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Note №10, « La Russie et l’Europe occidentale : retour sur une relation complexe »

Marie-Pierre Rey Marie-Pierre Rey
1 février 2015
Marie-Pierre Rey, professeur de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Introduction

Au fil de ces derniers mois, la crise ukrainienne a conduit à une dégradation sensible des relations russo-ouest-européennes, aujourd’hui caractérisées par des tensions politiques et économiques et un climat de suspicion mutuelle. Pour certains observateurs, cette atmosphère rappelle la rhétorique et les pratiques de la guerre froide ; elle démontrerait que le quart de siècle écoulé depuis la disparition de l’Union soviétique n’aura finalement constitué qu’une parenthèse fragile, incapable de remettre durablement en cause la méfiance structurelle héritée de plusieurs décennies de confrontation idéologique et géopolitique.

Cette analyse n’est pas dénuée de fondement et, de fait, les termes de plus en plus souvent employés de part et d’autre pour désigner « l’autre », voire « l’ennemi », rappellent ceux des années de guerre froide ; pour autant, elle ne saurait à elle seule rendre compte de la complexité des relations russo-ouest-européennes, qui, au fil des siècles, ont vu se succéder périodes de rapprochement et phases d’isolement, oscillant sans cesse entre fascination et répulsion, attraction et rejet, sur fond d’enjeux identitaires majeurs (1). Pour éclairer ces relations complexes inscrites sur la durée, on s’attachera d’abord à la période tsariste afin de montrer en quoi elle fut structurante et fondatrice du point de vue des perceptions, des imaginaires et des pratiques. On verra ensuite en quoi le XXe siècle soviétique a partiellement bouleversé cet héritage et substitué de nouvelles grilles d’analyse aux anciens schémas mentaux. Enfin, on s’attachera aux années post-soviétiques pour tenter d’esquisser un bilan.

1. Aux origines des relations russo-ouest-européennes : l’héritage fondateur de la période tsariste

Jusqu’à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, les relations russo-européennes sont quasi inexistantes sur le plan diplomatique. L’Europe ne compte pas d’ambassadeurs permanents à la cour moscovite et le tsar ne dispose pas davantage de représentants à demeure en terre occidentale. Durant cette période, les contacts entre Russes et Européens de l’Ouest se font donc de manière indirecte par l’intermédiaire de marchands et de négociants, encore peu nombreux à se risquer en Russie. Pourtant, dès cette période, des stéréotypes hostiles sont à l’œuvre de part et d’autre.

1.1. L’image de la Russie en Europe à l’époque moderne

Jusqu’au premier tiers du XVIIIe siècle, la Russie et les Russes en Europe souffrent d’une mauvaise image qui, apparue sous le règne d’Ivan III, revêt trois composantes (2).

La première est culturelle : dans la géographie mentale des Européens qui se rendent en « Moscovie » – diplomates et marchands de la Ligue hanséatique en premier lieu, cette dernière, qui n’a connu ni la Renaissance, ni la révolution humaniste, et dont les mœurs sont jugées très frustes, ne fait pas partie de l’Europe. Certes, la Russie est chrétienne, ce qui, au Moyen-Âge, constituait un critère clé pour définir l’appartenance européenne. Mais, au fur et à mesure que le Moyen-Âge s’est achevé et que lui a succédé la modernité intellectuelle et morale du XVIe siècle, la Russie s’est trouvée rejetée à la périphérie du continent européen. On peut à titre d’exemple mentionner ici les écrits de l’ambassadeur Von Herberstein, qui, dans son livre de souvenirs Rerum Moscoviticarum Commentarii, daté de 1549, a largement participé à la construction de l’image d’une Russie non européenne parce qu’attardée dans la barbarie et l’inculture.

À cette composante culturelle s’ajoutent deux autres, de nature différente. Pour nombre d’observateurs européens du XVIe siècle, la Russie d’Ivan III se caractérise par un régime tyrannique et cruel, qui n’est pas sans rappeler le mode de fonctionnement imposé par les Khans mongols. Par la suite, les récits des boyards et des lettrés russes fuyant le régime d’Ivan IV (le Terrible) et trouvant refuge en terre polono-lituanienne, autant que les pamphlets occidentaux soulignant les dévastations commises pendant les guerres de Livonie, accentuent encore l’image d’un tsar russe décrit comme un monstre sans pitié ; mais, dès lors, à cette deuxième composante s’ajoute une troisième, géopolitique : jugeant la Russie menaçante du fait de son expansionnisme, les Européens aspirent désormais à la tenir en lisière du continent, en freinant coûte que coûte son avancée vers l’Ouest.

Combinées, ces trois images, à savoir un pays barbare, un mode de gouvernement tyrannique et une puissance dangereuse pour l’Europe, perdurent au fil des siècles, et ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle que cette représentation hostile s’infléchit quelque peu : les succès militaires de Pierre le Grand, qui fait bientôt de la Russie la grande puissance du nord du continent, sa volonté d’acculturation et d’occidentalisation, qui rapprochent les élites russes des élites européennes, et son appel à des ingénieurs et des techniciens européens, tout ceci influe sur l’image de la Russie, qui s’améliore. Mais il faut attendre le règne d’Élisabeth Ire et, plus encore, celui de Catherine II pour que les décideurs occidentaux commencent à penser la Russie à la fois comme un acteur à part entière du jeu européen et comme un pays appartenant de droit à la communauté des États civilisés. Reste, toutefois, que le renversement d’image n’est pas total : Frédéric II, roi de Prusse, parle encore des Russes comme d’un « essaim de barbares » et « de fiers assassins ». Quant à Louis XV, il se déclare lui aussi désireux de tenir la Russie en lisière du continent. On le voit, l’hostilité reste largement de mise. Or, au même moment, du côté russe, la méfiance, sinon l’hostilité, domine aussi.

1.2. La Russie à l’égard de l’Europe : Une méfiance structurelle nourrie de références religieuses

À la fin du Moyen-Âge, bien qu’encore floue, l’identité russe apparaît déjà comme indissociable de la foi orthodoxe (3). Initialement reçue de Byzance, cette dernière s’est peu à peu « individuée » : déjà avant la chute de Byzance, elle prend ses distances par rapport à cette dernière et se dote de structures propres ; et elle s’est « nationalisée » : aux évêques et prêtres grecs succèdent bientôt des Russes. Cette foi a vite contribué à souder les Russes, d’abord contre les Chevaliers teutoniques (1242), puis contre les Tatars (1480) et enfin contre les Polonais « papistes » chassés de Russie en 1612-1613 lors du Temps des troubles. Conjuguées, russité et orthodoxie font donc, très tôt, la démonstration de leur efficacité mais, ce faisant, elles se teintent d’accents europhobes : soucieux de se démarquer de l’ombre envahissante de Byzance comme de se protéger des appétits polono-lituaniens « papistes », les Russes se montrent, dès les XVIe et XVIIe siècles, méfiants vis-à-vis de l’Europe, qu’ils perçoivent comme une source de danger.

 Sur ce fond de méfiance initialement nourrie de présupposés religieux se greffe, à partir du règne d’Ivan le Terrible (1547-1584), une représentation plus politique. À cette époque, l’Occident attire le pouvoir russe. D’une part, le tsar, qui veut faire de la Russie une puissance maritime, a compris l’intérêt que représentait une avancée vers la mer Baltique et les mers du Nord ; d’autre part, il est conscient de la supériorité technique et technologique des puissances européennes et il aspire à rattraper le retard de la Russie dans ce domaine ; d’où son accueil relativement bienveillant à l’égard des étrangers présents en Russie : en témoignent l’intégration dans le service diplomatique russe d’anciens nobles livoniens prisonniers de guerre, le recours à des mercenaires allemands recrutés comme artilleurs ou bien encore l’autorisation accordée à des industriels anglais de développer dans le gouvernement de Vologda un grand centre métallurgique. Mais, dans le même temps, et la correspondance nouée entre le tsar et la reine d’Angleterre Élisabeth Ire le montre bien, le pouvoir se méfie aussi de cet Occident dont les idées subversives sont susceptibles de porter atteinte au régime autocratique. Par la suite, cette position ambiguë à l’égard de l’influence européenne gagne encore en acuité : certes, Pierre Ier a le souci d’« européaniser » l’État, l’armée et l’administration russes pour moderniser ces structures et les rendre plus performantes ; mais, en parallèle, il veille toujours à ce que ces emprunts restent sous son étroit contrôle. Quant à Catherine, si, dans les premières années de son règne, elle favorise une large ouverture à l’Occident – tant mentale que politique et culturelle, la grande révolte de Pougatchev et plus encore le mouvement radical initié par la Révolution française, qu’elle ne comprend pas et qui lui fait peur, remettent en cause ce mouvement : à partir de 1789-90, l’empire se referme sur lui-même, les loges maçonniques sont fermées et des écrivains et éditeurs (Radischev, Novikov) jugés séditieux sont emprisonnés, voire déportés.

Si une méfiance structurelle à l’égard de l’Europe a donc très tôt surgi de l’Église comme de l’État russes, on observe que les élites intellectuelles n’ont pas été en reste car, dès le XVIIIe siècle, certains commencent à s’interroger sur le sens de ces « emprunts » à l’Europe, qu’ils jugent dommageables pour l’identité russe. Conduite à marches forcées, l’occidentalisation de la Russie prônée par Pierre le Grand (4) conduit à une forme de « dérussification » des élites nobiliaires. Pétries de références occidentales dès l’enfance, maniant le français, l’allemand et l’anglais avec plus d’aisance que leur propre langue, ces dernières en viennent à ne plus connaître les traditions et la culture orales, à ignorer les coutumes et le folklore – en un mot, à se couper du reste de la population en adoptant des mœurs étrangères ; or, cette évolution, d’aucuns s’en inquiètent, à commencer par le propre fils de Pierre le Grand, le tsarévitch Alexis. À court terme, la mise à mort d’Alexis (5), « coupable » de « trahison », fera taire les critiques. Mais, dès le dernier tiers du XVIIIe siècle, des intellectuels comme Soumarokov ou Chtcherbatov renouent avec les mêmes inquiétudes, dénonçant l’influence nocive de l’Europe et de ses valeurs sur la culture et l’identité russes.

Dès l’époque moderne, Russie et Europe entretiennent donc des relations complexes et ambiguës, empreintes de stéréotypes et de clichés souvent hostiles, alors même que leurs contacts directs demeurent limités. Au fil du XIXe siècle, ces derniers se font plus nombreux : des représentations diplomatiques et consulaires permanentes s’établissent et, au gré des conflits (campagnes napoléoniennes, guerre de Crimée, conflits balkaniques…), Russes et Européens se retrouvent plus directement aux prises, tour à tour alliés ou ennemis. Dans ce contexte en mutation, que deviennent les représentations héritées du passé ?

1.3. Les changements du XIXe siècle

Au printemps 1814, Alexandre Ier, vainqueur de Napoléon à l’issue de la campagne de France, aspire, à son entrée dans Paris, à faire la démonstration de sa magnanimité et, ce faisant, de l’européanité de la Russie (7). ll a en effet à cœur de faire mentir la propagande napoléonienne, qui n’a cessé de le peindre sous les traits d’un barbare du Nord, à la tête d’un État asiatique. Symbolique, le séjour du tsar à Paris, « la ville monde », est couronné de succès et il apporte, de fait, des améliorations substantielles à l’image de la Russie sur la scène internationale. Désormais, l’européanité de cette dernière n’est plus mise en doute et l’empire russe fait bel et bien figure de grande puissance européenne, tant sur le plan diplomatique que militaire. Mais, en parallèle, la Russie continue de faire peur et si, pour un temps, Alexandre Ier est parvenu à rassurer les Européens, dès le règne de Nicolas Ier, en revanche, la Russie, promue au rang de « gendarme » de l’Europe, est de nouveau perçue comme un État despotique et oriental, faisant obstacle aux libertés européennes. Dans cette représentation hostile, le rôle joué par l’armée russe dans la répression de l’insurrection polonaise de 1830 est capital. Mais il faut aussi souligner l’influence de l’ouvrage du marquis de Custine, La Russie en 1839, qui, véritable bestseller de l’époque, a contribué à asseoir la thématique de la « barbarie » russe dissimulée sous le vernis de la civilisation. Dix ans plus tard, l’intervention brutale de la Russie dans l’empire des Habsbourg pour y contrer la révolution hongroise suscite une nouvelle vague de russophobie en Europe : les clichés sur la barbarie et le despotisme russes font de nouveau florès, tandis que la puissance diplomatique et géopolitique de l’empire des tsars effraie de plus en plus et que l’ordre social russe, fondé sur le servage, apparaît de plus en plus comme anachronique.

Dans ces représentations négatives, le règne d’Alexandre II introduit une rupture : l’abolition du servage réconcilie l’Europe avec la Russie et, dans l’imaginaire européen, cette dernière reprend le chemin de la civilisation. Se multiplient alors en Europe occidentale, et plus particulièrement en France, des écrits flatteurs sur la Russie tandis qu’au même moment les Européens découvrent la culture russe par l’intermédiaire de quelques passeurs d’influence (8) : Ivan Tourgueniev, installé durablement à Paris, ami d’écrivains, publicistes et journalistes français auprès desquels il popularise la littérature russe ; Prosper Mérimée, auteur de Carmen et traducteur de certaines œuvres de Pouchkine ; Louis Viardot, ami de Tourgueniev et lui aussi traducteur, en l’occurrence des nouvelles de Gogol.

Cet intérêt nouveau pour la culture russe se double d’une connaissance plus fine de la Russie et de sa réalité économique, sociale et politique. À cet égard, l’ouvrage de grande ampleur rédigé par Anatole Leroy-Beaulieu et intitulé « L’Empire des Tsars et les russes », dont le premier tome est publié en 1881, le second en 1882 et le troisième en 1888, participe d’un changement radical de perspective : au style pamphlétaire de Custine succède un style de « clinicien », d’analyste distant, soucieux d’aboutir au tableau le plus nuancé qui soit de la Russie contemporaine.

Ainsi, en 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, l’image de la Russie en Europe s’est profondément transformée. À la représentation d’un pays, perçu doublement en marge – en marge du continent européen et de sa civilisation – s’est substitué, à partir du deuxième tiers du XIXe siècle et plus encore du dernier tiers du XIXe siècle, celle d’un État appartenant légitimement au continent européen par ses intérêts géopolitiques et diplomatiques autant que par sa civilisation et sa culture.

Du côté russe, en revanche, les interrogations et les doutes surgis à l’époque moderne ne s’estompent pas, loin s’en faut.

Au fil du XIXe siècle, slavophiles, panslavistes et nationalistes comme Katkov ou Dostoïevski ont à cœur de se démarquer d’un modèle européen qu’ils perçoivent comme étranger au destin russe. Pour eux, la culture et les valeurs ouest-européennes ne sont qu’illusoires, source de décadence morale et spirituelle, alors que la Russie, attachée à la religion orthodoxe et sûre de son génie national, doit être capable de trouver en elle-même les ressorts de sa modernisation pour devenir à son tour un modèle pour l’Occident, car ils voient dans ce mouvement de la Russie vers l’Europe la clef de son salut politique et moral. Tchaadaïev ira d’ailleurs très loin dans sa revendication de l’européanisation de la Russie puisque, rompant avec l’orthodoxie, qu’il juge coupable de maintenir la Russie dans un état d’arriération, il finit par se convertir au catholicisme.

À partir des années 1860-70, cette interrogation majeure – faut-il s’inspirer du cours suivi par l’Europe ou s’en écarter ? – traverse également les mouvements radicaux qui font alors leur apparition en Russie ; et c’est ainsi qu’aux partisans d’une greffe marxiste importée d’Europe occidentale et dont Plekhanov puis Lénine sont les hérauts, s’opposent ainsi les tenants d’une voie russe vers le socialisme, dont Herzen puis les milieux populistes et socialistes-révolutionnaires se feront précisément les chantres…

Au même moment, l’État russe continue, lui aussi, de s’interroger sur son rapport à l’Europe. Certes, au lendemain des guerres napoléoniennes, Alexandre Ier joue un rôle majeur dans la redéfinition de la carte européenne née du Congrès de Vienne et, sous le règne de Nicolas Ier, l’État autocratique continue de jouer un rôle actif sur la scène européenne. Mais, en dépit de ce rayonnement, le pouvoir redoute toujours le contact avec l’Europe occidentale. Sur le plan militaire, l’occupation française de 1812 a été source de souffrances inouïes et, en 1853-1856, la catastrophique guerre de Crimée a constitué une humiliation brutale. Sur le plan politique, l’État redoute toujours les idées « subversives » venues d’Europe. En conséquence, le pouvoir tsariste ne cesse d’hésiter entre des phases d’ouverture – c’est le sens de la période libérale d’Alexandre Ier – et des phases de fermeture : ainsi du régime policier et xénophobe de Nicolas Ier et de l’obstination d’un pouvoir qui se refusera jusqu’en 1917 à aller vers le parlementarisme. On le voit, le rapport à l’Europe reste complexe à la veille des révolutions de 1917.

2. L’URSS et l’Europe occidentale : rejet, méfiance et fascination

Si février 1917 a marqué un début de rapprochement politique entre Russie et Europe, octobre 1917 change en profondeur la relation entretenue avec l’Europe occidentale : pour la première fois de son histoire, la Russie n’a plus à se situer en référence à une Europe occidentale mythifiée mais elle devient à son tour un modèle idéologique par rapport auquel l’Europe doit se déterminer (9).

2.1. La révolution bolchevique renverse les perspectives

La révolution d’Octobre modifie structurellement les relations entretenues avec l’Occident, et l’Europe en particulier. Durablement convaincues de la supériorité de leur système socio-politique sur le système capitaliste (10), les élites soviétiques sont parvenues à mettre un terme à la « dépendance » idéologique, morale et intellectuelle de la Russie à l’égard de l’Europe occidentale. En Europe occidentale, l’heure est aux compagnons de route, aux croyants qui assistent avec passion à l’avènement du nouveau régime soviétique et croient à son caractère universel ; et, en Russie, les décideurs soviétiques, fiers d’incarner un avenir révolutionnaire appelé à rayonner au-delà des frontières nationales, sont également conscients de cette « inversion » idéologique. Staline souligne ainsi :

« L’on ne peut exclure que la Russie sera le pays qui pavera le chemin au socialisme… Nous devrions nous débarrasser de l’idée que c’est à l’Europe de nous montrer la voie. » (11)

Toutefois, malgré ce changement de perspective, la relation à l’Europe reste essentielle. Pour les fondateurs du système soviétique – et pour Lénine au premier plan, la survie du régime passe par l’extension de la révolution en Europe ; il n’est donc pas question de s’isoler mais il faut, au contraire, travailler à l’extension du modèle soviétique en terre européenne. D’où, d’un côté, la mise en place à partir de 1919 des réseaux offensifs du Komintern et, de l’autre, la nécessité de se protéger contre l’Europe, toujours perçue comme une menace : l’intervention occidentale dans la guerre civile alors que le pays est déjà exténué par quatre années de guerre, et le soutien accordé par les États ouest-européens aux armées blanches accréditent largement l’idée de cette menace.

Or, cette perception a des effets majeurs sur la politique extérieure du jeune État. Elle explique, dans la première moitié des années 1920, la volonté des dirigeants soviétiques d’« exploiter au mieux les contradictions inter-impérialistes » et aboutit, en 1922, à la signature du traité germano-soviétique de Rapallo ; et elle ne tarde pas non plus à peser sur les perceptions staliniennes.

2.2. Les perceptions staliniennes

Staline n’a que mépris pour les valeurs et l’idéologie capitaliste de l’Occident (12). Mais, a contrario, le leader soviétique est obsédé par la modernité et l’efficacité économiques de l’Occident et, très tôt, il a le dessein de faire de l’URSS une grande puissance industrielle capable de s’imposer sur la scène internationale et de rivaliser avec les États capitalistes. Dès 1931, il exprime une inquiétude devant le retard de l’URSS en soulignant sa vulnérabilité :

« Freiner les rythmes, cela signifie retarder. Mais les retardataires se font battre. Et nous, nous ne voulons pas être battus… Nous avons 50 ou 100 ans de retard sur les pays capitalistes. Il faut combler ce retard en dix ans. Sinon, ils nous écraseront. » (13)

Cette double obsession, obsession d’une puissance qu’il s’agit de construire et obsession du retard qu’il s’agit de combler, éclaire largement les priorités économiques de Staline, qui opte pour un développement à marche forcée de l’industrie lourde et le sacrifice cruel d’une classe paysanne jugée rétive à ses projets. Mais elle explique aussi la nature de ses choix diplomatiques : dès 1937, sceptique quant à la viabilité d’une alliance avec les démocraties occidentales et conscient de l’incapacité de l’URSS à conduire une guerre victorieuse, il esquisse les premiers pas d’un rapprochement avec l’Allemagne et, deux ans plus tard, en vient à signer le pacte germano-soviétique.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’inquiétude soviétique face à l’Occident ne disparaît pas, tandis que l’Europe reste le point de mire du leader soviétique.

En effet, en dépit de l’accès de l’URSS à l’arme atomique en 1949 et d’un message idéologique à vocation et à prétention universelles véhiculé en terre occidentale par des partis communistes fidèles, l’URSS de l’après-guerre continue de se percevoir comme une puissance régionale, « naturellement » euro-asiatique par les leçons de l’histoire et les contraintes de la géographie.

Cette perception territoriale et régionale de la puissance soviétique sous-tend la diplomatie stalinienne de l’après-guerre : elle pousse le maître du Kremlin à revendiquer le principe des zones d’influence en Europe puis la mise en place en Europe centrale et orientale de régimes sûrs et dociles, au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; elle est également à l’origine de sa politique d’expansion menée en direction des Balkans, de la Turquie et de l’Iran et elle expliquera aussi toute la politique allemande de Staline (14).

2.3. La période khrouchtchévienne, entre fidélité aux perceptions staliniennes et innovations

À l’heure khrouchtchévienne, l’idée d’une Europe, terre dangereuse et ennemie, continue d’être présente mais le thème qui domine les études émanant des instituts de recherche soviétique, c’est le poids de l’Allemagne en Europe et les dangers qu’il fait courir à l’heure de la guerre froide puis de la coexistence pacifique. Dans les archives internes au parti, ce danger allemand est décliné selon trois volets essentiels : le militarisme, perçu comme une survivance du nazisme ; le capitalisme, perçu comme « monopolistique » et qui rappelle aux observateurs soviétiques les cartels de l’entre-deux-guerres ; et le revanchisme. À l’heure de la déstalinisation, le regard porté par les décideurs soviétiques sur les questions européennes reste donc marqué par des schémas hérités de la période stalinienne. Mais des changements commencent à se dessiner au fur et mesure que la puissance soviétique se mondialise et s’aventure à l’extérieur du continuum euro-asiatique (15).

Certes, cette mondialisation n’est pas encore systématiquement inscrite dans les faits et, en 1959-60, l’entrée de l’URSS sur le continent américain relève plus d’une exploitation habile des erreurs et des maladresses de la diplomatie américaine que d’un plan préétabli. Mais l’évolution est patente : au lendemain de la crise de Suez, dont elle a su tirer parti, la diplomatie khrouchtchévienne enregistre de beaux succès dans le monde arabe et son influence est grandissante auprès de certains États nouvellement indépendants d’Afrique décolonisée, comme le Ghana et la Guinée.

Dans le même temps, le discours des dirigeants soviétiques sur leur pays évolue aussi : certes, pour Khrouchtchev (16) et son entourage, l’URSS se définit comme un pays « européen par nature » et l’Europe reste de manière bien concrète au centre des préoccupations des décideurs soviétiques. Mais, désormais, lorsque les décideurs communistes évoquent la puissance soviétique, l’adjectif « mondial » s’impose. Dans le rapport qu’il présente devant le XXe Congrès en février 1956, Souslov déclare de manière bien caractéristique qu’« il n’y a aucun problème international intéressant les peuples du monde dans lequel, durant ces dernières années, l’URSS n’ait été amenée à se prononcer et à la solution duquel elle n’ait participé » (17). Trois ans plus tard, en janvier 1959, la venue de Mikoïan aux États-Unis puis, en septembre, le voyage réussi de Khrouchtchev en terre américaine installent au sommet le dialogue américano-soviétique et contribuent à imposer sur la scène internationale l’image d’une « super-puissance » soviétique. Enfin, ce changement de perspective s’inscrit aussi dans les structures décisionnelles puisqu’à partir de 1956-57, l’État soviétique se dote d’un nouvel instrument d’analyse et d’étude des relations internationales, l’IMEMO, tout particulièrement chargé de se pencher sur les problèmes du tiers-monde.

Or, ce changement de perspective, patent dès 1956-57, s’accentue au fil de la période brejnévienne.

2.4. De l’URSS brejnévienne à la perestroïka gorbatchévienne

La période brejnévienne (1964-1982) se caractérise par l’accession de l’URSS à la parité stratégique, entérinée par les accords SALT : désormais, la puissance stratégique soviétique fait jeu égal avec celle des États-Unis et la cogestion des grandes crises de la période – guerre des Six Jours, guerre du Kippour – témoigne d’une évolution vers un duopole ou un « condominium », qui flatte les dirigeants soviétiques. Dans le même temps, ces derniers gardent un œil rivé sur la sphère européenne, comme le démontre leur volonté opiniâtre d’aboutir à un accord susceptible d’entériner les frontières provisoires héritées de Potsdam. Mais, une fois ce processus bien engagé – l’Acte final d’Helsinki est signé le 1er août 1975, l’Europe n’est plus l’objet central de leurs préoccupations : l’URSS brejnévienne continue de gagner en influence sur le continent africain et de consolider ses acquis en Amérique latine et en Asie ; plus que jamais, elle fait bel et bien figure de puissance mondiale.

Dans cette même période, fort de ses succès internationaux, l’État soviétique ne semble plus craindre le contact avec l’Europe occidentale. La détente aboutit même à l’établissement d’une véritable coopération économique avec des pays ouest-européens comme l’Allemagne fédérale ou la France, qui s’accompagne d’une certaine ouverture culturelle. En effet, au moment où les dirigeants soviétiques commencent à prendre conscience des dysfonctionnements de leur économie, ils tentent, comme à l’époque tsariste, d’y remédier en recourant à des transferts de technologie occidentale.

Toutefois, cette première tentative de rapprochement avec l’Europe occidentale s’avère de courte durée. Dès 1977-78, les décideurs soviétiques commencent à faire marche arrière et à remettre en cause la politique de détente et de coopération menée avec l’Europe occidentale. Car, en dépit des avantages économiques et commerciaux qu’elle leur procure, cette politique s’avère coûteuse pour l’URSS, les contacts accrus avec les États occidentaux d’Europe suscitant à l’Ouest des pressions répétées et bruyantes en faveur des droits de l’homme. Or, pour les leaders soviétiques, qui les perçoivent comme des signes insupportables d’ingérence dans les affaires intérieures de la communauté socialiste, il ne peut être question de céder à ces attaques « subversives », dommageables pour l’édifice sécuritaire qu’ils ont bâti en Europe de l’Est comme pour les fondements même du régime (18). Dans ce contexte, conscient qu’il lui est de plus en plus difficile de se prémunir efficacement contre ces nouvelles « menaces » de contamination idéologique venues de l’Ouest, le régime durcit ses positions à l’égard de l’Europe occidentale et opte à partir de 1977-78 pour une politique de tension illustrée par la crise des euromissiles (19).

À cette date, l’ouverture à l’Europe occidentale semble avoir fait long feu et les anciennes représentations pétries de références idéologiques hostiles paraissent avoir repris le dessus. Mais, en réalité, en dépit de son caractère éphémère, la période de rapprochement et de bon voisinage entre l’URSS et l’Europe occidentale a eu des effets positifs sur les représentations véhiculées de part et d’autre. Les contacts directs établis entre responsables politiques et économiques ont contribué à faire taire un certain nombre des préjugés hostiles hérités de la guerre froide et permis aux deux parties de mieux se connaître, voire de se comprendre. Contrariée par le retour à la guerre fraîche entre 1980 et 1985, cette évolution de fond vers des perceptions moins idéologiques est confirmée et accentuée par la perestroïka gorbatchévienne.

À partir de 1985 et plus encore de 1987-88, l’URSS gorbatchévienne entreprend une révolution politique autant que psychologique et morale, dont les effets sont patents sur les pratiques diplomatiques comme sur les valeurs revendiquées par le pouvoir. Aspirant à une politique étrangère «désidéologisée» et globale, Gorbatchev et ses proches – Chevarnadze aux commandes des Affaires étrangères, Dobrynine à la tête du Département international du Comité central, et Tcherniaev en tant que conseiller pour les questions de politique extérieure – s’engagent dans une diplomatie active et très vite fructueuse : il suffit d’évoquer le retrait soviétique d’Afghanistan ou la signature en 1987 du traité de Washington, qui, pour la première fois, institue entre les deux Grands un authentique processus de désarmement. Mais c’est dans la relation à l’Europe que les changements sont les plus nets.

Jusqu’à la fin de l’année 1987 et au début de 1988, le pouvoir n’est pas entièrement dégagé des pratiques et des représentations soviétiques anciennes et, dans le concept de « maison commune européenne » (20), lancé dès décembre 1984 lors d’un voyage accompli à Londres par Gorbatchev, l’on retrouve bien la vieille tentation de favoriser un découplage entre les États-Unis et l’Europe occidentale et, à terme, de chasser les Américains du Vieux Continent. Mais, à partir de 1988, il en va autrement et un profond bouleversement tant mental que politique commence à se dessiner.

Sur le plan politique, le pouvoir gorbatchévien attend beaucoup de cette maison commune.

D’une part, il en escompte des relations d’une nature nouvelle avec les anciennes démocraties populaires de l’Est. Dans cet ensemble paneuropéen, les démocraties populaires rénovées pourraient, aux côtés de l’URSS, incarner un socialisme « à visage humain », c’est-à-dire un socialisme tolérant, respectueux des principes de renonciation à la force et de la liberté de choix, deux principes que Gorbatchev a mis en exergue lors de son discours à l’ONU, le 7 décembre 1988. Toutefois, sur ce plan, les espoirs gorbatchéviens s’avèreront vains car, dès leur liberté et leur indépendance recouvrées, les anciennes démocraties populaires – Tchécoslovaquie et Pologne au premier plan – s’empresseront de rompre avec le socialisme, préférant s’engager dans la voie de la transition vers un régime capitaliste.

D’autre part, et de manière plus cruciale encore, il en attend des relations nouvelles avec l’Europe occidentale.

Désormais, la volonté soviétique de se rapprocher des États d’Europe occidentale vise moins la déstabilisation des relations américano-ouest-européennes que l’établissement d’un véritable partenariat avec l’Europe occidentale. Et pour montrer sa volonté concrète d’avancer dans un rapprochement avec la communauté européenne, le pouvoir soviétique se déclare favorable à l’établissement de relations officielles entre le COMECON et la CEE. Ce sera le sens de la première « déclaration commune » adoptée en juin 1988 entre les deux instances économiques et du premier accord de coopération qu’elles concluent à la fin de l’année 1988.

Mais, plus encore, évoluant aussi dans ses propres convictions, Gorbatchev s’affirme alors en faveur d’un rapprochement progressif qui se ferait sur la base des valeurs de l’Europe occidentale – respect des libertés et des droits de l’homme, démocratie et pluralisme politique au premier plan. Loin d’être perçue comme menaçante, hostile et étrangère comme dans le passé soviétique, l’Europe occidentale apparaît donc désormais comme porteuse d’une civilisation vers laquelle il faut tendre.

L’ampleur des objectifs recherchés, les réalisations concrètes auxquelles ils conduisent avec, en novembre 1990, la signature du premier grand accord de désarmement en Europe et l’adhésion de l’URSS à la « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » et, enfin, le présupposé sur lequel ils reposent, c’est-à-dire la nature fondamentalement européenne de la Russie, tout ceci atteste d’un bouleversement radical dans la relation à l’Europe. Mais, à l’heure d’une liberté d’expression retrouvée, ce bouleversement suscite un débat animé dans l’opinion et des critiques virulentes, et l’on voit resurgir un très intéressant clivage entre ceux qui croient à cette maison commune européenne et ceux qui la rejettent au nom de l’identité russe et de la russité. Des revues comme Nach Sovremennik or Molodaïa Gvardia lancent des diatribes, s’en prenant à la « contamination occidentale » contre laquelle il s’agit de mener une nouvelle « bataille de Stalingrad » (21); et, en janvier 1991, Paradigmy publie un article affirmant que « jamais comme avant, l’occidentalisme n’a revêtu dans ce pays une forme aussi agressive, rejetant tout ce qui est russe. » (22)

Ces prises de position suscitent des réponses tout aussi vigoureuses de la part des « occidentalistes ». En 1990, V. Dashitchev défend avec beaucoup de pédagogie les thèses gorbatchéviennes dans Moskovskie Novosti ; et, en mars 1991, E. Chevarnadze, qui n’occupe plus la fonction de ministre des Affaires étrangères, se prononce avec force en faveur du « choix européen », soulignant que :

« Si nous parvenons à régler nos problèmes nationaux, économiques et politiques et à poursuivre la construction d’un État démocratique régi par la loi, nous continuerons à participer à la création d’un espace intégral européen, économique, légal, humaniste, culturel et écologique. Ses fondations ont déjà été posées. (...) Si nous voulons être un pays civilisé, nous devons nous doter des lois et des références partagées par les autres pays civilisés. » (23)

À partir de 1985, la perestroïka s’est donc efforcée de donner une réponse nouvelle au dilemme européen de la Russie : avec le recentrage progressif vers les questions européennes, le concept original de « maison commune européenne » et la promotion d’un rapprochement d’envergure entre l’URSS et les différents États ouest-européens, le pouvoir gorbatchévien s’est efforcé de « retrouver le chemin de l’Europe » et il est allé très loin dans ce cheminement en se ralliant dès la fin de l’année 1988 à des principes chers aux Occidentaux – ainsi du droit rendu aux démocraties populaires d’exercer librement leur souveraineté et du non recours à la force à l’intérieur de la communauté socialiste ; ainsi de l’adhésion à la Charte pour la nouvelle Europe fin 1990. Mais, mal compris d’une partie de l’opinion et des élites restées attachées aux schémas anciens, ce cheminement, qui se joue à un moment où le pays est en proie à des difficultés de tout ordre, s’avère semé d’embûches et bientôt incompatible avec le maintien d’une structure soviétique, qui finit par imploser en décembre 1991.

La perestroïka a donc constitué une étape importante dans le retour de la Russie à l’Europe. Toutefois, une question essentielle se pose dès lors : les jalons posés par Gorbatchev relevaient-ils d’un changement structurel ou d’un épiphénomène ? C’est en observant de près l’évolution des vingt-cinq dernières années que l’on peut esquisser quelques réponses.

3. La Fédération de Russie et l’Union européenne, entre rapprochement, partenariat et défiance

Retracer en quelques paragraphes toute la complexité des relations russo-européennes durant les vingt-cinq dernières années tient de la gageure tant les oscillations, les hésitations, les crises et les périodes d’embellie n’ont cessé de se succéder au gré des variations du contexte international comme des aléas de la politique intérieure russe.

3.1. La présidence de Boris Eltsine, l’heure du « retour à l’Europe »

Dès janvier 1992, la toute jeune Fédération de Russie se définit comme un État souverain, continuateur de l’État soviétique, dont elle reçoit en héritage le statut de puissance nucléaire et les engagements diplomatiques. Mais cette continuité n’est qu’apparente : de facto la Russie post-communiste, qui ne peut mobiliser aucune référence intellectuelle ou historique (24), manque cruellement de cadres de références : « ni la géographie, ni l’histoire ne peuvent venir au secours de sa transformation ; les modèles qu’elle expérimente, les frontières qui l’enserrent lui sont fondamentalement étrangers » (25).

 À son arrivée à la tête du ministère russe des Affaires étrangères en octobre 1990 et plus encore après la disparition de l’URSS, Andreï Kozyrev a d’emblée cherché à se placer à l’école gorbatchévienne et il se veut lucide : pour lui, il n’est plus temps de rêver à d’hypothétiques projets mondiaux d’influence, et la Russie, qui n’a plus les moyens de ses anciennes ambitions planétaires, doit prendre la mesure des changements intervenus dans son statut. Dès août 1992, le Conseil de politique étrangère et de défense, alors influencé par la pensée d’A. Kozyrev, déclare de manière bien symptomatique :

« Selon la plupart des paramètres et si l’on exclut la superficie et l’arsenal nucléaire, la Russie est devenue une puissance moyenne. » (26)

Dans ce contexte et alors que le pays traverse une crise économique, sociale et identitaire majeure, la politique extérieure russe s’inscrit entre 1992 et 1995 dans la continuité de la période gorbatchévienne et poursuit trois objectifs clés : entretenir des relations aussi apaisées que possible avec les différents États de la CEI ; réintégrer la communauté internationale mondiale : en avril 1992, la Fédération de Russie adhère au FMI et, deux mois plus tard, elle rejoint la Banque Mondiale ; et, dans le sillage de la maison commune, affirmer la nature européenne de la Russie : en témoigne, en mai 1992, la candidature russe au Conseil de l’Europe et, en novembre, les négociations entamées avec les communautés européennes sur un projet d’accord de partenariat et de coopération. Pour Boris Eltsine comme pour Kozyrev, reposant sur des valeurs partagées de démocratie, de respect des droits de l’homme et de liberté d’entreprendre, ce partenariat privilégié devra servir d’instrument privilégié à la démocratisation d’un pays qui se perçoit et se définit comme européen. En témoigne ainsi la déclaration de Boris Eltsine devant le Parlement européen à Strasbourg, où il exprime son intention de corriger une injustice vieille de 70 ans et de rendre la Russie à l’Europe. Mais, parce qu’il n’a abouti à aucune réalisation tangible, le concept de maison commune est abandonné : avant tout, il s’agit pour le pouvoir russe d’être concret et pragmatique dans sa relation à l’Europe.

 Mais cette politique extérieure, qui se veut régionale, est accusée de manquer d’ambition, d’où des débats à la Douma et des critiques dans l’opinion à l’heure où la crise yougoslave déchaîne en Russie des sentiments pro-serbes et anti-occidentaux, qui finissent par coûter son poste à Kozyrev en décembre 1995.

Durant ces années de transition, des relations de confiance se sont néanmoins tissées entre l’Union européenne et la nouvelle Russie. Elles revêtent des volets variés : le premier, c’est un volet d’assistance : entre 1990 et 1994, en particulier grâce au programme TACIS fondé en 1991, la Communauté européenne est à l’origine de 60% du montant total des aides internationales apportées au nouvel État russe (27) et elle s’impose donc comme un interlocuteur indispensable et discret de la modernisation russe. L’Union européenne est aussi dès cette période un partenaire commercial de premier plan pour la Russie puisqu’entre 1992 et 1995, elle représente en valeur un peu plus du tiers des échanges extérieurs de la Russie (28). Enfin, elle commence à devenir un partenaire politique : l’accord de partenariat et de coopération signé le 24 juin 1994 à Corfou le souligne.

On le voit, les années 1992-95 ont donc coïncidé avec une lune de miel russo-européenne, marquée par l’influence des courants « occidentalistes ». Pourtant, l’accord de partenariat et de coopération signé à Corfou n’entre en vigueur que deux ans et demi plus tard, soit le 1er décembre 1997 ! C’est que, dans l’intervalle, les sujets de tension et de crise n’ont cessé de se multiplier dans un contexte par ailleurs bien changé.

3.2. Entre désillusions et malentendus, la Russie et l’Union européenne à l’heure des nouveaux enjeux, 1996-2000

C’est en janvier 1996 qu’Evgueni Primakov accède au poste de ministre des Affaires étrangères, une nomination qui vise à apaiser les élites nationalistes comme les élites communistes de plus en plus ulcérées par le « suivisme » d’A. Kozyrev et sa « complaisance » à l’égard de l’Occident. Âgé de 67 ans, diplômé de l’Institut des études orientales de Moscou en 1953, docteur en histoire, parlant plusieurs langues, dont l’arabe et le français, Primakov s’est tout d’abord imposé comme un spécialiste académique de l’Asie et du Moyen-Orient. Journaliste (de 1962 à 1965) à La Pravda puis correspondant de ce même journal au Moyen-Orient de 1965 à 1970, élevé au rang d’académicien des sciences en 1975, il est ensuite directeur de l’IMEMO de 1985 à 1989 avant d’être nommé par Gorbatchev en 1990-91 membre du Conseil présidentiel. C’est à ce titre qu’il sera envoyé par trois fois en Irak auprès de Saddam Hussein pour tenter de le convaincre de respecter l’ultimatum de l’ONU (29) alors que se profile la guerre du Golfe. En décembre 1991, Primakov est nommé directeur du service des renseignements extérieurs de Russie, poste qu’il occupe jusqu’à son entrée en fonction à la tête du ministère des Affaires étrangères.

À son arrivée à la tête du ministère, Primakov dresse un bilan critique de la diplomatie russe. À ses yeux, en effet, la bonne volonté russe à l’égard de l’Occident, son désir d’intégrer la communauté des démocraties libérales et le rapprochement qui s’est esquissé entre la Russie et l’Occident depuis 1992 n’ont abouti qu’à un marché de dupes : non seulement la Russie n’a pas été pleinement réintégrée dans cette communauté internationale, non seulement elle n’a pas réussi à se hisser au rang de partenaire négociant d’égal à égal avec les États-Unis mais, pire encore, sur le plan économique, l’aide occidentale tant espérée n’a pas suffi à éviter la crise profonde dans laquelle la Russie a plongé dès 1992-93 et, sur le plan géopolitique, la Russie a vu ses sphères d’influence se rétrécir au gré de l’avancée unilatérale de la diplomatie américaine, et les sujets de ressentiment et d’amertume se sont multipliés. Ainsi, dans la gestion de la crise en ex-Yougoslavie, l’OTAN a maintenu la Russie en marge, ne l’associant que formellement aux accords de Dayton ; en outre, à partir de 1993, la perspective d’élargissement de l’OTAN aux anciens satellites de l’Europe de l’Est suscite l’hostilité viscérale de l’État russe : il y voit en effet une atteinte directe à sa sécurité.

Face à ces questions cruciales pour la Russie, Primakov va donc chercher à imprimer sa marque en imposant une réorientation de la diplomatie russe qui met en avant trois idées phares.

La première tient au statut de la Russie : à ses yeux, si cette dernière a traversé une période difficile qui a contribué à l’affaiblir, elle n’en reste pas moins un État dont les caractéristiques essentielles ne sauraient le réduire à n’être qu’une puissance européenne moyenne ; de par sa situation géographique, son histoire et sa culture, elle demeure une puissance eurasienne, irréductiblement exceptionnelle et dont le rayonnement naturel ne peut qu’être euro-asiatique : on retrouve là un écho à des thèses déjà formulées dans l’empire russe à la fin du XIXe siècle et reprises au début des années 1920 par les fondateurs de la pensée eurasienne (30). La deuxième notion relève d’une analyse géopolitique : la fin de la guerre froide doit favoriser l’émergence d’un monde multipolaire dans lequel la politique extérieure devra faire preuve d’équilibre. Certes, la coopération avec l’Occident, et l’Europe en particulier, reste une priorité de la politique extérieure russe mais l’heure n’est donc plus à un occidentalisme inconditionnel. Enfin, troisième notion clé, Primakov met en avant le concept d’« étranger proche » et s’attribue ainsi un droit de regard privilégié sur les anciennes républiques soviétiques, où vivent 25 millions de Russes.

Loin de l’europhilie des années de transition, 1992-93, les relations russo-européennes entrent donc à partir de 1996 dans une ère plus complexe, qui tient aussi à l’évolution du contexte international lui-même.

L’Europe occidentale reste un partenaire économique et commercial de premier plan et un interlocuteur politique naturel et consensuel ; redoutant l’élargissement de l’OTAN aux anciennes démocraties populaires, voire à certaines des anciennes républiques soviétiques, les diplomates russes se prononcent alors pour une alternative, à savoir « la transformation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en élément central de la future architecture de sécurité européenne » (31). Ce pari sur l’OSCE et sur l’Europe, perçue comme un moindre mal par rapport à l’OTAN, qui constitue toujours une hantise et un repoussoir, explique, au même moment, la relative bienveillance de la Russie à l’égard de l’élargissement de l’Union européenne en direction de ses anciens satellites. Pour autant, les autorités russes n’en sont pas moins inquiètes : du fait de l’élargissement de l’Europe, elles redoutent que la Russie se retrouve reléguée à l’extérieur du continent et que l’intégration de ces nouveaux entrants radicalise les positions de l’UE à son égard et contribuent à la marginaliser encore un peu plus. Au même moment, du côté ouest-européen, le malaise est également perceptible : certes, en 1996, la Russie entre au Conseil de l’Europe et, en 1999, un nouvel élan est donné à l’accord de partenariat et de coopération, mais l’Europe ne cesse de reprocher aux autorités russes leurs manquements répétés au principe d’État de droit et aux droits de l’homme et leur gestion du conflit en Tchétchénie. De part et d’autre, rancœur, ressentiment et incompréhension réciproques affleurent déjà. Ils ne vont cesser de gagner en amplitude à partir des années Poutine.

3.3. Russie et Union européenne dans les années Poutine

Relativement inconnu des médias occidentaux lorsqu’il accède au pouvoir en 1999-2000, alors perçu comme un homme plutôt terne, voire sans charisme, Vladimir Poutine, ministre promu président par intérim puis président à part entière, s’est vite attelé à réformer la diplomatie russe, aidé par son ministre des Affaires étrangères, d’abord Igor Ivanov jusqu’en 2004 puis Sergueï Lavrov.

Au tout début des années 2000, Russes et Occidentaux semblent partager une volonté de rapprochement que les événements du 11 septembre vont encore conforter. Les autorités russes aspirent alors à regagner de l’influence géopolitique et à profiter du dynamisme économique de la zone euro pour stimuler le développement national, au moment où l’Union européenne, de plus en plus soucieuse de diversifier ses approvisionnements énergétiques, se tourne vers la Russie : en quelques années à peine, cette dernière devient l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Union, laquelle se hisse au même moment au rang de principal partenaire commercial de la Russie. En outre, cet essor des échanges économiques se déroule dans un cadre institutionnel rénové qui paraît de bon augure. En mai 2003, le sommet UE-Russie à Saint-Pétersbourg lance en effet le développement de « quatre espaces » : un espace économique commun ; un espace commun de liberté, de sécurité et de justice ; un espace de coopération dans le domaine de la sécurité extérieure et un espace de recherche et d’éducation.

Mais, malgré ces succès apparents, ces aspirations communes au rapprochement n’ont pas tardé à se heurter à des difficultés et, à partir de 2002, à des tensions de plus en plus palpables. Certes, ces tensions sont moindres que les tensions russo-américaines, qui, après l’embellie consécutive aux événements du 11 septembre, traversent aujourd’hui une crise profonde, mais elles n’en sont pas moins réelles.

Côté russe, le ressentiment à l’égard de l’Europe s’est accru du fait de deux questions majeures : d’abord en raison de l’élargissement de l’Union européenne à l’Est – en 2004, l’UE a admis en son sein dix nouveaux membres, dont huit pays post-communistes, contribuant ainsi à nourrir la crainte paranoïaque des autorités russes de se voir refouler vers l’Est ; et ensuite du fait des « révolutions de couleur » qui se sont multipliées dans l’ancien espace soviétique (Géorgie 2003, Ukraine 2004, Kirghizistan 2005, Moldavie 2009) – pour les autorités russes, en effet, ces révolutions de couleur ne relèvent pas de processus spontanés reflétant une aspiration légitime à plus de droit et de liberté, mais de processus subversifs dont la finalité serait d’abord de redistribuer toutes les cartes géopolitiques dans « l’étranger proche » et à terme de discréditer le régime poutinien et de le renverser.

Du côté de l’Union européenne, le malaise a lui aussi été croissant. D’abord, parce que depuis le deuxième et plus encore le troisième mandat de Vladimir Poutine, Bruxelles voit d’un œil désapprobateur les manquements toujours plus nombreux de la Russie aux droits de l’homme et aux libertés civiques et qu’elle assiste avec inquiétude à la montée en puissance d’un régime autoritaire qui s’éloigne chaque jour davantage de l’État de droit. Ensuite, parce qu’au fil des dernières années, la tendance russe à user des fournitures d’énergie comme d’une arme politique a engendré dans l’Union européenne un profond sentiment d’insécurité à l’égard d’une Russie perçue comme de moins en moins fiable quant à sa stratégie énergétique.

Conclusion

C’est dans ce contexte déjà tendu que, depuis un an, a pris place la douloureuse crise ukrainienne. Très tôt alimentée par des erreurs, des provocations et des maladresses réciproques, la crise, qui, chaque jour, apporte sa cohorte de souffrances et de violences, son lot de désinformations grossières et ses réactions passionnelles à la hauteur des enjeux identitaires qu’elle soulève, semble aujourd’hui profondément enkystée. Quant au dialogue russo-européen, il peine à déboucher sur des résultats probants tant les positions paraissent inconciliables. Pour les Occidentaux, l’annexion de la Crimée et le soutien militaire actif apporté par Moscou aux séparatistes de Donetsk relèvent d’une violation inacceptable du droit international, d’où la politique des sanctions dans laquelle les Européens se sont engagés à la suite des États-Unis. Pour le pouvoir russe, l’attitude occidentale ne ferait que refléter l’incapacité structurelle des États-Unis comme de l’Union européenne à comprendre la nature des intérêts stratégiques russes et à en tenir compte.

Vingt-cinq ans après la signature de la Charte pour la nouvelle Europe, ce dialogue de sourds et ces tensions témoignent de ce que l’idéalisme gorbatchévien, qui en appelait à une maison commune européenne fondée sur des valeurs et des principes partagés, a échoué dans la mission qu’il s’était fixé : l’heure, aujourd’hui, n’est plus aux occidentalistes. En pleine effervescence identitaire, la Russie poutinienne se cherche des références où se mêlent, de manière assez confuse et parfois contradictoire, des accents impériaux, eurasiens, nationalistes et anti-occidentaux, voire xénophobes. Cette réorientation est-elle amenée à se prolonger et augure-t-elle d’une phase durable de fermeture et de repli comme l’histoire pluriséculaire des relations russo-européennes en a déjà connu ? Ou ne s’agit-il que d’une crise passagère ? À cette question, et elle est cruciale, les mois à venir devraient nous apporter des réponses.

* Illustration : « L’arrivée à Moscou des étrangers, XVIIe siècle ». Source : huile sur toile du XIXe siècle de S. Ivanov. Galerie Tretiakov, Moscou. Publié dans « Russie 2013. Regards de l’Observatoire franco-russe », Éditions du Cherche-midi, Paris, 2013, p. 120.
1. Pour une vision d’ensemble de ces questions, voir l’ouvrage de Martin MALIA qui a pour titre « L’Occident et l’énigme russe. Du cavalier de bronze au mausolée de Lénine » (Seuil, 2003 pour la version en français), et, en écho à ce livre, mon propre ouvrage « Le dilemme russe, la Russie et l’Europe occidentale d’Ivan le Terrible à Boris Eltsine », Paris, Flammarion, 2002.

2. Ces images nous sont bien connues grâce aux travaux d’un certain nombre d’historiens, dont plusieurs sont français. On peut ici évoquer les travaux de Marie-Louise PELUS, qui a travaillé sur l’image politique de la Russie au XVIe siècle, ou bien encore ceux de Francine-Dominique LIECHTENHAN, qui a publié plusieurs articles sur l’image de la Russie et de ses tsars au XVIIIe siècle. Toutefois, si les images politiques de la Russie, de son régime et de ses mœurs ont été bien cernées par les historiens, ce sont les images culturelles, philosophiques et artistiques de la Russie qui ont le plus retenu leur attention. On peut ici, à titre d’exemples, mentionner l’ouvrage de l’historien Albert LORTHOLARY intitulé « Les philosophes du XVIIIe siècle et la Russie, le mirage russe en France au XVIIIe siècle », Paris, Bouin, 1951, celui de Martin MALIA, op.cit., et mon propre ouvrage « Le dilemme russe », op.cit.

3. Cf. Michel HELLER, « Histoire de la Russie et de son empire », Paris, 1999, réédition en Champs Flammarion, 2009, passim.

4. La bibliographie consacrée à Pierre le Grand et au processus d’européanisation est très importante. On se contentera de signaler ici l’ouvrage de Lindsey HUGHES, « Russia in the Age of Peter The Great », New Haven and London, Yale University Press, 1998. Et, plus récemment, Robert MASSIE, « Pierre le Grand, sa vie, son univers », Paris, Fayard, 1985, et Francine-Dominique LIECHTENHAN, « Pierre le Grand », Paris, SPM, Chronos, 2012.

5. Cf. Alain BESANCON, « Le Tsarévitch immolé : la symbolique de la loi dans la culture russe », Paris, Payot, 1991.

6. Pour une vue d’ensemble du règne d’Alexandre Ier, voir Marie-Pierre REY, « Alexandre Ier, le tsar qui vainquit Napoléon », Paris, Flammarion, 2009 et 2013. Publié en russe aux éditions ROSSPEN, 2013.

7. Cf. Marie-Pierre REY, « 1814, un Tsar à Paris », Paris, Flammarion, 2014.

8. Sur ces passeurs d’influence, voir la belle thèse de Gianni CARIANI soutenue à l’Université de Strasbourg, intitulée « Une France russophile ? Découverte, réception, impact, la diffusion de la culture russe en France de 1881 à 1914 », Lille, Éditions du Septentrion, 2001.

9. Sur l’inversion et le rôle de modèle joué par la Russie soviétique puis par l’URSS, voir les travaux de Sophie COEURE, en particulier son livre « La grande lueur à l’Est, les Français et l’Union soviétique, 1917-1939 », Paris, Seuil, 1999. Et, plus récemment, la biographie qu’elle a consacrée à Pierre Pascal sous le titre « Pierre Pascal, la Russie entre christianisme et communisme », Paris, Éditions Noir sur Blanc, 2014. Et l’édition commentée du journal de Pierre Pascal 1928-1929, qu’elle vient d’éditer chez le même éditeur.

10. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1960 et au tout début des années 1970 que certaines, souvent de culture technocratique, commencent à émettre des doutes quant à cette supériorité et se prononcent en faveur de contacts et d’emprunts accrus à l’Occident.

11. Cité par Vera TOLZ, in « Russia : Inventing the Nation », London, Arnold, 2001, p. 107.

12. Cf. son propos en 1947, où, devant un groupe de chercheurs, il s’en prend dans une formule caustique à « la tradition injustifiée de génuflexion devant la culture occidentale » des intellectuels russes. Cité par Marie-Pierre REY, in « Le dilemme russe », op.cit. p. 234.

13. Ibidem., p. 237.

14. Voir l’ouvrage de Laure CASTIN-CHAPARRO, « Puissance de l’URSS, misères de l’Allemagne, Staline et la question allemande, 1941-1955 », Paris, Publications de la Sorbonne, 2002. Et celui de Vladislav ZUBOK et Constantine PLESHAKOV, « Inside the Kremlin’s Cold War, From Stalin to Krushchev », Harvard University Press, 1997. Voir aussi l’article de Mikhaïl LIPKIN, « Avril 1952, la conférence économique de Moscou : changement de tactique ou innovation dans la politique extérieure stalinienne ? » in Relations internationales, 2011/3, n°147, p. 19-33.

15. Cf. l’ouvrage d’Aleksandr Fursenko et Timothy Naftali, « Khrushchev’s Cold War: The Inside Story of an American Adversary », New York City, Norton and Company, 2006.

16. Le rôle personnel qu’il joue dans l’élaboration de la politique extérieure soviétique est souligné par de nombreux témoignages d’anciens diplomates et membres de l’appareil central. Cf. par exemple le témoignage d’Andreï ALEXANDROV-AGENTOV, « Ot Kollontaj do Gorbaceva : Vospominaniia Diplomata », Moscou, Mejdunarodnaia Otnocheniia, 1994.

17. Rapport de Mikhaïl Souslov au XXe Congrès, cité par James RICHTER, Khruschev’s Double Bind, Baltimore and London, Johns Hopkins University Press, 1994, p. 84.

18. Plusieurs rapports rédigés par Iouri Andropov, patron du KGB, témoignent d’une perception très aiguë de ce danger de contamination et de déstabilisation. Cf. par exemple le rapport qu’il rédige en août 1976. In RGANI, Archives du PCUS, résolution du Comité Central, 22/15, 24 août 1976.

19. Sur la crise des euromissiles, voir Leopoldo NUTI, Frédéric BOZO, Marie-Pierre REY and Bernd ROTHER, « The Euromissile crisis and the end of the Cold War », Stanford, Stanford University Press, 2015.

20. Sur l’histoire du concept de maison commune, voir Marie-Pierre REY, « Europe is our Common Home: A study of Gorbachev’s diplomatic concept », in Cold War History, 2004, 4:2, 33-65.

21. Vera TOLZ, « Russia : Inventing the Nation », op.cit., p. 123.

22. Idem.

23. E. Chevarnadze interviewé par Fiodor Bourlatski, Literaturnaya Gazeta, 10 avril 1991. Cité par Neil MALCOM, « Russia and Europe: an end to Confrontation? », New York, Inter Pub Ltd, 1994, p. 160.

24. See James RICHTER, « Russian Foreign Policy and the Politics of National Identity » in Celeste A WALLANDER, « The sources of Russian Foreign Policy after the Cold War », Boulder, Westview Press, 1996, p. 69.

25. Cf. Laetitia SPETSCHINSKY, « Une politique étrangère à l’épreuve de la transition, contribution à l’étude de la politique russe à l’égard de l’Union européenne (1992-2000) », thèse de sciences politiques et sociales soutenue en juin 2010 à l’Université de Louvain-la-Neuve, p. 175.

26. Cité par Catherine de MONTLIBERT-DUMOULIN, « Acteurs et mécanismes de décision de la politique étrangère russe », in Les relations entre l’Union européenne et la Fédération de Russie, sous la direction de Tanguy de WILDE et Laetitia SPETSCHINSKY, Louvain-la-Neuve, Institut d’Études Européennes, 2000, p. 98.

27. Cf. Andreï ZAGORSKI, « Russia and European institutions » in Vladimir BARANOVSKY, (ed) « Russia and Europe, the Emerging Security Agenda », Stockholm, SIPRI, 1997, p. 519-540.

28. À savoir 36,4% en 1992 ; 32,9% en 1993, 35,1% en 1994 et 32% en 1995 ; cf. Silke MACHOLD ; « Europe and Russia’s External Economic Relations : An assessment », in Economic and Political Weekly, vol. 33, n°35, 1998, p. 14.

29. Pour ces éléments biographiques, voir Caroline IBOS-HERVE, « Les diplomates russes et la politique étrangère », in Les Études du CERI, n°32, octobre 1997, p. 13.

30. Voir sur ce thème les travaux de Marlène LARUELLE, en particulier : « L’idéologie eurasiste russe ou Comment penser l’empire », préface de Patrick Sériot, Paris- Montréal, l’Harmattan, « Essais historiques », 1999. Et, plus récemment, « La quête d’une identité impériale. Le néo-eurasisme dans la Russie contemporaine », Paris, Éditions Pétra, « Sociétés et cultures post-soviétiques en mouvement », 2007.

31. Cf. Isabelle FACON « La Russie, I’OTAN et l’avenir de la sécurité en Europe », Politique étrangère, n°3, août 1997, p. 295.
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