ne pas m’avoir comme colonel, car j’aurais, pour ma part, anéanti mon régiment, s’il ne m’avait obéi, et aurais dit aux soldats : vous êtes entrés dans l’armée pour faire ce que l’on vous ordonne, non pour ratiociner. Je m’échauffe par trop, mais je parle en militaire et, sans doute, en étranger. » Il n’est donc pas étonnant qu’à Bourbon, Olivier lise cette lettre aux aristocrates qui s’y trouvent et ont des idées des plus conservatrices. Selon le témoignage du prince Boris, elle suscite la plus vive approbation.

Comment expliquer que la tradition historiographique ait attribué des titres de « révolutionnaires » et, mieux, d’« acteurs de la prise de la Bastille », à ces deux aristocrates russes qui font montre d’une si ardente sympathie pour leurs pairs français et accueillent les événements avec une réprobation manifeste ?

Quarante ans plus tard, en 1839, Dmitri Golitsyne confiera à Dmitri Boutourline que, « encore enfant, traversant la place de la Bastille en compagnie de son précepteur au cours de la première Révolution française, à l’instant où la populace parisienne se jetait sur la prison, il fut contraint, avec d’autres étrangers, de prendre part à l’assaut et de transporter diverses choses d’un endroit à un autre ». Il n’est pas fait mention, dans ce récit, d’une quelconque participation directe à des actions de combat pour la prise de la Bastille. Cependant, cette courte évocation suffit pour que surgisse la légende historiographique. Ajoutons que les historiens ont inscrit, parmi les acteurs de l’événement, non seulement Dmitri, mais également son frère, qui, alors, ne se trouvait pas à Paris.

Conclusion

Ainsi la Révolution française ne suscite-t-elle aucun écho positif un tant soit peu notable, ni chez les contemporains russes qui suivent le cours des événements depuis la Russie, ni chez les rares d’entre eux qui en sont les témoins directs. Les trois jeunes aristocrates rangés parmi les révolutionnaires par la tradition historiographique se retrouvent dans cette situation, nous l’avons vu, suite à un malentendu. Leur existence en témoigne – celle de sujets bien pensants de la Russie impériale, prêts à verser leur sang sur les champs de bataille. Les deux frères Golitsyne, de même que Pavel Stroganov qui épouse leur sœur, se distinguent précisément dans ce domaine. Accédant au grade de général, tous trois prennent une part active aux diverses campagnes militaires qui se déroulent sous le règne d’Alexandre Ier, notamment la guerre de 1812 contre Napoléon. Boris Golitsyne est fortement contusionné à la bataille de Borodino et meurt quelques mois plus tard. Son frère Dmitri et Pavel Stroganov, qui, lors de ce combat, commandent des corps d’armée, ont plus de chance : ils traverseront sans encombre les campagnes de 1813-1814.

Les Golitsyne et Pavel Stroganov, hauts dignitaires et généraux ayant voué leur vie au service de l’empire, auraient sans doute été étonnés d’apprendre que, des décennies plus tard, ils seraient déclarés « acteurs » de la Révolution française, pour l’unique raison que, dans leur jeunesse, ils s’étaient trouvés en être les témoins.

Durant les événements révolutionnaires eux-mêmes, la société russe se révèle quasi imperméable à leur influence. Passeront les années et une génération entière, avant que les idées de la Révolution ne commencent à germer sur le sol russe.