Yann Breault,
co-directeur de l'Observatoire de l'Eurasie du Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation, Université du Québec à Montréal (UQAM), Canada
1. Comment comprendre les récentes tensions bilatérales ?
Les tensions actuelles sont liées à l’adoption en Russie d’une nouvelle taxe sur l’extraction des ressources naturelles, en lieu et place de l’actuel tarif sur les exportations, dont la Biélorussie, en tant que membre de l’Union douanière, était largement exemptée. Minsk exige des compensations pour les pertes encourues, qu’elle estime à plus de 10 milliards de dollars sur les six prochaines années, et menace d’augmenter ses frais de transit.
Pour compliquer les choses, une contamination au chlorure est survenue en avril 2019 dans l’oléoduc Droujba qui traverse le territoire biélorusse et qui, au passage, alimente ses deux grandes raffineries. Les détails sur l’origine de l’incident ne sont pas dévoilés, mais on sait que les dommages causés à la chaîne de transport et de transformation sont majeurs. L’impact financier est ici de moindre envergure, mais là encore Minsk doit lutter pour obtenir réparation.
Les négociations s’annonçaient acrimonieuses en raison de la personnalité de l’ambassadeur russe Mikhaïl Babitch, qui depuis sa nomination à l’été 2018 n’avait cessé de critiquer publiquement les positions biélorusses. Sa carrière au KGB, son expérience comme chef du gouvernement en Tchétchénie et sa proximité avec Vladimir Poutine faisaient même craindre à certains qu’une opération de vassalisation du pays était en cours. À coup sûr, Loukachenko a été irrité par ses rencontres avec des opposants politiques. Il a toutefois demandé et obtenu son départ, ce qui semble indiquer que Moscou est à la recherche d’un compromis avec Minsk.
2. Le projet d'union Russie-Biélorussie a-t-il une chance de voir le jour ?
Un État unifié de la Russie et de la Biélorussie existe et fonctionne déjà depuis 20 ans. Il dispose d’un budget annuel de 75 millions de dollars qui sert à financer des projets de recherche et de développement conjoints. Sa création a permis de perpétuer l’image d’une solidarité particulière entre ces deux peuples qui ont combattu ensemble l’Allemagne nazie et qui partagent encore l’un pour l’autre un vif sentiment de fraternité. Il joue un rôle symbolique majeur.
Malgré le programme ambitieux défini dans le traité fondateur, il n’y a toutefois aucune chance pour que ce rôle soit étendu. La différence de taille entre les deux États ne permet pas d’envisager une intégration politique au sein d’une structure fondée sur un principe d’égalité souveraine entre ses membres. Il est farfelu d’y voir un moyen potentiel pour Vladimir Poutine de se maintenir au pouvoir au terme de son quatrième et dernier mandat présidentiel.
3. Quelle est aujourd'hui la marge de manœuvre de Minsk dans sa relation avec Moscou ?
Elle est limitée. Pour sécuriser son approvisionnement énergétique et son accès au marché russe, la Biélorussie doit continuer d’œuvrer à l’intégration économique au sein de l’Union économique eurasiatique. Il n’est pas non plus question pour elle de renier son statut de meilleur allié de la Russie. Ce n’est pas un choix stratégique, mais le corollaire essentiel de son identité nationale.
Quoique contingente des relations entre la Russie et l’Ukraine, cette marge de manœuvre n’est tout de même pas négligeable. Le pays n'a pas reconnu l'annexion de la Crimée et a réussi à se désolidariser de la Russie dans l’application des contre-sanctions économiques qui touchent des produits ciblés en provenance d’Europe. La Biélorussie est même parvenue à s’opposer à l’installation sur son territoire d’une base aérienne russe, malgré les demandes pressantes de Moscou en ce sens. La Russie pourrait être furieuse pour moins, mais compte tenu du conflit avec l’Ukraine, elle ne peut s’offrir le luxe d’une confrontation supplémentaire avec la Biélorussie, ce dont profite Loukachenko en jouant habilement un rôle de médiation entre Moscou et Kiev.