La séquence politique ouverte le 15 janvier avec l’Adresse annuelle de Vladimir Poutine à l’Assemblée fédérale et la nomination de Mikhaïl Michoustine en remplacement de Dmitri Medvedev au poste de Premier ministre s’est poursuivie le 21 janvier avec l’annonce de la composition du nouveau gouvernement. Plusieurs points méritent selon nous d’être relevés :
- Les principaux mouvements concernent les vice-Premiers ministres. Sept adjoints de Dmitri Medvedev ne sont pas reconduits. Il s’agit d’Anton Silouanov, Maxime Akimov, Dmitri Kozak, Alexeï Gordeev, Olga Golodets, Vitali Moutko et Konstantin Tchouïtchenko. De sources concordantes, Dmitri Kozak devrait prochainement rebondir à l’administration présidentielle. Maxime Akimov quant à lui est pressenti à la tête de la Poste de Russie. Anton Silouanov – qui était le seul 1er vice-Premier ministre dans l’ancien gouvernement – est rétrogradé ; il garde toutefois son portefeuille des Finances, avec un périmètre élargi. Il a placé un de ses proches, Anton Kotiakov, au Travail. Outre ses accrochages avec Igor Setchine sur les aides au secteur pétrolier, Anton Silouanov doit sa rétrogradation au fait que le nouveau Premier ministre est lui-aussi un proche du chef de la Cour des comptes, Alexeï Koudrine.
- Trois vice-Premiers ministres restent en poste : Tatiana Golikova (Affaires sociales), Iouri Troutnev (Extrême-Orient et Arctique) et Iouri Borissov. Ce dernier, qui était en charge du complexe militaro-industriel et du spatial, supervisera désormais toute l’industrie, y compris le secteur énergétique, où les rivalités entre oligarques sont nombreuses. L’influence de Tatiana Golikova, déjà importante, devrait croître puisqu’elle sera responsable des grands projets en matière de politique familiale et de santé auxquels Vladimir Poutine a consacré le début de son discours du 15 janvier.
- La nomination d’Andreï Belooussov, jusqu’ici conseiller économique du chef de l’État, au poste de 1er vice-Premier ministre, indique une inflexion macroéconomique significative. Belooussov est en effet réputé favorable à un rôle accru de l’État et à une politique de relance budgétaire, ce qui est en phase avec les annonces sociales de Vladimir Poutine. Le nouveau 1er vice-Premier ministre entretient des relations complexes avec les grands groupes privés russes, qu’il avait proposé de surtaxer à hauteur de 500 milliards de roubles durant l’été 2018 ; son rôle dans l’affaire Calvey/Delpal n’est pas clair, malgré ses dénégations.
- Dmitri Tchernychenko, qui dirigea le comité d’organisation des JO de Sotchi, figure parmi les nouveaux vice-Premiers ministres et les personnalités à suivre. Il aura la charge du secteur sportif, sinistré après les scandales de dopage, mais aussi du programme « Economie digitale».
- Les « ministères de force » sont finalement peu affectés par le remaniement. Donné partant dès 2018, le ministre de l’Intérieur, Vladimir Kolokoltsev, conserve son poste, sans doute faute d’accord entre les différents clans sur son successeur. Sergueï Choïgou et Sergueï Lavrov, qui ont un statut à part dans le système de pouvoir russe et qui comptent parmi les rares ministres connus de la population, sont eux aussi reconduits. Le départ du ministre de la Défense n’a jamais été à l’ordre du jour. En revanche, il semble que la nomination du chef de la diplomatie russe au poste de conseiller de Vladimir Poutine en remplacement de Iouri Ouchakov ait été un temps envisagé. Enfin, à noter que le portefeuille de la Justice change de titulaire : Alexandre Konovalov, un proche de Dmitri Medvedev, est remplacé par l’ancien vice-Premier ministre et chef de l’appareil gouvernemental, Konstantin Tchouïtchenko, lui aussi ancien camarade de faculté du Premier ministre démissionnaire.
- Les principaux ministres « techniques » (Mantourov à l’Industrie, Ditrikh aux Transports, Novak à l’Énergie, Kobylkine aux Ressources naturelles, Patrouchev à l’Agriculture) sont reconduits, ce qui constitue un élément de stabilité à la fois pour les groupes d’influence russes et les investisseurs étrangers. Maksout Chadaev, qui travailla aux côtés de Sergueï Narychkine au Secrétariat général du gouvernement puis à la Douma d’État, est nommé ministre des Communications. Il était dernièrement n°2 de Rostelecom, après avoir été en charge de la digitalisation de la région de Moscou.
- Source de mécontentement – et donc de risque électoral –, le « bloc social » du gouvernement est profondément remanié, avec notamment un nouveau ministre de la Santé, Mikhaïl Mourachko, qui hérite d’un secteur sous tension. Figures de proue de la mouvance conservatrice, Vladimir Medinsky (Culture) et Olga Vassilieva (Éducation) sont remerciés. Le profil de leurs successeurs, Olga Lioubimova – réputée proche de la famille Mikhalkov – et Sergueï Kravtsov – un fonctionnaire sans réseaux politiques – ne laisse pas forcément entrevoir d’inflexion majeure sur le fond dans ces domaines.
- La nomination de Mikhaïl Michoustine, 53 ans, tout comme le casting du nouveau gouvernement marque à mains égards la fin d’une époque. Il n’y a plus d’amis de Vladimir Poutine dans le nouveau cabinet. La page qui s’était ouverte en 2003-2004, avec la conquête de l’appareil d’État par les représentants des différentes strates de l’entourage du président (KGB de Leningrad, RDA, mairie de Saint-Pétersbourg), est en train de se clore. Le pouvoir passe à une nouvelle génération, phénomène qui va s’accélérer dans les mois à venir.
- Le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, dont il se murmure qu’il figurait dans la short list pour le poste de Premier ministre, compte plusieurs alliés dans le nouveau gouvernement. Outre son ancien adjoint en charge du BTP, le Tatar Marat Khousnoulline, il s’agit du nouveau ministre du Développement économique, Maxime Rechetnikov, 40 ans, ancien membre de l’exécutif de la capitale entre 2012 et 2017, date de sa nomination au poste de gouverneur de Perm, et de Vladimir Iakouchev. Le ministre de la Construction est issu de la région de Tioumen, ancien fief de Sergueï Sobianine et principale région pétrolière du pays où le maire de Moscou garde un droit de regard.
- Le nouveau Premier ministre, Mikhaïl Michoustine, a eu plus de marge de manœuvre que Dmitri Medvedev en 2018 pour composer son gouvernement. Deux de ses adjoints, Dmitri Grigorenko – vice-Premier ministre en charge de l’appareil gouvernemental – et Alexeï Overtchouk étaient déjà à ses côtés au Service fédéral des impôts. Le nouveau Premier ministre garde le contrôle de son ancienne maison – c’est-à-dire, de fait, sur l’essentiel des flux financiers du pays – puisqu’il y a nommé un autre de ses proches, Daniil Egorov.
- Lors du premier conseil des ministres le 21 janvier au soir, Mikhaïl Michoustine a indiqué les priorités du nouveau gouvernement : Santé, questions sociales, digitalisation et construction. La mise en œuvre des Projets nationaux reste la clé de voûte de la stratégie du pouvoir jusqu’en 2024. Compte tenu de leur montée en puissance attendue cette année – après des débuts difficiles – et des diverses mesures sociales annoncées par Vladimir Poutine le 15 janvier – notamment l’octroi aux familles du Capital maternel dès le 1er enfant –, 2% de croissance voire un peu plus ne paraissent pas un objectif hors d’atteinte. Pour rappel, le FMI table sur une hausse du PIB de 1,9% en 2020.
- Le jeu de chaises musicales au sein du pouvoir russe ne se limite pas au gouvernement. Le départ de Iouri Tchaïka du Parquet général est un événement de première importance. Il annonce d’autres mouvements, au FSB – dont le directeur, Alexandre Bortnikov, aura 70 ans l’an prochain – et au Comité d’enquête, structure affaiblie de longue date mais dont le chef, Alexandre Bastrykine, 66 ans, est un ancien camarade de faculté de Vladimir Poutine qui devra donc être recasé. Le nouveau procureur général, Igor Krasnov, 44 ans, est le prototype du « silovik » de la nouvelle génération qui va prendre le relais des « amis de 30 (voire 40) ans » de Vladimir Poutine.
- De nombreuses inconnues demeurent. À court terme, cela concerne les modalités de la mise en œuvre des amendements constitutionnels souhaités par le président et déjà transmis pour examen à la Douma d’État, après seulement deux jours de travail de la commission ad hoc créée la semaine dernière. Vladimir Poutine a évoqué un « vote populaire », tout en évitant d’utiliser le mot référendum, procédure d’un maniement délicat puisqu’elle requiert une participation minimale de 50% (ce qui avait posé problème pour son adoption en 1993). D’autres scénarios sont possibles, comme un scrutin législatif anticipé à la suite d’une auto-dissolution de la Douma consécutive à l’entrée en vigueur de la constitution retouchée. Le « tournant social » du pouvoir, l’exfiltration de Dmitri Medvedev – discrédité et impopulaire – et le rajeunissement du gouvernement vont plutôt dans le sens d’un retour aux urnes cette année.
- Les amendements à la constitution soumis au parlement prévoient un renforcement du rôle des deux Chambres, ainsi qu’une institutionnalisation du Conseil d’État, instance jusqu’ici consultative réunissant notamment les principaux dirigeants régionaux. Ils sont remarquables en ceci qu’ils vont à l’encontre de ce que Vladimir Poutine a mis en place depuis une quinzaine d’année (recentralisation, verticale du pouvoir, etc.). À ce stade, il s’agit plus d’un rééquilibrage que d’une révolution. Vladimir Poutine garde plusieurs fers au feu et semble soucieux de limiter les risques liés à l’échéance de 2024, les soubresauts de l’automne 2007 au cœur du pouvoir russe – épisode certes un peu oublié – rappelant que son héritage peut être dilapidé très rapidement.
Si l’hypothèse d’un maintien au pouvoir de Vladimir Poutine après 2024 via la présidence du Conseil d’État est privilégié par la plupart des observateurs russes et étrangers, nous estimons imprudent de rejeter a priori le scénario d’un véritable départ de l’actuel président russe (Voir notre blog vidéo). Les déclarations de Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg le samedi 18 janvier sur la gérontocratie du début des années 1980 en URSS et ses propos tenus quatre jour plus tard à Sotchi devant des étudiants sur le caractère inacceptable d’une dyarchie au sommet de l’État vont plutôt à l’encontre d’un rôle « à la Deng Xiaoping » à l’issue de son 4ème mandat. Les mouvements récents et à venir devraient alors être interprétés comme autant de mesures visant, très en amont, à sécuriser – pour lui-même, les divers groupes d’influence et le pays dans son ensemble – le processus de transition.