Alors que Donald Trump a pris le 8 mai dernier la décision de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien – ou JCPOA – signé à l’été 2015, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les conséquences de ce retrait. Cette décision s’inscrit dans la volonté affirmée par le président Trump de détruire l’héritage de Barack Obama, et lui permet aussi de tenir une promesse formulée à maintes reprises lors de la campagne présidentielle. Enfin, elle exprime le retour de l’objectif de « regime change » en Iran, qui pourrait être induit, vu de Washington, par la réinstauration des sanctions économiques.
Pour Moscou, l’enjeu est désormais de minimiser les conséquences négatives liées à la décision du président américain. La Russie, tout comme les Européens, souhaite que Téhéran continue de se conformer à l’application du JCPOA, et notamment au régime de vérification appliqué par l’AIEA. C’est en substance le message porté par le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Riabkov, qui s’est rendu en Iran dans les heures qui ont suivi l’annonce faite par Donald Trump. Au demeurant, la disparition des mécanismes incitatifs que représentaient la levée des sanctions euro-américaines et les perspectives d’investissements occidentaux dans l’économie iranienne, constitue un défi pour le régime iranien. Les conservateurs modérés, dont le président Hassan Rohani, avaient en effet largement mis en avant ces avantages pour justifier la nécessité de signer le JCPOA. En se retirant de l’accord, Donald Trump donne raison a posteriori aux éléments les plus conservateurs à Téhéran. Le retour des sanctions menacent directement des contrats phares signés par des entreprises européennes comme Airbus ($20 milliards), mais aussi américaines, comme Boeing ($16,6 milliards) avec l’Iran. La Russie ne peut que difficilement se placer en position d’acteur économique de poids sur le marché iranien : avec $1,7 milliard d’échanges en 2017, le commerce bilatéral russo-iranien est déclinant. Il ne parvient en tout cas pas à retrouver le niveau qui était le sien à la fin des années 2000, lorsqu’il se situait au-dessus des $3 milliards d’échanges annuels. En dehors de quelques contrats clefs dans le secteur de l’armement, dans celui des infrastructures et dans l’énergie, les acteurs économiques russes n’ont pas vocation à remplacer le potentiel d’investissement des Européens. Dès lors, vu de Moscou, l’Europe dispose d’un rôle particulier à jouer afin de maintenir l’Iran dans le régime du JCPOA, en jouant la carte économique. Or, en dépit des tentatives d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel d’obtenir de Washington une forme de « passe-droit » pour leurs milieux d’affaires respectifs, le plus probable reste que le retour des sanctions américaines ferme une parenthèse ouverte sous l’administration Obama pour le business occidental en Iran. En toute hypothèse, le régime iranien devrait adopter une posture d’observation d’ici à l’entrée en vigueur des sanctions dans 6 mois. En fonction de l’attitude des Européens vis-à-vis d’elles, il choisira alors ou non de se retirer du JCPOA.
L’autre accord que la République islamique pourrait remettre en question est celui signé fin 2016 entre les pays de l’OPEP et la Russie, dit « OPEP+ ». Toutefois, jusqu’à ce jour, cet accord a plus profité qu’autre chose à Téhéran : le prix du brut est revenu au-dessus des $75, un niveau qu’il n‘avait plus connu depuis la fin 2014. Cette dynamique de croissance des prix du pétrole, qui est à l’œuvre depuis plusieurs mois, est largement soutenue par les mécanismes de l’accord « OPEP+ » qui visent à limiter la production de pétrole des pays signataires, même si celle-ci demeure élevée. Le retour des sanctions américaines signifie concrètement que l’Iran ne pourra plus vendre son brut sur le marché international, ce qui revient à retirer un peu plus de 1 millions de barils/jour, la République islamique en ayant produit en moyenne 3 millions/jour en 2017. Dans cette affaire, les perdants sont, outre l’Iran, les clients asiatiques de Téhéran qui absorbaient 62% des exportations de pétrole iranien, au premier rang desquels se trouve la Chine (l’Europe importait les 38% restants). Aussi, la décision américaine de réimposer des sanctions sur l’Iran pourrait être interprétée, plus largement, comme une mesure supplémentaire s’inscrivant dans la logique de guerre économique contre la Chine auquel le président Trump semble adhérer. À ce stade, Téhéran n’a pas intérêt à sortir de l’accord « OPEP+ » qui lui garantit, comme aux autres signataires, un prix fort pour son brut. Toutefois, dans 6 mois, avec l’entrée en vigueur des sanctions américaines, Téhéran pourrait chercher à monnayer son maintien dans l’accord, surtout si les autres pays souhaitent sa reconduction pour 2019. La Russie retrouverait alors le rôle clef de médiateur entre les Iraniens et les Saoudiens qui fût le sien lors de la mise au point de l’accord, fin 2016. Le prix du maintien de Téhéran dans l’accord « OPEP+ » pourrait être la livraison aux forces iraniennes par Moscou de matériels militaires avec un rabais.
Au plan régional, le retrait américain du JCPOA accélère la fusion de la crise syrienne avec l’enjeu nucléaire iranien. La disparition de la « carotte économique » des investissements occidentaux de même que la posture ouvertement belliqueuse adoptée par l’administration américaine à l’égard de Téhéran pourrait se traduire par un accroissement de sa pression militaire dans le Sud de la Syrie, près de la frontière israélienne, mais aussi au Yémen. À ce titre, il paraîtra d’autant plus important pour les Israéliens comme pour les Saoudiens de maintenir le dialogue avec la Russie qui demeure un interlocuteur unique compte tenu de ses relations avec Téhéran. Si la décision américaine de quitter le JCPOA constitue une épreuve pour les Russes comme pour les Européens, elle tend cependant à faire un peu plus du cas iranien un point de convergence russo-européen. La confiance perdue depuis 2014 entre Moscou et des pays de l’UE, au premier rang desquels figurent la France et l’Allemagne, pourrait trouver avec l’Iran post-JCPOA un terrain propice à sa lente reconstruction. En ce cas, la décision américaine n’aura pas été prise en pure perte pour tout le monde.