L’élection présidentielle du 18 mars 2018 a mis en évidence les particularités, anciennes et nouvelles, de la géographie électorale russe. Si l’on considère la principale caractéristique du scrutin de cette année – la victoire absolue de Vladimir Poutine avec 76,7 % des voix et les faibles résultats de tous les candidats d’opposition –, un élément important se dessine pourtant : les disparités entre les régions du pays ne sont pas tellement grandes. Vladimir Poutine l’a incontestablement emporté dans tous les « sujets » de la Fédération, sans exception. Son score le plus faible, 64,4 % en Iakoutie, est loin d’être négligeable. En d’autres termes, dans un contexte de domination du candidat leader, l’espace électoral russe a perdu beaucoup de sa polarisation. Ses traits fondamentaux ont influé sur les différences observables dans le degré de soutien à tel ou tel candidat, mais sous une forme très atténuée. Les régions « ethniques », les capitales, la Sibérie et l’Extrême-Orient, les régions conservatrices du Sud ont, notamment, manifesté leurs particularismes, de même que les régions plus libérales du Nord et du Nord-ouest.
Une participation globalement en hausse
L’analyse géographique de la participation témoigne dans l’ensemble, là encore, d’une permanence : celle-ci est plus élevée dans les républiques nationales et les territoires ruraux, plus faible dans les capitales, ainsi que dans les régions du Nord et de l’Est. N’oublions pas, toutefois, que la participation a été globalement plus importante que pour les législatives de 2016 et la présidentielle de 2012.
Les républiques nationales se trouvent dans le groupe de tête de la participation : en premier lieu, le Caucase du Nord, où celle-ci n’a pas été inférieure, dans toutes les républiques, à 80 %. La palme, il est vrai, revient à la République de Touva, en Sibérie méridionale, avec un record de 93,6 %. Un autre groupe de républiques, celles du district fédéral de la Volga (Tatarstan, Bachkirie, Mordovie, Tchouvachie), auxquelles se joint la Bouriatie, en Sibérie, présente un taux un peu plus faible : 75-80 %.
Autre caractéristique typique de la participation : le vote des petits centres industriels, généralement sous l’influence de grosses compagnies. L’illustration la plus éclatante en est le district autonome pétrogazier de Iamalo-Nénétsie, où elle a atteint les 90 %. Comme toujours, la petite – en nombre d’habitants – Tchoukotka, dans le Grand Nord, s’est distinguée par la forte mobilisation de son électorat, de même que les régions de Tioumen et de Kemerovo.
Si l’on considère, à présent, de plus gros ensembles de régions, le taux de participation le plus constant n’est pas inférieur à 70 % dans le Sud du pays, où le pourcentage des ruraux est élevé. Les territoires de Krasnodar et Stavropol se distinguent particulièrement (de même que la République des Adygués voisine), ainsi que, dans les régions limitrophes de la Volga, Orel, Belgorod, Lipetsk, Tambov, Penza. La participation élevée (elle dépasse 70 %) de la République de Crimée et de Sébastopol, qui votaient pour la première fois, retient aussi l’attention.
Les exemples moins caractéristiques des régions du Nord sont également intéressants, en raison de leur forte mobilisation. La partie septentrionale de l’Extrême-Orient se détache particulièrement, en dehors de la Tchoukotka, qui vote toujours massivement, par les forts indicateurs de la région de Magadan et de la Iakoutie. Cette hausse de la participation dans le Nord, aux prises avec un exode de la population, tient en partie au travail effectué par les autorités et les commissions électorales, qui ont « purgé » les listes des « âmes mortes ».
Il est à noter que la région de Magadan et le Kamtchatka voisin sont dans le peloton de tête pour l’augmentation de la participation (notre point de comparaison est, dans l’ensemble de ce texte, l’élection présidentielle de 2012). Mais la hausse la plus remarquable concerne, malgré tout, une partie des régions méridionales, à savoir les territoires de Krasnodar et Stavropol (avec la République des Adygués) déjà mentionnés, ainsi que les régions de Lipetsk et Penza. La mobilisation d’entreprise a manifestement favorisé le taux de participation dans le district autonome des Khantys-Mansis. Des républiques telles que la Kabardino-Balkarie (leader de cette élection pour la hausse du nombre de votants), l’Ossétie du Nord, la Kalmoukie au sud, la Bouriatie en Sibérie – sortie de la catégorie des régions les plus « passives » – se sont fortement mobilisées. Répétons que, dans une série d’exemples, l’augmentation considérable de la participation est en partie due à une bonne organisation de la campagne par les autorités régionales, ce que démontrent le territoire de Perm et les régions de Samara et Vladimir, qui ne s’inscrivent dans aucune tendance générale.
La mobilisation électorale continue d’être faible pour les régions de l’Est et du Nord, ainsi que dans les capitales. On relève notamment, parmi les taux les plus bas (moins de 60 %), la région d’Irkoutsk (55,7 %, le taux minimum), le territoire de Transbaïkalie et la région de Tomsk. Entrent également dans ce groupe des régions du Nord-ouest (Carélie, régions d’Arkhangelsk et de Novgorod), auxquelles on peut rattacher la région de Tver voisine. Enfin, les électeurs de Moscou comptent parmi ceux qui se sont le moins déplacés.
Si l’on considère l’ensemble des régions où la participation a été inférieure à 65 %, on recense quantité de territoires d’Extrême-Orient (ceux du Primorié et de Khabarovsk, régions de l’Amour et de Sakhaline, Région autonome juive) et de Sibérie (territoire de Krasnoïarsk, régions d’Omsk et de Novossibirsk, République de l’Altaï), même si, comme nous le notions ci-avant, des territoires de l’Est ont pu se retrouver parmi les régions au taux de participation le plus élevé, ce qui témoigne de la présence d’îlots, liée à des facteurs locaux. Les territoires les plus « passifs » sont les plus urbanisés de Sibérie et d’Extrême-Orient, alors que les périphéries peuvent se révéler très « actives », de même que les régions « ethniques » de l’Est.
Dans une logique similaire, on trouve, dans la partie méridionale du pays où la mobilisation est en général nettement plus grande, des exceptions. Tel est le cas des régions de Rostov, Astrakhan, Voronej, Koursk et Oulianovsk, où la participation a été relativement basse (le 18 mars 2018). On relève également, dans les régions périphériques à forte population rurale, la faible participation de la région de Kourgan. Mais les plus fortes baisses ont été enregistrées dans la moitié nord de la partie européenne : République des Komis, district autonome de Nénétsie, régions de Kirov, Kaliningrad, Smolensk, Iaroslavl, Kostroma, Vladimir et Oudmourtie. Comme il fallait s’y attendre, les régions rattachées aux capitales ont été « passives » : régions de Moscou et de Leningrad, auxquelles il faut ajouter la région de Sverdlovsk, qui s’en rapproche.
La hausse de la participation n’a pas été, au demeurant, caractéristique de l’ensemble du pays. Au contraire, des territoires ont enregistré une chute par rapport à l’élection présidentielle de 2012, tant du côté des plus actifs que des plus passifs. Elle a notamment touché, parmi les premiers, les républiques (Mordovie, Tchétchénie, Daghestan, Karatchaïevo-Tcherkessie, Tatarstan). Le district autonome de Iamalo-Nénétsie s’en rapproche. Cette tendance nette démontre que les autorités de nombreuses républiques n’ont pas jugé bon de recourir aux pratiques de mobilisation administrative de l’électorat. Cependant, nous avons évoqué plus haut des exemples inverses dans le Caucase du Nord.
Par ailleurs, une chute de la participation est constatée dans nombre de régions de l’Est, où cette tendance souligne la présence d’un électorat d’opposition, qui ne souhaite soutenir aucun des candidats (c’est le cas des territoires du Primorié et de Transbaïkalie, des régions d’Omsk et de Novossibirsk, de la Iakoutie et de la République de l’Altaï). On trouve dans la même catégorie la République des Komis, qui détient l’un des records de la chute du taux de participation, et la région de Kourgan. Une diminution visible (d’un point au moins) caractérise des régions méridionales, d’ordinaire fidèles au pouvoir, telles que celles de Voronej et Belgorod. On relève également une baisse dans la République des Maris, en Oudmourtie et dans la région de Tver. Les exemples sont globalement assez nombreux de baisses survenues dans le contexte d’un changement à la tête de la région. Il apparaît que la mobilisation active était plus typique de l’ancienne direction, alors que les nouveaux gouverneurs, soit n’ont pas souhaité agir en ce sens, soit ont manqué d’expérience pour le faire.
Les « fidèles » et les « opposants relatifs »
La répartition des régions en « fidèles au pouvoir en place » et « d’opposition relative » n’a pas fondamentalement changé au terme de l’élection de 2018. Certaines tendances, néanmoins, se sont atténuées, tandis que d’autres prenaient du relief.
Dans la première catégorie, les plus stables sont certaines républiques nationales, dotées d’une part importante de représentants de la nationalité titulaire et souvent (mais pas toujours) musulmane. Le record est ici détenu par la Kabardino-Balkarie (93,4 % de bulletins en faveur de Vladimir Poutine). Viennent ensuite la République de Tchétchénie, le Daghestan et Touva. Comme on pouvait s’y attendre, la Crimée et Sébastopol se trouvent également dans le peloton de tête, l’opposition n’y disposant quasiment d’aucun soutien. Plus généralement, toutes les républiques du Caucase du Nord (y compris, dans le cas qui nous intéresse, celle des Adygués), la Kalmoukie, le Tatarstan et la Mordovie (la Bachkirie, plus complexe sur le plan politique, est restée un peu en retrait) ont voté à au moins 80 % en faveur du candidat sortant. Viennent s’ajouter à ce groupe des régions qui ne varient guère électoralement : dans le Grand Nord, les districts autonomes de Iamalo-Nénétsie et de Tchoukotka, ainsi que les régions de Kemerovo et de Tioumen.
Un groupe important de régions méridionales à forte population rurale a fait montre d’un soutien élevé au pouvoir en place. C’est là une des tendances qui, nous le disions, a « pris du relief ». Elle s’accompagne d’un reflux de
l’opposition de gauche (voir ci-après). C’est ainsi que la candidature de Vladimir Poutine a agrégé les territoires de Krasnodar et Stavropol, les régions de Rostov, Volgograd et Saratov, autrement dit littéralement toutes les grosses régions du Sud, de même que – ce qui est encore plus intéressant – les régions du Sud de la Russie centrale formant, auparavant, la fameuse « ceinture rouge » (Briansk, Koursk, Lipetsk, Voronej, Tambov). Le candidat sortant s’est révélé, en outre, très populaire dans la région de Nijni-Novgorod. On peut donc parler d’un soutien considérable à Vladimir Poutine non seulement à la périphérie et dans les zones rurales de la Russie européenne, mais aussi dans les centres urbains du Sud et de la Volga, qui se distinguent du vote typique des capitales, assimilé à un vote protestataire. À propos des grands centres, force est de constater que leur « fidélité » a nettement et globalement augmenté.
L’accroissement du soutien à Vladimir Poutine dans les grandes villes a été une des tendances majeures de la présidentielle 2018, ce qui a permis de réduire la fracture traditionnelle entre les centres et la périphérie. Moscou, où, en 2012, Vladimir Poutine avait fait son plus mauvais score, s’est retrouvée, cette fois, dans le trio de tête pour l’augmentation des voix en faveur du candidat président. Une hausse non négligeable caractérise également Saint-Pétersbourg, la région de Moscou et celle de Leningrad.
Un autre groupe significatif de territoires, où le soutien au candidat Poutine s’est révélé en hausse, est constitué, au contraire, de nombreuses régions conservatrices, ce qui, là encore, a contribué à réduire les extrêmes dans l’espace électoral russe. La palme de cette hausse revient sans conteste à la région d’Orel, toujours associée, précédemment, aux communistes. Entrent dans le même groupe les régions voisines de Koursk, Belgorod, Briansk, Lipetsk, Voronej, Penza, Riazan, Smolensk et Oulianovsk. La région d’Orenbourg, où le parti communiste s’assurait généralement des scores élevés, s’inscrit aussi dans cette tendance.
On relève dans tout le centre et le Sud du pays un soutien accru à Vladimir Poutine. La moitié nord de la Russie centrale fournit cependant nombre d’exemples du même ordre. Cela vaut, notamment, pour les régions de Vladimir, Kostroma, Iaroslavl, Tver et Kalouga. On peut dire, là encore, que l’augmentation du vote en faveur du pouvoir en place englobe les régions du Sud, précédemment procommunistes, comme celles du Nord, y compris celles attirées par l’opposition. Notons, à titre d’exemple, que ce groupe comprend des territoires du Nord-ouest, tels que la Carélie, ainsi que les régions d’Arkhangelsk, de Mourmansk, de Pskov et de Kaliningrad. Ces exemples sont rares, en revanche, dans l’Est du pays, où l’on ne compte que les régions d’Irkoutsk et de Magadan. Les républiques votant déjà majoritairement pour Vladimir Poutine, on n’y relève pas une hausse importante, à l’exception de la Kabardino-Balkarie et de la République des Adygués.
La fracture entre la partie européenne du pays et les territoires de l’Est est, toutefois, devenue beaucoup plus visible avec la présidentielle de 2018. C’est à l’est, précisément, que sont concentrées presque toutes les régions dans lesquelles le soutien au candidat sortant a été le plus bas. La Iakoutie et le territoire de l’Altaï (un peu moins de 65 %) en sont les deux meilleures illustrations. On constate un plus grand nombre de régions « d’opposition » (moins de 70 % de bulletins en faveur de Vladimir Poutine) en Extrême-Orient (territoires du Primorié et de Khabarovsk, région de l’Amour, Région autonome juive, Kamtchatka et Sakhaline) ; elles sont un peu moins nombreuses en Sibérie, plus diversifiée sur ce plan (région d’Omsk et Khakassie). La partie européenne du pays ne compte, elle, dans ce groupe, que la petite région périphérique de Kostroma, où le mécontentement de la population est assez élevé.
Une analyse approfondie de ces régions « non fidèles » (dans lesquelles Vladimir Poutine a obtenu entre 70 et 75 % des suffrages) confirme ces tendances. On y trouve une part importante d’autres régions – parfois essentielles – de Sibérie (régions de Novossibirsk et de Tomsk, territoire de Krasnoïarsk et de Transbaïkalie, République de l’Altaï et Bouriatie), de même que la région extrême-orientale de Magadan (la seule, en Extrême-Orient, à s’être révélée absolument « fidèle » est la Tchoukotka). Toutes les régions de l’Oural ou presque ont « fait défection » : celles de Sverdlovsk, Tcheliabinsk, Kourgan et Orenbourg.
On relève aussi des résultats inférieurs pour Vladimir Poutine dans une série de régions de la partie nord-européenne du pays, proches, par leur culture électorale, des territoires de Sibérie. Ainsi le président a-t-il obtenu moins de 75 % des suffrages en Carélie, dans la République des Komis, dans les régions de Vologda, Novgorod, Kirov, dans le district autonome de Nénétsie. S’y ajoute une série de territoires de la partie septentrionale de la Russie centrale : les régions de Smolensk, Tver, Iaroslavl, Vladimir et Ivanovo. La République des Maris s’est, elle, distinguée par des résultats relativement bas : ces dernières années, en effet, la « grogne » y monte pour des raisons locales.
Enfin, malgré la tendance favorable à Vladimir Poutine dans les grandes villes, les territoires des capitales demeurent dans une opposition relative. En témoignent les résultats de Moscou (70,9 %) et ceux, un peu meilleurs, de la région de Moscou. Notons que la ville natale du président, Saint-Pétersbourg, lui a tout de même accordé un peu plus de suffrages : 75 % exactement.
Malgré l’augmentation générale des votes favorables au candidat sortant, par rapport à 2012, on recense sept régions dans lesquelles la baisse est sensible. Il s’agit toutefois, dans presque tous les cas, de républiques où l’expression de la « fidèlité » à l’égard du pouvoir en place est très forte. Simplement, comme nous l’avons noté plus haut, les autorités locales n’ont pas agi en faveur d’une mobilisation totale, d’où une baisse de la participation et une augmentation de la concurrence entre les candidats (République de Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan, Karatchaïevo-Tcherkessie, Tatarstan et Mordovie). Mais on trouve aussi dans ce groupe la Iakoutie, où l’on assiste à un regain de tendances oppositionnelles.
D’une manière analogue, si l’on examine les régions dans lesquelles la hausse du soutien à Vladimir Poutine est relativement faible (moins de dix points), on remarque que cela s’explique pour partie par un niveau de « fidélité » déjà très élevé de la population, qui atteint ses limites. Tel est le cas du district autonome de Iamalo-Nénétsie, de la Bachkirie, de Touva, de la Tchoukotka, des régions de Tioumen, Kemerovo et Saratov. Dans d’autres régions, néanmoins, on parlera plutôt de votes protestataires ayant empêché Vladimir Poutine d’obtenir un surcroît de suffrages. Les exemples en sont nombreux dans l’Est du pays (notamment dans la région de l’Amour, la Transbaïkalie, la Région autonome juive, la République de l’Altaï), mais on en trouve aussi dans le Nord-ouest (République des Komis).
Du côté de l’opposition
La fracture entre les régions occidentales et orientales devient de plus en plus manifeste au vu des suffrages obtenus par le candidat communiste Pavel Groudinine. Ayant fait le choix d’un candidat nouveau, le parti communiste n’a pas été en mesure de mobiliser complètement son ancien électorat, ce dont témoigne la grande progression de Vladimir Poutine dans ce qui constituait la « ceinture rouge », les zones rurales conservatrices de la partie européenne du pays. En même temps, les positions de Pavel Groudinine dans l’Est de la Fédération se sont révélées assez fortes, l’électorat d’opposition l’y ayant volontiers soutenu. Son meilleur score, il le doit à la Iakoutie (27,35 %) ; il recueille également plus de 20 % des voix (ce qui, ces dernières années, est assez beau pour un candidat du parti communiste) dans le territoire du Primorié et dans trois autres régions : le territoire de l’Altaï, la région d’Omsk et la République de l’Altaï.
Dans l’ensemble, les meilleurs résultats de Pavel Groudinine (15 % et plus) sont pratiquement regroupés dans les régions de l’Est (auxquelles on peut ajouter, dans une moindre mesure, celle d’Orenbourg). La seule exception est constituée par la région de Kostroma. Le plus grand soutien apporté à Pavel Groudinine (si l’on prend pour seuil 13 % des suffrages) inclut presque tout l’Extrême-Orient et la Transbaïkalie (à l’exception du district autonome de Tchoukotka) et la majeure partie de la Sibérie (hormis la région de Kemerovo et Touva, fidèles au candidat sortant ; les 13 % ne sont pas non plus tout à fait atteints dans le territoire de Krasnoïarsk). On peut également ajouter à ce groupe, en dehors de la région d’Orenbourg déjà mentionnée, celles de Kourgan et de Tcheliabinsk.
À l’inverse, dans la partie européenne, les scores du candidat communiste officiel sont inégaux et, bien souvent, très bas, ce qui tranche sur les résultats de l’ancien candidat du Parti, Guennadi Ziouganov. On recense une série de régions dans lesquelles le parti communiste a montré, ces dernières années, un vrai savoir-faire dans l’organisation des campagnes électorales, ce qui a également joué en faveur de Pavel Groudinine : outre la région de Kostroma, on a pu le constater dans la République des Maris, les régions de Kirov et d’Oulianovsk, le district autonome de Nénétsie. Les résultats n’ont pas été mauvais non plus dans les régions d’Ivanovo et d’Astrakhan, où le pouvoir en place avait quelques problèmes avec l’électorat. Néanmoins, dans la région de Moscou où se trouve l’exploitation de Pavel Groudinine, celui-ci a eu un résultat un peu plus faible, avec 12,9 % des voix.
Il est logique que, dans une série de régions « protestataires » de Sibérie et d’Extrême-Orient, Pavel Groudinine ait même fait mieux que Guennadi Ziouganov en 2012. Un énorme – selon les critères du Parti – bond en avant a été effectué en Iakoutie (près de 13 points). On constate la supériorité non négligeable du score de Pavel Groudinine sur celui du précédent leader communiste en Extrême-Orient (territoires du Primorié, de Khabarovsk, du Kamtchatka, région de l’Amour), dans le territoire de l’Altaï et la République du même nom. Une autre série de régions, dans cette partie du pays, s’est caractérisée par une baisse insignifiante (pas plus d’un point) : territoire de Transbaïkalie et Région autonome juive. On relève aussi un électorat du parti communiste assez constant dans deux des plus grosses régions de l’Oural : celles de Sverdlovsk et de Tcheliabinsk, ainsi que dans celle d’Astrakhan où, ces dernières années, le Parti n’avait guère de succès.
Cela n’a pas empêché une partie des régions les plus problématiques pour Pavel Groudinine de le demeurer, comme il fallait s’y attendre. Il a ainsi obtenu moins de 5 % des voix en République de Tchétchénie, en Kabardino-Balkarie et à Touva, et son score a été faible au Daghestan, au Tatarstan, en Mordovie. Les districts autonomes de Iamalo-Nénétsie et de Tchoukotka, les régions de Tioumen et de Kemerovo restent au nombre des moins favorables aux communistes. Plus intéressant – et désagréable pour le Parti – est le fait que, parmi ces dernières, on trouve, cette fois, des territoires typiques de l’ancienne « ceinture rouge » : régions de Briansk, Koursk, Tambov, Penza, et région de Toula, où le parti communiste était naguère au pouvoir. Les communistes se sont heurtés à d’évidents problèmes dans le Nord-ouest : faibles résultats à Saint-Pétersbourg et dans la région de Leningrad, de même que dans les régions d’Arkhangelsk et de Mourmansk. On est frappé, enfin, par leur score à peu près nul en Crimée et à Sébastopol.
Les tendances les plus négatives pour les communistes ont été observées dans la « ceinture rouge », où le soutien à leur candidat s’est réduit. Il est symbolique que la chute la plus spectaculaire se soit produite dans la région d’Orel, patrie de Guennadi Ziouganov (près de 17 points). Le Sud de la Russie centrale a connu, partout, une baisse considérable (au moins 10 points) : régions de Briansk, Koursk, Belgorod, Lipetsk et Voronej. S’y ajoutent une série de « sujets » de la Fédération dans lesquels le Parti a chuté de huit à dix points. La plupart sont situés dans la Russie centrale ou sur la Volga et représentaient, naguère, des territoires clefs pour les communistes (régions de Vladimir, Riazan, Tambov, Penza, Oulianovsk, ainsi que la Tchouvachie, entre autres). Les rejoignent les régions de Kostroma et d’Orenbourg, ce qui correspond à une tendance ancienne : le soutien au Parti est en baisse, mais, çà et là, les scores précédents étaient si élevés que, même si la chute est brutale, ces régions comptent toujours parmi celles qui lui sont les plus favorables. D’autres territoires semblables ont, en revanche, franchi un seuil qualitatif, comme l’a montré la présidentielle de cette année, et les communistes y ont enregistré leurs plus mauvais résultats.
Une dégradation est également constatée dans certaines grosses régions de la Volga et du Sud du pays, où, à différentes étapes de l’histoire postsoviétique, le Parti avait remporté des succès remarquables – une tendance que Pavel Groudinine n’a pu maintenir. Tel a été le cas des régions de Nijni-Novgorod, Samara, Rostov et du territoire de Krasnoïarsk. On relève une chute nette dans la région de Kaliningrad, où l’opposition accuse une baisse générale. Des tendances similaires caractérisent les régions frontalières de Pskov et Smolensk, ainsi que Kalouga.
Enfin, Pavel Groudinine n’a eu aucun succès dans certaines républiques du Caucase du Nord, où Guennadi Ziouganov s’en tirait assez bien lors de précédents scrutins. On note ainsi une chute conséquente en Ossétie du Nord et en Kabardino-Balkarie, de même que dans la République des Adygués.
Le représentant du parti communiste a donc un bilan électoral nettement orienté vers l’Extrême-Orient et la Sibérie. Le fond protestataire de ces régions a servi Pavel Groudinine, bien qu’il n’en soit pas originaire et qu’il ait été loin de visiter tous ces « sujets » de la Fédération durant sa campagne électorale. À l’inverse, le Sud conservateur et rural de la partie européenne du pays lui a été défavorable, et une partie notable des voix est passée du côté de Vladimir Poutine.
Le candidat et leader du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR), Vladimir Jirinovski, fait aussi partie de ceux qui ont obtenu un score inférieur à celui de 2012. Mais, à la différence du parti communiste, il conserve le noyau dur de son électorat. La géographie de ses soutiens est donc restée la même, avec une inflexion du côté des territoires de l’Est et du Nord. Il a ainsi réalisé ses meilleurs scores (aux environs de 10 %) dans la République des Komis et dans le territoire de Transbaïkalie, ce dernier lui étant régulièrement parmi les plus favorables.
Notons que l’Extrême-Orient est l’une des principales zones de soutien restant au LDPR, ce dont témoigne une hausse de ses scores (8-10 %) pratiquement sur tout ce territoire (hormis la Tchoukotka, favorable au candidat sortant, et la Iakoutie ainsi que le Primorié, plus favorables aux communistes). En revanche, Vladimir Jirinovski est nettement en baisse en Sibérie. À l’inverse, certaines régions se détachent en sa faveur dans le Nord de la partie européenne du pays : celle d’Arkhangelsk et le district autonome de Nénétsie, les régions de Kirov, Vologda et Kostroma. Par ailleurs, le candidat LDPR bénéficie d’un soutien visible dans la région périphérique de Kourgan, où son parti conserve un noyau dur conséquent.
Cependant, la République des Komis a offert à Vladimir Jirinovski sa plus forte hausse par rapport à l’élection de 2012 – une évolution liée à un changement de gouverneur au niveau local (l’ancien, rappelons-le, ayant été arrêté pour corruption), d’où une mobilisation évidemment moindre. La région a donc voté de façon nettement plus conforme à ce type de territoire. Une amélioration des scores du candidat LDPR est également visible pour un groupe de régions de l’Oural : territoire de Perm, régions de Sverdlovsk et de Tcheliabinsk, ainsi que la Bachkirie et la région de Kirov voisines. Ces régions n’en sont pas pour autant devenues leaders (à l’exception de celle de Kirov où le LDPR est très actif depuis longtemps), mais elles sont apparues plus favorables à Vladimir Jirinovski qu’en 2012.
Autre tendance : l’amélioration des résultats de Vladimir Jirinovski dans les républiques les plus fidèles au pouvoir, ce qui correspond aux évolutions relevées ci-avant. D’où, en particulier, la hausse de ses scores en Ingouchie, Karatchaïevo-Tcherkessie et Mordovie (ainsi que dans la Bachkirie, déjà évoquée).
Toutefois, dans l’ensemble, le facteur ethnique a joué, comme toujours, contre Vladimir Jirinovski, ce qui s’est traduit par de faibles résultats (moins de 5 %) à travers le Caucase du Nord, en Kalmoukie, à Touva et même en Mordovie (où la population est majoritairement russe), ainsi que dans la Iakoutie favorable à Pavel Groudinine. Le faible soutien accordé au leader du LDPR s’est confirmé dans les capitales. En témoignent les résultats à Moscou et Saint-Pétersbourg. Vladimir Jirinovski n’a pas non plus conquis la Crimée et Sébastopol. Plus notable est sa très basse cote de popularité dans les régions méridionales de la Russie, qui lui étaient naguère favorables : les territoires de Krasnodar et Stavropol, où il avait, un temps, su parfaitement utiliser les sentiments patriotiques. On fait le même constat dans la région d’Astrakhan.
Le leader du LDPR a fait également des scores inférieurs dans des régions où il bénéficiait, d’ordinaire, d’un soutien manifeste, mais pas forcément solide. Tel est le cas en Extrême-Orient (avec une chute nette dans les territoires du Primorié et du Kamtchatka) et en Sibérie (région d’Irkoutsk), de même que dans le Kouzbass. Pour la partie européenne, des tendances défavorables apparaissent dans la région de Kaliningrad, pourtant connue pour ses sentiments national-patriotiques, et dans la région de Samara. Les Moscovites, de leur côté, semblent avoir perdu une grande part de leur intérêt pour le candidat Jirinovski. Dans les républiques, on enregistre également une baisse en Kabardino-Balkarie (où la population russe soutient le LDPR), les électeurs ayant, cette fois, montré une loyauté sans faille à Vladimir Poutine.
Le vote en faveur des candidats libéraux a été parfaitement « conforme » en 2018, plus caractéristique des grands centres urbains et de certaines régions du Nord.
Ainsi les meilleurs scores de Ksenia Sobtchak (plus de 4 %) sont-ils observés dans la ville natale de la candidate, Saint-Pétersbourg, et à Moscou. Au demeurant, les deux capitales se détachent nettement des autres régions, soulignant par là même que l’électorat libéral se concentre, en Russie, dans les grandes villes. Pour le reste, les régions dans lesquelles Ksenia Sobtchak rencontre le plus de sympathisants (plus de 2 %) se situent dans le Nord-ouest du pays (Carélie, République des Komis, régions de Mourmansk, Vologda, Kaliningrad et Leningrad), dans la région voisine de Iaroslavl et dans d’autres territoires typiques, tels que la région de Moscou, le territoire de Perm, la région de Sverdlovsk, enfin celle de Tomsk, qui a la réputation d’être la plus libérale de Sibérie. Comme il fallait s’y attendre, la candidate a connu ses échecs les plus retentissants dans le Caucase du Nord, les territoires méridionaux et périphériques, les zones rurales.
On retrouve à peu près les mêmes tendances dans le vote pour Grigori Iavlinski, avec cette différence que les régions dans lesquelles les sections locales du parti Iabloko sont les plus actives se détachent légèrement. Comme dans le cas de Ksenia Sobtchak, Saint-Pétersbourg et Moscou arrivent en tête (dans cet ordre), avec plus de 3 % des voix. Le candidat obtient plus d’1,5 % des suffrages en Carélie et dans la région de Pskov, deux centres importants de Iabloko. Des résultats relativement significatifs (plus d’1 % des voix) sont constatés dans les territoires du Nord-ouest, les régions des capitales et celles disposant de grands centres urbains. Les échecs se situent dans les républiques et les régions méridionales. La position de Grigori Iavlinski est faible dans la plus grande partie de la Sibérie et de l’Extrême-Orient, ainsi qu’en Crimée. Seule particularité parmi les républiques : l’Ingouchie, où le candidat a obtenu plus de 2 % des suffrages.
En ce qui concerne Boris Titov, bien qu’il ne se soit pas positionné comme un libéral, sa géographie électorale est très semblable à celles de Ksenia Sobtchak et de Grigori Iavlinski. Moscou et Saint-Pétersbourg (plus d’1,6 % des voix) se détachent là encore, avec la Carélie et la région de Iaroslavl (plus d’1 %). Le candidat obtient des résultats relativement corrects dans les régions voisines des capitales, ainsi que dans le Nord-ouest et l’Oural. D’un autre côté, il décroche son meilleur score (1,8 %) en Ingouchie (ce qui correspond aux particularités du soutien accordé à Grigori Iavlinski), et plus d’1 % dans l’Ossétie du Nord voisine.
Ainsi l’élection présidentielle de 2018 a-t-elle maintenu, dans l’espace électoral russe, les fractures habituelles, en les atténuant. Celle entre la partie européenne du pays et la Sibérie, d’une part, et l’Extrême-Orient, d’autre part, s’est accentuée, avec le score de Pavel Groudinine (et, çà et là, de Vladimir Jirinovski). Les efforts du Kremlin pour développer ces régions (particulièrement nets dans le cas de l’Extrême-Orient) n’ont visiblement pas permis, jusqu’à présent, de surmonter leur éloignement de Moscou et, dans certains cas, les tendances oppositionnelles y vont même croissant. En même temps, les résultats de Vladimir Poutine sont en hausse jusques et y compris dans les régions autour des capitales (où demeurent de petites poches de vote libéral), ainsi que dans les régions méridionales et rurales conservatrices de l’ancienne « ceinture rouge » (où le candidat sortant a évincé les communistes et le LDPR). Il en ressort un affaiblissement de la polarisation de l’espace électoral russe, lié, bien sûr, à une consolidation plus importante de l’électorat autour de Vladimir Poutine.