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Retrait américain de Syrie : bonne ou mauvaise nouvelle pour Moscou ?

Igor Delanoë Igor Delanoë
21 décembre 2018
Le président américain Donald Trump a annoncé mercredi 19 décembre le retrait des forces américaines de Syrie. Dans les heures qui ont suivi, on apprenait que le contingent américain – dont les effectifs sont évalués à environ 2 000 hommes – serait évacué sous 60 à 100 jours. La décision de la Maison-Blanche, annoncée après un échange téléphonique entre le président Trump et son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan, a pris par surprise l’ensemble de l’establishment américain autant qu’elle a sidéré les membres de la coalition anti-État islamique (EI) dirigée par Washington, surtout ceux dont les forces spéciales sont présentes sur le territoire syrien.

En annonçant le retrait américain de Syrie, Donald Trump poursuit son travail de dissolution de l’héritage Obama tout en remplissant une promesse faite à plusieurs reprises, y compris lors de sa campagne électorale. À travers cette prise de décision, le président américain est par ailleurs allé à l’encontre de l’avis de ses proches conseillers, comme le Secrétaire d’État Mike Pompeo et le conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, tous deux connus pour leurs positions foncièrement hostiles à l’Iran. Ces « faucons » se sont prononcés à maintes reprises pour le maintien de la présence américaine à l’Est de l’Euphrate, dans une logique de « néo-containment » de Téhéran au Moyen-Orient. L’annonce faite par Donald Trump a surpris jusque dans son propre camp, puisque les Républicains ont accueilli plus que froidement la décision de la Maison-Blanche. Afin de justifier ce retrait, Donald Trump a mis en avant le fait que l’EI a été défait, alors que l’activité résiduelle de Daech dans la région de Deir ez-Zor demeure bien réelle.
D’autant plus que, si les États-Unis ont renoncé à leur présence militaire en Syrie, ils conservent toujours la possibilité d’y mener des frappes depuis les autres bases dont ils disposent dans la région.
Ce retrait constitue-t-il une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la Russie ? Moscou n’a eu de cesse ces derniers mois de dénoncer la présence des forces américaines et de celles de la coalition sur le sol syrien. Si elles quittent vraiment la Syrie, les forces américaines évacueront les puits de pétrole qu’elles tiennent, autorisant ainsi leur retour dans le giron du régime qui y puisera des ressources indispensables à l’effort de reconstruction. Le départ annoncé des soldats américains laisse les Kurdes – avec qui Washington a tissé une intense coopération militaire en Syrie –, orphelins, car bientôt privés du « parapluie » américain. Afin d’assurer leur salut, ces derniers ne devraient avoir d’autres alternatives que de se tourner, certes contre leur gré, vers le régime syrien, à la grande satisfaction de la Russie. À défaut, ils courent le risquent de se retrouver dans un face à face fatal avec la Turquie et ses affidés de l’Armée nationale syrienne (ex-Armée syrienne libre et consorts). Enfin, la diminution de l’empreinte militaire des États-Unis en Syrie devrait mécaniquement entraîner un amenuisement du risque d’accrochage entre forces russes et américaines.

La décision de Donald Trump crée néanmoins un certain nombre de défis et d’incertitudes pour Moscou. En évacuant la rive orientale de l’Euphrate, les Américains créent un vide stratégique qui risque d’aiguiser l’appétit de conquête du régime et des Iraniens. Moscou, qui est parvenue à stabiliser la situation militaire en Syrie et à trouver un arrangement précaire à Idlib avec Ankara, cherchait à concerner Damas et Téhéran au sujet du règlement politique de la crise. Leur attention toute relative vis-à-vis du processus de Genève risque d’être désormais davantage tournée vers des objectifs militaires qui s’insèrent dans leur agenda maximaliste. De manière assez circonstanciée, la décision de Donald Trump est intervenue alors que les ministres des Affaires étrangères russe, turc et iranien se réunissaient en Suisse, à l’invitation de Staffan de Mistura, afin d’annoncer la première réunion du Comité constitutionnel syrien – dont la composition doit cependant encore être finalisée – pour le début de l’année 2019. L’évacuation des forces américaines risque donc de compromettre l’agenda politico-économique que Moscou tentait de promouvoir sur le dossier syrien depuis plusieurs mois. D’autant plus que, si les États-Unis ont renoncé à leur présence militaire en Syrie, ils conservent toujours la possibilité d’y mener des frappes depuis les autres bases dont ils disposent dans la région. Par ailleurs, Washington a menacé de sanctions toute entreprise russe ou iranienne qui prendrait part à l’effort de reconstruction dans les territoires contrôlés par Damas.

Sur le plan militaire, maintenir le contrôle sur la partie orientale de la Syrie va exiger des effectifs considérables que le régime est dans l’incapacité de fournir sans compromettre ses arrières, surtout dans l’optique d’un embrasement toujours possible à Idlib. La participation des forces pro-iraniennes paraît dès lors indispensable, d’autant plus que les djihadistes de l’EI demeurent très actifs dans le Sud-est de la Syrie en particulier. Enfin, le déroulé de cette prise de décision suggère a minima une entente entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdoğan. En plus de leur entretien téléphonique qui a précédé l’annonce du président américain, on apprenait que Washington autorisait la vente de système anti-missiles Patriot à Ankara, pour 3,5 milliards de dollars. Alors que la Turquie s’apprête à lancer une nouvelle opération afin de chasser les combattants kurdes de la rive occidentale de l’Euphrate, les objectifs d’Ankara pourraient être revus à la hausse et concerner maintenant le Nord-est de la Syrie, bientôt exempt de présence militaire occidentale. Toute la question pour la Russie est désormais d’évaluer le plus justement possible quelle sera la conduite des Turcs en Syrie. Quelles peuvent être les répercussions de la décision américaine sur la situation à Idlib ? Washington et Ankara se sont-ils entendus sur un agenda en Syrie ?
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