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« 3 questions à » Florent Parmentier sur la situation en Moldavie, à l’issue des présidentielles

Florent Parmentier Florent Parmentier
3 décembre 2020
Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF et co-auteur, avec Josette Durrieu, de La Moldavie à la croisée des mondes, publié en 2019.



1. Comment expliquer la défaite du candidat pro-russe Igor Dodon lors des récentes présidentielles en Moldavie ?

La défaite d’Igor Dodon est large, et s’explique par plusieurs facteurs. La dynamique créée par Maïa Sandu a été impressionnante : elle a été plébiscitée à 92% par les électeurs de la diaspora, beaucoup étant récemment partis. Si 250 000 électeurs expatriés se sont déplacés, bien plus qu’en 2016, leur mobilisation a été bien moins forte en Russie, où ils auraient été plus susceptibles de voter pour Igor Dodon. Plus surprenant, Maïa Sandu a devancé Igor Dodon en Moldavie même, parfois largement.

Celle-ci a appris, depuis sa défaite en 2016, à faire de la politique, sans pour autant sacrifier son image d’intégrité. La division du camp pro-russe a été un autre facteur décisif. En 2016, Igor Dodon avait été capable de rafler près de 47% des voix au premier tour. Cette année, Renato Usati, le maire de Balti, a pris 17% des voix dans l’électorat pro-russe, avant d’apporter son soutien à Maïa Sandu pour le second tour. Cette dernière a pu faire le plein de voix dans son camp tout en accueillant de nouveaux électeurs, évitant une rhétorique trop géopolitique pouvant lui aliéner des électeurs pro-russes ayant envie de tourner la page d’élites qu’ils estiment corrompues.

Enfin, il ne faut pas négliger un dernier facteur : l’effet Covid. En effet, Maïa Sandu a dû quitter son poste de Première ministre en novembre 2019, c’est-à-dire avant le début de l’épidémie. Or, celle-ci a eu un réel impact en Moldavie, l’opinion publique attribuant les difficultés de la période au gouvernement en place.

2. La présidente élue Maïa Sandu vient de demander le retrait total des forces russes d'interposition basées en Transnistrie. Doit-on s'attendre à un regain de tension entre Chisinau et Moscou dans les mois à venir ?

Vladimir Poutine a rapidement reconnu la victoire de Maïa Sandu, certes incontestable. Celle-ci s’est concentrée au cours de sa campagne sur une volonté de réformer l’Etat, plutôt que sur un discours géopolitique pour mobiliser ses électeurs. Pourtant, les déclarations de Maïa Sandu sur le retrait total des forces russes de Transnistrie ont suscité de vives réactions à Moscou : le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a déclaré qu’un changement de statu quo provoquerait la déstabilisation de la région, et Sergei Lavrov les a qualifiées « d’irresponsables ».

La thèse d’une inévitable et massive dégradation des relations russo-moldaves doit sans doute être relativisée, du fait de trois facteurs essentiels. Il faut commencer par nuancer les qualificatifs de pro-russes et de pro-européens, commodes, mais parfois impropres. Paradoxalement, les relations s’étaient fortement dégradées dans la seconde moitié des années 2000 avec le Président Voronine, du parti communiste, le plus pro-russe à l’époque, tandis qu’elles ont pu ensuite être plus pragmatiques avec des dirigeants plus proches de la Roumanie comme Vlad Filat.

Ensuite, la Russie dispose de soutiens bien implantés au sein du système politique moldave. Au Parlement, une coalition composée du PSRM (Igor Dodon), du parti Shor et des non-affiliés ont toujours une majorité, dont Maïa Sandu ne pourra faire abstraction. Ainsi, trois députés viennent de déposer un projet relatif à une « Loi sur le statut de la langue russe sur le territoire de la République de Moldavie » et un autre sur le retour des programmes d’information télévisés russes. En outre, dans la région autonome de Gagaouzie, les électeurs ont voté à 95% pour Igor Dodon, soit plus que les électeurs de Transnistrie. Une stratégie d’influence plus indirecte sera plus payante pour la Russie, qui n’a pas besoin de s’exposer : plutôt que de susciter des tensions bilatérales, il est plus efficace de jouer sur la division du pouvoir moldave.

Enfin, il était difficile pour Maïa Sandu de ne pas mentionner le départ des troupes russes de la Transnistrie, puisque la Russie s’y était engagée au Sommet d’Istanbul de 1999. Cela a été la position de nombre de gouvernements et de présidents moldaves. Croire qu’il suffira de le réclamer pour que ce départ advienne est en revanche un vœu pieux.

A noter qu’en matière économique, les leviers dont dispose la Russie ont perdu en importance. Elle peut difficilement jouer de la carotte – le commerce extérieur moldave s’est à présent largement réorienté vers les marchés européens, y compris en Transnistrie – ou du bâton – la dette de Gazprom contractée par les habitants de la Transnistrie. Si le marché russe était de loin le plus gros pour les exportations de vin moldave il y a 15 ans, il se vend aujourd’hui plus de vin moldave en Roumanie et en Chine qu’en Russie.

3. Quelle est la situation en Transnistrie et quels scénarios sont selon vous les plus probables à moyen terme ?

Si l’on a beaucoup parlé des présidentielles moldaves, la Transnistrie a elle-même connu des élections parlementaires le 29 novembre, avec un résultat surprenant : le parti Obnovlenie, qui représente les intérêts du conglomérat Shériff, a obtenu 29 sièges sur 33, et les députés restant sont également proches du groupe. Elle est toujours gouvernée par le Président Vadim Krasnoselsky, élu en 2016, lui-même avec le soutien de ce groupe qui détient aussi le principal club de football du pays – car le Sheriff Tiraspol joue bien dans le championnat moldave. Cette élection n’a toutefois mobilisé que 27,7% de l’électorat, en raison de l’épidémie certes, mais aussi du manque d’alternative proposée. La confiance politique y reste faible, marquée par cette monopolisation du jeu politique par une entreprise.

Sur le plan sécuritaire, la revendication du départ des troupes russes est ancienne du côté de Chisinau, depuis le cessez-le-feu de 1992, tandis que Tiraspol reste très attachée à leurs présences. Les négociations sous l’égide de l’OSCE, sous le format dit « 5+2 », n’ont pas permis de progrès concrets sur le terrain. Toutefois, le scénario alarmiste d’une reprise des combats pour la première fois depuis 1992 semble éloigné des réalités. Il n’y a pas d’appétit populaire pour une revanche, les deux rives du Dniestr communiquent et échangent, les opinions publiques sont plutôt désireuses d’améliorer leur niveau de vie que de partir en guerre. Il faudra en revanche probablement attendre des circonstances géopolitiques plus favorables pour envisager un scénario de rapprochement entre la Transnistrie et la Moldavie. En leur absence, le plus probable est un statu quo qui fait le jeu de nombreux intérêts cachés au sein même du pays.
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