Par Igor Bounine, président du Centre des technologies politiques, et Alexeï Makarkine, premier vice-président du Centre des technologies politiques.
2016 aura été, pour la société russe, l’année de la dépression et de la lassitude. L’euphorie de 2014 s’est vue reléguée aux oubliettes de l’Histoire. Dès l’été 2014, l’idée qu’à la suite du rattachement de la Crimée à la Fédération, d’autres régions du Sud-Est de l’Ukraine s’y rallieraient aisément à leur tour, n’était plus d’actualité. L’année 2015 était marquée par une déception sensible quant à la possibilité d’utiliser efficacement les sanctions occidentales pour stimuler la croissance économique via une politique protectionniste (les fameuses « contre-sanctions »). Le redressement du secteur agroalimentaire s’effectue peu à peu au détriment de la qualité et le rythme de la croissance industrielle suffit tout juste, pour l’instant, à passer de la récession à la stagnation. Il est clair, en outre, qu’il n’y aura pas, dans un avenir prévisible, de « rebond » des prix du pétrole et que le rapprochement économique avec la Chine devient de plus en plus problématique : la République populaire est perçue tout à la fois comme un partenaire et une menace potentielle.
Les russes et la peur du changement
L’état dépressif actuel est donc des plus naturels. Dans la situation présente, il profite au pouvoir dans la mesure où la peur du changement s’accroît dans la population, celui-ci apparaissant moins lié à un espoir d’amélioration qu’à une probable détérioration des conditions de vie.
Aussi ne s’étonnera-t-on pas de voir grimper le pourcentage des citoyens de Russie souhaitant une victoire de Vladimir Poutine à l’élection présidentielle de 2018. Presque une personne interrogée sur deux (49 %) par le Centre Levada estime qu’aucun leader capable de succéder à Vladimir Poutine n’apparaîtra dans un avenir proche.
Le schéma classique du « bon tsar » entouré de « mauvais boïars » continue de fonctionner. Près de la moitié des Russes (48 %) estiment que Vladimir Poutine veut sincèrement augmenter leur bien-être, mais qu’il en est empêché par la résistance de la bureaucratie et l’absence, autour de lui, d’une bonne équipe. Un quart (24 %) considère, par ailleurs, qu’il peut y parvenir dans le futur.
Parallèlement, le nombre de ceux qui pensent que l’actuel président règle positivement et dignement les problèmes a chuté de neuf points en un an, passant de 37 % à 28 %. Vladimir Poutine n’en est pas pour autant menacé, sa cote de popularité ne mesurant pas son efficacité, mais faisant la démonstration qu’il n’est pas d’autre point d’appui dans la sphère politique et sociale.
Une population dépressive ne descend pas dans la rue, elle s’efforce de s’adapter aux nouvelles réalités économiques, essentiellement en « se serrant la ceinture ». De plus, la participation à une action de protestation comporte des risques importants : lourdes sanctions administratives, voire poursuites pénales. Il ne s’agit là toutefois que d’une raison supplémentaire, importante mais non décisive : rappelons qu’à la fin des années 1980, des risques analogues n’avaient pu contenir la montée des protestations.
Dans les couches moyennes de la population de Moscou, la « mode protestataire » a brutalement chuté au printemps 2012 et, après le rattachement de la Crimée, nombre de Moscovites enclins à protester sont devenus plus « loyaux » à l’égard du pouvoir. Dans un premier temps, l’explosion des sentiments patriotiques y a été pour beaucoup ; lui a succédé l’idée selon laquelle, puisque le pays se trouvait dans une situation de confrontation avec l’Occident, il était très inconfortable de n’être pas en harmonie avec les priorités du pouvoir et les tendances de la majorité de la population.
Les élections à la Douma
C’est dans ce contexte que se sont déroulées les élections à la Douma d’État en 2016, ce qui n’a pas manqué d’influer sur les résultats. Comparé à 2011, le taux de participation est passé de 60,2 % à 47,8 %, ce qui ne peut entièrement s’expliquer par le déplacement du vote de décembre à septembre, période pendant laquelle une partie des électeurs préfère s’occuper de son jardin que de passer dans l’isoloir. Rappelons que des mesures avaient été prises pour stimuler la participation : le nombre des partis susceptibles de se présenter avait doublé, passant de sept à quatorze, et l’on avait rétabli le scrutin majoritaire uninominal, plus populaire que les listes de partis.
Les élections suscitant un intérêt moindre, Russie unie a été en mesure de regagner la majorité constitutionnelle dont elle disposait à la quatrième Douma (2007–2011). Bien que la liste ait été conduite par le représentant officiel du parti, Dmitri Medvedev, beaucoup ont voté en sa faveur en tant que « parti de Poutine ». En fin de compte, Russie unie a non seulement recueilli plus de la moitié des voix aux élections par listes (ses résultats passant de 49,3 % en 2011 à 54,2 %), mais a aussi remporté deux cent trois scrutins uninominaux sur deux cent vingt-cinq. Russie unie n’a pas présenté de candidat dans dix-huit circonscriptions, favorisant par là même d’autres partis, afin d’encourager ses partenaires-adversaires au parlement, qui soutenaient le Kremlin sur des aspects essentiels de la politique étrangère, de la défense et de la sécurité (consensus qui s’est pleinement maintenu durant toute l’année 2016). Si Russie unie avait eu des candidats dans ces circonscriptions, elle aurait pu élargir encore sa représentation à l’assemblée. Dans une circonscription de Moscou, son candidat s’est désisté après l’enregistrement, octroyant ainsi un mandat de plus au parti communiste. Les candidats de Russie unie n’ont donc été battus que dans des scrutins uni-nominaux, au profit, à chaque fois, de représentants du parti communiste.
Ces brillants résultats se sont néanmoins accompagnés d’un « signal d’alarme » dû à l’état dépressif des électeurs. Les 54,2 % de Russie unie représentaient 28,5 millions d’électeurs, les 49,3 % de 2011, 32,3 millions. Notons pourtant que les dernières élections législatives se sont déroulées plus « proprement » que les précédentes, avec nettement moins d’infractions. En même temps, les électeurs de Crimée et de Sébastopol sont venus s’ajouter en 2016 et les résultats de Russie unie en Crimée se sont révélés largement supérieurs à la moyenne nationale : 72 %.
Les protestations sociales se sont exprimées principalement dans le vote pour le parti communiste et pour Russie juste, qui ne faisaient pas mystère de leurs positions paternalistes. Disposant d’un puissant réseau d’organisations régionales (même s’il se réduit au fil du temps) et d’un électorat assez discipliné, les communistes étaient certains d’entrer à la Douma. Mais cette garantie même a posé un problème à leur parti qui, sûr de lui, a mené une campagne molle, sans idées nouvelles, pour, finalement, obtenir un résultat inférieur à ce qu’il attendait (13,3 %, contre 19,1 % aux précédentes élections). De fait, les communistes ont été les grands perdants du scrutin.
Les résultats de Russie juste ont également chuté, passant de 13,2 % à 6,2 %. En pourcentage, la baisse est encore plus importante que chez les communistes : à la troisième place lors du dernier scrutin, le parti se retrouve aujourd’hui à la quatrième. Il faut toutefois comparer ce résultat aux attentes de Russie juste : nombre d’experts ne voyaient pas ce parti entrer au parlement. Ayant pris un virage conservateur et soutenant toutes les décisions du pouvoir en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité, Russie juste s’est privée du soutien des électeurs « évolués » des grandes villes, qui lui avaient assuré son rush final en 2011. Le parti a cependant pu se maintenir au parlement parce qu’il est connu à l’échelle nationale (il y avait déjà été représenté deux fois auparavant) et grâce à son influence dans une série de régions où des figures politiques d’envergure comptent parmi ses membres (régions de Sverdlovsk, Tcheliabinsk, Astrakhan, Iaroslavl, ainsi que nombre d’autres « sujets » de la Fédération).
La situation du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR) est plus complexe : il a manqué de peu, avec 13,1 %, la deuxième place occupée par les communistes. C’est un succès évident pour le parti de Vladimir Jirinovski (il avait obtenu 11,6 % au précédent scrutin et il est le seul parti – Russie unie exceptée – à améliorer son score par rapport à 2011). Le LDPR a bénéficié du soutien non seulement des électeurs paternalistes et des jeunes – électorat traditionnel pour lui –, mais aussi d’une partie de la population « évoluée » des grandes villes. Le LDPR est un parti anticommuniste, dont le leader a du succès (le facteur succès-réussite est important pour cet électorat) et dont les slogans, marginaux jusqu’alors, sont devenus mainstream ces dernières années. Voter pour ce parti est une forme de protestation contre Russie unie et la bureaucratie, tout en demeurant loyal vis-à-vis de Vladimir Poutine et du système ; on peut ainsi garder ses distances à l’égard du pouvoir, sans s’y opposer.
Les autres partis ne sont pas entrés au parlement : les électeurs n’ont pas été enthousiasmés par les alternatives extraparlementaires à Russie unie, tant libérales (Iabloko, PARNAS) que patriotiques (Rodina). Les résultats de Iabloko ont été bien inférieurs à ceux de 2011, qui n’étaient déjà pas brillants (1,99 % contre 3,4 %). La liste électorale de ce parti était pourtant nettement plus solide qu’il y a cinq ans (elle incluait pour la première fois des libéraux connus tels Dmitri Goudkov et Vladimir Ryjkov). À Moscou et Saint-Pétersbourg, Iabloko a obtenu, respectivement, 9,5 % et 9 % des suffrages. Néanmoins, comparés à ces résultats, ceux de PARNAS ont tout d’un effondrement : 0,73 % dans l’ensemble du pays et 2-2,5 % à Saint-Pétersbourg et Moscou. Si Iabloko est parvenu à préserver son identité libérale et à éviter un schisme postélectoral, PARNAS a pris, durant la campagne, un « virage » brutal vers le nationalisme, entraînant un grave conflit en son sein à la veille des élections et le départ d’une série de militants en vue après le scrutin. Ajoutons que la tentative de prendre les nationalistes pour alliés a échoué, y compris dans une région bien particulière, celle de Saratov, représentée par Igor Maltsev, qui figurait dans les trois premiers de la liste et est lié aux nationalistes. PARNAS y a obtenu 0,36 % des voix, soit moins que la moyenne du pays.
L’effondrement des libéraux s’explique de plusieurs façons. Le facteur « post-Crimée » continue d’agir (notamment en province, où la popularité des libéraux qui refusent de reconnaître la légalité du rattachement de la Crimée, a chuté plus encore que dans les « capitales »). Il y a aussi la « déprime » des électeurs libéraux potentiels, qui ne croient pas au succès des partis présents de ce côté du spectre politique ; le fait que cet électorat est lassé de ses leaders – Grigori Iavlinski et Mikhaïl Kassianov –, très « usés moralement » ; la faiblesse de ces partis hors des deux « capitales », même si l’on ne prend pas en compte le facteur « Crimée ». Il est à noter que dans la région de Pskov, généralement « non libérale », où Iabloko était représenté par un homme politique puissant, Lev Chlosberg, le parti a obtenu 4,1 % des voix. Mais il s’agit plutôt de l’exception qui confirme la règle.
Des « purges » limitées au sein de l'appareil d'État
Du côté de l’élite, la réduction du nombre d’« intouchables » – fonctionnaires bénéficiant d’une immunité informelle qui leur permet de ne pas être « débarqués » sans une compensation convenable – s’est poursuivie en 2016. La plupart appartiennent, pourrait-on dire, au cercle des Pétersbourgeois, autrement dit au groupe des anciens collègues de Vladimir Poutine au KGB, à la mairie de la « capitale du Nord » ou dans les milieux d’affaires de cette ville. Il est vraisemblable que le président se refuse à répéter l’expérience de Leonid Brejnev qui, répugnant à se séparer de ses anciens compagnons de lutte, s’était retrouvé à la tête d’un système gérontocratique, lequel n’avait pas tardé à perdre son efficacité.
Ces départs forcés ont eu un précédent en 2015, où Vladimir Iakounine était contraint de quitter la direction des Chemins de fer de Russie. On le conviait alors au Conseil de la Fédération en tant que membre « ordinaire », ce qui ne lui convenait pas, mais aucune proposition plus séduisante ne lui était faite. En 2016 était écarté, dans des circonstances analogues, Viktor Ivanov, autre compagnon de longue date du président de la Fédération, directeur, depuis 2008, du Service fédéral de contrôle des narcotiques. Il refusait, lui aussi, le poste nettement moins important de vice-ministre de l’Intérieur et « disparaissait » de l’élite dirigeante. Une nuance à signaler : le départ de Viktor Ivanov s’est accompagné de la suppression de son service, rattaché au ministère de l’Intérieur. Au même moment, un représentant influent des ministères « de force », Konstantin Romodanovski, à la tête du Service fédéral des migrations (également « avalé » par le ministère de l’Intérieur) était, lui aussi, remercié (il est vrai qu’il n’avait jamais œuvré à Saint-Pétersbourg).
Un autre « ancien de Piter », Evgueni Mourov, directeur du Service fédéral chargé de la protection des hautes personnalités (FSO), était, à son tour, contraint de partir. Mais le départ le plus retentissant concerne Sergueï Ivanov, qui, de chef de l’administration présidentielle, était muté au poste nettement moins prestigieux et influent de représentant spécial du président pour les questions liées à l’environnement et aux transports.
Signalons que ces figures proches de Vladimir Poutine sont écartées de manière assez douce, sans arrestation ni procédure pénale. Certes, les médias ont attiré l’attention sur l’arrestation d’un important homme d’affaires de Saint-Pétersbourg, Dmitri Mikhaltchenko, lié à l’ancien directeur du FSO, mais il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’une figure d’envergure fédérale. Le seul représentant des ministères « de force » de Piter à avoir été appréhendé est le général du FSO Guennadi Lopyrev, qui dirigeait cette structure dans le Caucase. Collègue d’Evgueni Mourov à Saint-Pétersbourg dans les années 1990, il n’était, dans la « communauté de Piter », qu’une figure périphérique et n’avait pas, semble-t-il, d’accès direct au président.
Dans le même temps, le nombre d’affaires pénales retentissantes augmentait brusquement aux échelons suivants de l’élite. Notons, en outre, qu’elles concernaient à la fois des fonctionnaires réputés libéraux (le ministre de l’Économie Alexeï Oulioukaïev, le gouverneur de Kirov Nikita Belykh) et des représentants du Comité d’enquête ou du ministère de l’Intérieur. Jamais, depuis le début de l’ère postsoviétique, un ministre en exercice ne s’était ainsi retrouvé derrière les barreaux. On peut imaginer que ces actions d’une grande brutalité ont pour origine, au premier chef, une lutte au sein de l’appareil du pouvoir, sachant que le schéma standard d’une rivalité entre libéraux et représentants des ministères « de force » ne fonctionne que partiellement ici.
De fait, le sort d’Alexeï Oulioukaïev est lié de la façon la plus étroite à la privatisation de Rosneft, effectuée d’après le scénario d’Igor Setchine qui assurait à ce dernier de garder le contrôle réel de la compagnie. Le bloc économique du gouvernement a perdu la lutte d’appareil, ce qui a favorisé l’arrestation d’Alexeï Oulioukaïev. En même temps, il ne faudrait pas y voir une simple « vengeance » : d’autres fonctionnaires de haut rang, ayant pris des positions non moins (voire plus) fermes sur cette affaire, non seulement sont restés en liberté mais ont conservé leurs postes. Si le gouvernement ressort affaibli de cette histoire, cela ne vient pas uniquement de l’arrestation d’un ministre : de fait, le cabinet est désormais tenu à l’écart des prises de décision en ce qui concerne la privatisation majeure de l’année. Igor Setchine, en revanche, en sort renforcé, lui que l’on considère comme issu des ministères « de force » dont il porte l’idéologie. Cela ne l’empêche pas, pragmatiquement, de coopérer également avec les actionnaires britanniques de Rosneft, ainsi qu’avec la compagnie américaine Exxon, y compris pendant les nombreuses années où celle-ci était dirigée par Rex Tillerson.
Précisons toutefois qu’il n’y a pas le moindre facteur idéologique – fût-il partiel – dans les arrestations de représentants des ministères « de force » ; il s’agit ici d’une concurrence de structures et de figures dotées d’un statut important. 2016 a affaibli les positions du Comité d’enquête, où plusieurs fonctionnaires au grade équivalant à celui de général ont été appréhendés lors d’une opération menée par le FSB. Les médias ont alors évoqué une possible réorganisation complète du Comité, voire sa disparition, mais rien de cela ne s’est produit. Vladimir Poutine se montre fidèle à son style politique : ses décisions concernant l’appareil sont le plus souvent imprévisibles pour ceux qui ne sont pas du sérail.
Par ailleurs, les « purges » dans les structures du pouvoir restent limitées : l’appareil bureaucratique est le support du pouvoir en Russie, lequel n’a aucun intérêt à en saper la stabilité. Ces affaires qui font du bruit ont vocation à montrer qu’on veut, au sommet, des collaborateurs plus efficaces et disciplinés ; par ailleurs, elles sont pour l’opinion une confirmation de plus de la corruption systémique de l’appareil d’État. Aussi peut-on penser que les arrestations se poursuivront en 2017, mais de façon sans doute moins « retentissante ».
En 2016, une série de fonctionnaires ont été promus. L’arrivée d’Anton Vaïno à la tête de l’administration présidentielle témoigne d’une tendance à placer aux postes clefs une nouvelle génération d’administrateurs, pour lesquels Vladimir Poutine n’est pas un « vieux camarade », mais une incontestable autorité. Le nouveau directeur du FSO, Dmitri Kotchnev, qui n’a aucun lien avec son prédécesseur, Evgueni Mourov, en est une illustration.
Au premier abord, la nomination de Viktor Zolotov à la tête de la Garde nationale, recréée sur la base des troupes du ministère de l’Intérieur, n’entre pas dans ce cadre : il ne peut être qualifié d’homme « nouveau » dans l’entourage présidentiel (aussitôt après l’accès de Vladimir Poutine au pouvoir, Viktor Zolotov prenait la tête de sa protection rapprochée). Mais il convient ici de s’attarder sur une nuance qui a son importance. Viktor Zolotov n’a jamais été un « collègue » de Vladimir Poutine, leurs relations ont toujours été d’ordre strictement hiérarchique. Simplement, le président de la Fédération est pleinement convaincu du dévouement personnel de Viktor Zolotov.
L’arrivée de quelques représentants des structures « de force » – issus de la garde présidentielle – à la tête de régions (celles de Toula, Iaroslavl, Kaliningrad) a induit l’hypothèse que les Services de sécurité du président (et non plus seulement les ministères « de force ») devaient devenir, à quelque chose près, la réserve de cadres du pouvoir. Une conclusion un peu hâtive, d’autant que l’un des nouveaux nommés, Evgueni Zinitchev, qui faisait office de gouverneur de Kaliningrad, a montré qu’il n’était pas prêt pour l’action politique et publique, ce qui lui a valu au bout de deux mois, à sa demande, d’être transféré au poste de directeur adjoint du FSB.
La nomination du général Alexeï Dioumine au poste de gouverneur de Toula a également été, dans une grande mesure, le fait du « hasard » : à la fin de 2015, il devenait vice-ministre de la Défense mais se révélait dans l’incapacité de s’intégrer à l’équipe soudée de Sergueï Choïgou et était muté à une fonction civile qui venait de se libérer. Les perspectives d’Alexeï Dioumine peuvent, au demeurant, être des plus séduisantes : certains observateurs lui prédisent même le rôle de successeur de Vladimir Poutine. En tout état de cause, cet héritier potentiel devra faire la preuve à la fois de sa loyauté et de son efficacité en tant que dirigeant au niveau fédéral.
Simultanément, il importe de prêter attention au renforcement du ministre « civil » des Finances Anton Silouanov. Depuis l’époque d’Alexeï Koudrine, le président est impressionné par les idées de stabilité macroéconomique et de discipline financière. Cependant, en période de crise, Silouanov se montre un administrateur loyal et équilibré, à la différence d’Oulioukaïev, dont les émotions commençaient à « déborder ». En outre, le ministre réussit à maintenir le financement de postes budgétaires politiquement importants pour Vladimir Poutine, notamment les programmes de développement du complexe militaro-industriel. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que Silouanov ait pu faire nommer son adjoint, Maxime Orechkine, au poste de ministre du Développement économique, vacant après l’arrestation d’Oulioukaïev.
Facteur extérieur et réformes intérieures
En 2016, un grand rôle a été joué dans la vie du pays par le facteur extérieur. L’élite russe, dans sa majorité, a accueilli avec enthousiasme l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, escomptant s’entendre avec lui sur un partenariat dans la lutte contre le terrorisme. Un accord de ce type permettrait, en effet, à la Russie de remettre à flot ses relations avec les Américains, de renforcer ses positions sur la scène internationale et, de surcroît, d’assurer au moins partiellement ses intérêts en Ukraine, dans l’ensemble de l’espace post-soviétique et en Syrie, ainsi que d’obtenir une levée ou un affaiblissement sensible des sanctions du côté des États-Unis.
Néanmoins, en admettant que tout se déroule selon le scénario optimiste du pouvoir russe – ce qui, à l’été 2017, semblait de plus en plus douteux –, cela ne peut en rien garantir un développement effectif du pays. Bien plus, la politique énergétique du président américain est susceptible de déclencher une nouvelle chute des prix du pétrole, avec pour conséquence d’aggraver la crise de l’économie des matières premières en Russie, ce qui rappelle aussitôt la triste expérience des années 1980. En même temps, l’arrivée de Donald Trump a favorisé une baisse des points de vue alarmistes liés à une éventuelle escalade de l’affrontement avec les États-Unis en cas de victoire d’Hillary Clinton, ce qui peut contribuer à réduire le rôle du complexe militaro-industriel au sein du pouvoir russe. Un éventail de possibilités s’ouvre donc pour diminuer le degré de mobilisation et faire pencher le centre de gravité de la politique de défense vers un développement pacifique.
Dans ce contexte, l’agenda des réformes, préparé en 2016 à la demande du président sous la conduite d’Alexeï Koudrine, a plus de chances de se concrétiser. Il s’agit notamment d’accorder une plus grande priorité à la sphère publique (dont l’enseignement et la santé) par rapport à la défense. Toutefois, le choix potentiel en faveur des propositions d’Alexeï Koudrine ne signifie pas qu’elles seront pleinement réalisées : entre les programmes économiques et la gestion concrète, la distance est considérable et rien n’indique qu’elle puisse être franchie (la privatisation de Rosneft est une éclatante illustration de la « gouvernance au coup par coup »). Quant à d’éventuels changements politiques en vue d’une libéralisation, le pouvoir se montre, en l’occurrence, d’une prudence extrême, désirant avant tout réduire autant que possible les risques. Sur ce plan, la priorité accordée à la sécurité s’est maintenue durant l’année 2016 et tout laisse penser qu’elle restera d’actualité en 2017.