Septième chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF :
https://www.rtbf.be/article/l-il-de-moscou-trump-ou-harris-bonnet-blanc-et-blanc-bonnet-pour-le-kremlin-11432515«
Notre favori, si l’on peut dire, c’était le président en exercice, Monsieur Biden. Mais voilà, on l’a retiré de la course, mais il a recommandé à tous ses partisans de soutenir Madame Harris. Ce que nous allons faire nous aussi »,
a déclaré Vladimir Poutine début septembre lors du Forum économique oriental de Vladivostok.
En février, il avait déjà surpris en estimant que l’actuel locataire de la Maison-Blanche était «
plus expérimenté, plus prévisible» que Donald Trump. En Occident, ces propos ont été généralement jugés insincères. Mais comme le dit l’adage russe, «
dans toute plaisanterie, il y a une part de plaisanterie ». En d’autres termes, on aurait sans doute tort de ne pas prendre les propos du président russe – un peu – au sérieux.
Ingérences russes en 2016
Pour les commentateurs occidentaux, le soutien du Kremlin à Donald Trump est une affaire entendue. L’autoritarisme du candidat républicain, son aversion pour l’Union européenne, ses déclarations – peu conformes à la doxa – sur l’Ukraine et l’OTAN en font le candidat idéal pour le Kremlin, auquel il serait prêt à apporter sur un plateau la sécurité européenne voire la démocratie occidentale.
Il est vrai que l’on a en mémoire les élections de 2016 : à l’époque, les Russes s’étaient bruyamment réjouis des résultats après – cela a été établi –
une série d’ingérences fort peu discrètes (qui, au demeurant, visaient sans doute plus à nuire à Hillary Clinton, qui avait comparé Poutine à Hitler, qu’à favoriser Trump).
Les turbulences attendues au sein du camp occidental en cas d’élection du candidat républicain seraient assurément bonnes à prendre pour la direction russe. Mais d’autres éléments entrent en ligne de compte, qui rendent les choses moins évidentes.
Désillusions
Si le Kremlin ne doute pas de la volonté de Trump de «
faire un deal » avec Vladimir Poutine, il se souvient cependant des désillusions des années 2017-2020. Tenu par le Russiagate, le président américain n’avait alors pas pu mettre en œuvre sa volonté de détente avec Moscou. Et puis, c’est sous l’administration Trump que la « guerre des ambassades » (expulsions massives de diplomates, fermetures de consulats, etc.) avait atteint son apogée. Et que le Trésor américain avait adopté des sanctions draconiennes contre le groupe russe RUSAL, n°1 mondial de l’aluminium.
Loin de « lâcher Kiev », Washington avait par ailleurs adopté une politique assez offensive dans le dossier ukrainien : on a ainsi appris dans l’intervalle que la CIA avait installé plusieurs stations d’écoute à proximité des frontières russes au cours de ces années. Plus récemment, les propos de Donald Trump sur sa volonté de ramener les cours du pétrole à 40 dollars le baril pour contraindre Moscou à faire la paix ou le « plan Pompéo » sur une aide militaire de 500 milliards de dollars à Kiev ne sont pas passés inaperçus dans les cercles de pouvoir en Russie.
Quel intérêt en Russie pour l’élection américaine ?
Kamala Harris est-elle pour autant la favorite de Moscou ? Certainement pas. Femme, noire, avocate de formation, la candidate démocrate incarne au fond tout ce que l’establishment russe – formé au KGB – déteste ou méprise. Son élection prolongerait, pour un temps au moins, le partenariat transatlantique et l’existence de cet « Occident collectif » censément décadent et pourtant si vivace. Mais – et c’est sans doute là le fond de vérité des propos de Poutine – il épargnerait à la Russie les éventuelles embardées stratégiques d’une administration Trump où la figure de Reagan suscite parfois encore certaines dévotions.
Dans ce contexte, le plus probable est que le Kremlin regarde
les élections américaines avec une certaine distance et sans guère d’illusions. Les relations bilatérales sont au point mort, et personne ou presque ne croit à un début de normalisation à brève échéance. Et pourtant, c’est bien avec Washington – et avec personne d’autre – que Moscou envisage de régler, le moment venu, la guerre d’Ukraine, de sorte que se désintéresser totalement du scrutin du 5 novembre n’est pas une option sérieuse. Trump ou Harris, bonnet blanc et blanc bonnet pour le Kremlin ? Pas tout à fait. Mais si l’on prête parfois à Vladimir Poutine des qualités de joueur d’échecs, ne sous-estimons pas sa répugnance bien connue pour le risque.