L’accord pour la coopération militaire entre la Russie et Sao Tomé-et-Principe a été soumis pour ratification au gouvernement russe le 23 septembre. Signé par les parties le 24 avril dernier en marge de la douzième Rencontre internationale des Hauts Représentants pour la Sécurité qui se tenait à Saint-Pétersbourg, ce court texte (14 articles) évoque les champs que la coopération militaire entre les deux pays pourrait bien couvrir, une fois le texte ratifié par les deux parlements. Parmi les axes de coopération mentionnés figurent la formation des forces armées (environ 500 hommes pour Sao Tomé-et-Principe), la coopération dans l'utilisation des moyens de communication, ou encore l’échange d’informations à caractère militaire. Les bâtiments de guerre russes obtiendraient le droit, en vertu de l’article 4, de relâcher dans le port du pays, et l’aviation russe pourrait réaliser des « visites » sur les aérodromes de l’archipel. S’il n’est pas prévu que l’armée russe dispose d’une quelconque emprise – à la différence de l’accord signé entre la Russie et le Soudan au sujet du projet de base russe à Port-Soudan –, le texte, une fois entré en vigueur, le sera pour une durée indéterminée (article 14).
Cette perspective de coopération qui s’esquisse entre Moscou et ce petit État insulaire du golfe de Guinée surprend : la Russie n’y dispose d’aucune ambassade ou consulat, la représentation diplomatique russe y étant assuré par l’ambassade russe à Luanda. Sao Tomé-et-Principe a, de son côté, attribué à son ambassade à Lisbonne la mission d’assurer sa représentation diplomatique auprès de la Russie. Le pays ne semble d’ailleurs pas nécessairement figurer parmi les priorités du ministère russe des Affaires étrangères qui cherche depuis l’an dernier à élargir son réseau diplomatique à de nouveaux États africains où la Russie ne dispose pas encore d’ambassade. Malgré cela, l’Envoyé spécial du président russe pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Mikhaïl Bogdanov, s’est rendu à Sao Tomé-et-Principe pour une visite de travail en juillet dernier. L’agenda des discussions avec les autorités santoméennes portait alors sur le développement du commerce bilatéral – symbolique, son volume se comptant en centaines de milliers de dollars chaque année –, la coopération dans le domaine de l’agriculture, et des infrastructures et équipements liés au complexe agro-industriel.
Cet archipel du golfe de Guinée présente en effet avant tout un intérêt d’ordre logistique pour la Russie. Si cet accord est ratifié, il permettra alors à la marine de guerre russe d’intensifier sa présence, encore très sporadique, dans cette zone de l’Atlantique Sud. Très présente en Méditerranée, en mer Rouge et, de plus en plus, dans l’océan Indien, la marine russe reste peu visible dans l’Atlantique Sud. Un point d’appui dans le golfe de Guinée lui permettrait de soutenir davantage des déploiements dans cette zone immense, d’une part, et d’appuyer sa projection vers l’Afrique australe via l’Atlantique, d’autre part. On ne peut exclure qu’à terme, une station Glonass y soit implantée afin d’offrir un début de couverture de la zone au système de navigation par satellite russe. Enfin, au niveau sécuritaire, la marine russe pourrait plus régulièrement contribuer à des missions de lutte contre la piraterie, étayant ainsi le récit selon lequel Moscou se présente comme un acteur sécuritaire contribuant à la stabilité régionale. Cette facilité navale santoméenne serait d’autant plus bienvenue pour la marine russe que celle-ci a vu les ports de nombreux pays en Méditerranée et ailleurs se fermer à ses bâtiments depuis février 2022. Ceuta, traditionnel point de relâche, n’accueille ainsi plus les navires de guerre russes depuis que le conflit a éclaté en Ukraine.
Par extension, Sao Tomé-et-Principe pourrait devenir une plateforme de transbordement pour les containeurs arrivant de Russie à destination de clients africains, comme le suggèrent les sujets abordés lors du déplacement de Mikhaïl Bogdanov dans le pays. Moscou s’est par ailleurs lancé dans une grande expédition maritime au large des côtes de certains États africains. Débutée fin août dernier et placée sous le patronage de Rosrybolovstvo (l’Agence fédérale russe de la pêche), cette « Grande expédition maritime » puisque c’est ainsi qu’elle a été baptisée, partie de Kaliningrad, mobilise deux bâtiments océanographiques appartenant à Rosrybolovstvo qui ont pour mission de cartographier et étudier les ressources halieutiques des zones côtières de plusieurs pays africains, dont la Mauritanie, le Nigeria, le Maroc, le Cameroun, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Sénégal, le Mozambique et Sao Tomé-et-Principe (et d’autres encore).
À travers ce partenariat inattendu, la Russie s’aménage donc une porte d’entrée dans le golfe de Guinée auprès d’un État insulaire disposant d’une situation avantageuse en vue de soutenir l’effort russe d’insertion commerciale, logistique et sécuritaire dans la région. Contrairement au Soudan où il était question de l’obtention d’une emprise navale, la Russie pourrait se contenter de facilités navales et aériennes auprès d’un petit État insulaire. Le risque politique paraît minime. C’est peut-être ce qui va faire que cela va fonctionner.