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« 3 questions à » Evgueni Gavrilenkov sur la situation de l'économie russe : défis et pespectives

Evgueni Gavrilenkov Evgueni Gavrilenkov
15 janvier 2021
Evgueni Gavrilenkov, associé chez GKEM Analytica, rédacteur en chef du Journal économique du Haut Collège d’Economie, membre du Conseil scientifique de l’Observatoire franco-russe.

1. Quelle est votre appréciation des mesures anti-crises et du plan de relance annoncés par le gouvernement l'an dernier ?

Dans la mesure où la chute du PIB russe en 2020 devrait être assez modérée par rapport à ce qu’on constate dans de nombreux pays européens, on peut dire que les mesures prises ont été suffisantes, bien qu’elles soient de moindre ampleur que celles adoptées dans ces pays.

Au cours des neuf premiers mois de l'année passée, le PIB de la Russie s'est contracté de 3,4 % par rapport à la même période en 2019, et la récession pourrait atteindre 3% (ou un peu plus) sur l’ensemble de l’année 2020. Il semblerait que la situation économique du pays ait continué à s'améliorer progressivement au cours du quatrième trimestre. Selon Rosstat, la production de cinq secteurs de base (industrie, agriculture, distribution, transport, construction) a diminué de 3,0 % en janvier-novembre et de 2,3 % en novembre en glissement annuel.

Au cours du second semestre, Rosstat a chaque mois révisé à la hausse l’un ou l’autre des indicateurs publiés le mois précédent. Étant données ces révisions, il est donc envisageable que la récession soit même inférieure à 3%. On notera d’ailleurs qu'environ un point de cette baisse est imputable aux industries extractives, en particulier à la production de pétrole, la Russie s'étant engagée, dans le cadre de l'accord OPEP+, à réduire sa production. En d'autres termes, la récession dans le reste de l'économie s'avère beaucoup moins importante.
Dès la fin de 2020, on peut s'attendre à ce qu'en valeur, les exportations de produits agricoles soit comparables à celles de gaz (y compris de gaz liquéfié).
Dans le contexte de cette récession modérée, la Russie devrait terminer l'année 2020 avec un faible déficit budgétaire (moins de 3 % du PIB), comparable à la baisse attendue du PIB, et malgré une chute significative du prix annuel moyen du pétrole ainsi qu’un excédent des comptes courants. La dynamique économique comme la situation budgétaire et la balance des paiements sont bien meilleures que les prévisions estivales du gouvernement et de la Banque centrale.

Cependant, il serait incorrect d’attribuer ces résultats relativement bons pour 2020 uniquement aux mesures financières décidées par les autorités. En effet, bien que le gouvernement ait décidé d’augmenter les dépenses du budget fédéral en 2020 de 3 000 milliards de roubles par rapport au montant initialement prévu, les portant à 22 600 milliards de roubles, le ministère des Finances n’est pas parvenu à dépenser environ un 1 000 milliards de roubles dans l’année, selon le ministre Anton Silouanov.

Il est révélateur qu'au cours des neuf premiers mois, environ trois quarts (75,6 %) des dépenses initialement approuvées à la fin de 2019 aient été dépensées, c'est-à-dire que les dépenses budgétaires n’ont pas excédé les montants prévus avant la pandémie. Cela signifie que l'économie dans son ensemble n'a pas reçu de sommes importantes au cours des mois les plus difficiles des deuxième et troisième trimestres. Une grande partie des entreprises ont résolu leurs problèmes actuels principalement par elles-mêmes. L'augmentation des dépenses budgétaires en novembre-décembre 2020 n’aura d’impact sur les indicateurs qu’au début de 2021.

Dans le même temps, il convient toutefois de reconnaître qu'un certain soutien a été apporté par le biais de congés fiscaux, de subventions à certains secteurs de l'économie, de la possibilité de différer le service et le remboursement de certains prêts… mais ce soutien a semble-t-il été apporté de manière très sélective, car tous les bénéficiaires potentiels ne pouvaient satisfaire aux conditions exigées par les autorités pour le recevoir.

Il faut également tenir compte du fait que les autorités fédérales n'ont pas introduit au cours de l'année les mêmes restrictions rigides et durables que celles imposées par certains gouvernements de pays européens. Et la raison en est très claire : l'introduction de restrictions unifiées sur le territoire d'un très grand pays, avec des densités de population sensiblement différentes dans les régions, n'avait guère de sens. En conséquence, un certain équilibre temporaire a été trouvé entre les autorités fédérales et régionales et les acteurs économiques, ce qui a permis à l'économie de terminer l'année avec une baisse modérée du PIB et un déficit budgétaire limité.

À cet égard, il convient de noter que la part des petites et moyennes entreprises dans l'économie russe est très faible - environ 20,2 % en 2018-2019. Et il est possible qu'en 2020, cette part tombe nettement en dessous de 20 %. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui auraient eu le plus besoin du soutien de l’État, car les grandes entreprises ont tendance à disposer d'une marge de sécurité financière assez importante. La faible part des PME dans l'économie a donc incité le gouvernement à mener une politique fiscale assez conservatrice, malgré le contexte difficile de 2020.

2. À quels défis devra faire face l'économie russe en 2021 ?

En raison de l'effet de base, on peut s'attendre à ce que la croissance du PIB en g.a. devienne positive au deuxième trimestre, et cela sera particulièrement visible dans les industries extractives. De même, les deuxième et troisième trimestres de cette année verront une croissance très importante du secteur des services. On peut également s'attendre à des taux de croissance statistiquement significatifs dans le secteur manufacturier, globalement stable en 2020. Dans le même temps, le budget devrait moins contribuer à la croissance économique, puisque les dépenses, compte tenu des milliards de roubles reportés de l'année dernière, seront approximativement les mêmes que l'année dernière, c'est-à-dire qu'elles diminueront en termes réels.

Il serait prématuré de s'attendre à des taux de croissance économique durablement élevés dans les années à venir. En 2020 et au cours des années difficiles précédentes, comme 2015-2016, la Russie a démontré une assez bonne capacité d'adaptation à la chute brutale des prix de l'énergie et aux sanctions. Ainsi, en 2015, la baisse du PIB n'était que de 2 %, et en 2016, l'économie a retrouvé le chemin de la croissance. Cependant, celle-ci est restée très modérée. Elle n’a d’ailleurs pas tant accéléré en 2017, lorsque le PIB a augmenté de 1,8 %, soit le même niveau qu'en 2013, lorsque les prix du pétrole étaient deux fois plus élevés. À cet égard, on peut dire que le prix du pétrole n'est pas le facteur déterminant pour l'économie russe.

Pour assurer une croissance économique plus soutenue et durable, l'environnement réglementaire est plus important. Celui-ci semble pénaliser les PME, qui sont moins capitalisées et dynamiques. Ce problème devra être résolu tôt ou tard si la Russie veut retrouver une économie plus dynamique.

3. A plus long terme, quelles sont les évolutions à attendre pour l'économie russe et à quoi pourrait ressembler une Russie post-pétrole et gaz ?

Les années à venir devrait consacrer la domination des grandes entreprises et des projets gouvernementaux dans les domaines de l'aviation, de la construction navale et des technologies de l'information seront mis en œuvre. On peut également s'attendre à une croissance durable dans l'agriculture, dont les exportations augmenteront régulièrement, et pas seulement en ce qui concerne de céréales. Dès la fin de 2020, on peut s'attendre à ce qu'en valeur, les exportations de produits agricoles soit comparables à celles de gaz (y compris de gaz liquéfié).
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