Les relations entre Paris et Moscou sont-elles à la veille d’un redémarrage ? Plusieurs éléments accréditent en tout cas l’hypothèse d’une (nouvelle) tentative en ce sens. Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev se rendra en France le 24 juin pour une visite au cours de laquelle il rencontrera notamment son homologue Edouard Philippe. Il s’agit des premiers entretiens au niveau des chefs de gouvernements depuis la visite de Jean-Marc Ayrault à Moscou fin octobre 2013. Les discussions, qui se dérouleront en partie au Havre, seront essentiellement axées sur l’économie. Il se murmure également qu’Emmanuel Macron – président en exercice du G7 – envisagerait de se rendre à Moscou courant juillet pour y rencontrer Vladimir Poutine. Le chef de l’État français a par ailleurs transmis le 18 avril dernier par l’intermédiaire de son envoyé spécial Jean-Pierre Chevènement une lettre de cinq pages au président russe contenant, semble-t-il, de nombreuses propositions visant à sortir les relations bilatérales – et, au-delà, russo-européennes – de l’ornière dans laquelle elles se trouvent depuis le printemps 2014.
Ces initiatives s’inscrivent dans un contexte politique mitigé. Certes, plusieurs signaux positifs ont été relevés ces derniers temps. La France a ainsi joué un rôle déterminant dans la recherche du compromis visant à dénouer la crise entre la Russie et le Conseil de l’Europe. À la suite de la précédente visite d’Emmanuel Macron à Moscou le 15 juillet 2018, l’antagonisme sur la question syrienne s’est quelque peu estompé (ce qu’avait illustré l’opération humanitaire commune dans la Ghouta orientale montée dans la foulée) sans toutefois que les divergences de fond disparaissent. Puis, en décembre 2018, s’est tenu à Paris le CEFIC (Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe) coprésidé par Bruno Le Maire et son homologue Maxime Orechkine, tandis que le 18 avril dernier, une douzaine de grands patrons français étaient reçus au Kremlin par Vladimir Poutine. Le Dialogue de Trianon, structure créée à la suite de la première rencontre Macron-Poutine à Versailles en mai 2017 afin de favoriser les échanges entre sociétés civiles française et russe, a quant à lui commencé à déployer ses activités dans de nombreux domaines, en particulier la culture, les échanges universitaires et le soutien aux initiatives croisées des jeunes des deux pays.
Mais les vents contraires ont été puissants et quasi incessants au cours de la même période. L’affaire Skripal et ses conséquences (expulsions croisées d’agents diplomatiques et annulation de la visite d’Emmanuel Macron au stand russe du Salon du livre), les frictions autour de la Centrafrique, la crise du détroit de Kertch et le placement en détention provisoire à Moscou du banquier français Philippe Delpal ont été autant de jalons noirs dans la relation bilatérale. La position de Paris sur la nouvelle directive gazière européenne – qui complique potentiellement la mise en œuvre du projet de gazoduc Nord Stream 2, auquel la société française Engie est pourtant partie prenante – a suscité l’incompréhension à Moscou. Le traitement de la crise des « gilets jaunes » par les médias russes a conforté une bonne partie de l’actuelle majorité en France dans son hostilité a priori envers la Russie.
Quels sont les objectifs du président Macron ? L’analyse qui est faite à l’Elysée est que l’élection de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine peut potentiellement faciliter la reprise du processus politique de règlement de la crise du Donbass, que l’administration Porochenko avait de fait enterré dès l’automne 2015. Il semblerait également que la France souhaite mettre à profit ses présidences du G7 et du Conseil de l’Europe (ainsi peut-être que la passivité allemande actuelle) pour prendre en main la question russe. L’argument selon lequel il convient de ne pas jeter Moscou dans les bras de Pékin semble aussi trouver un écho plus important à Paris, où l’on convient volontiers que la Russie est « incontournable » pour résoudre les grandes crises du monde. Ce sont donc, on le voit, des considérations négatives en creux plus qu’un élan gaullo-mitterrandien – ce que le président Macron n’est pas – qui sous-tendent les récentes initiatives de Paris. Cela en atténue la portée mais beaucoup s’en contenteront – ou, à l’inverse, s’en inquièteront, notamment dans les cercles néo-conservateurs et occidentalistes désormais dominants au Quai d’Orsay et parmi les hauts fonctionnaires civils du ministère de la Défense.
Quelles sont les chances de réussite des ouvertures françaises ? Beaucoup dépendra de la réponse de la Russie. Le Kremlin saisira-t-il la perche ou continuera-t-il à considérer que le temps joue pour lui ? Les signaux récents sur l’Ukraine sont équivoques (décision de délivrer des passeports russes aux citoyens ukrainiens en mai mais ton assez ouvert du ministre russe de l’Énergie Alexandre Novak sur les questions gazières la semaine dernière). Rien n’est joué à ce stade, et de nombreux facteurs – notamment l’évolution des relations entre Moscou et Washington – pèseront lourdement. Les marges de manœuvre du nouveau chef de l’État ukrainien constituent une autre incertitude, de même que la capacité – le cas échéant – du président français à entraîner les autres États de l’Union européenne dans une logique de détente avec Moscou. Mais le jeu en vaut assurément la chandelle.