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Russie — Iran : c’est reparti pour 20 ans

Igor Delanoë Igor Delanoë
31 janvier 2025
Vladimir Poutine et son homologue iranien, Massoud Pezeshkian, ont signé le 17 janvier à Moscou un accord de partenariat stratégique global qui lie leurs deux pays pour les 20 prochaines années. Il annule et remplace la précédente version qui avait été signée en 2001 pour une durée similaire, et dont la reconduction avait été retardée par la pandémie, puis par le décès du président iranien Raïssi en mai 2024, lors du crash de son hélicoptère. La signature de ce document intervient dans un contexte stratégique particulièrement dynamique et bouleversé pour les deux partenaires. Au niveau global, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche est accueilli avec prudence par la Russie, et avec méfiance par l’Iran qui redoute le retour de la politique trumpienne de la « pression maximale ». Au niveau régional, Russes et Iraniens ont perdu, avec la chute de Bachar el-Assad en décembre, un allié qui était certes obstiné, mais qui leur fournissait néanmoins une profondeur stratégique précieuse. Pour l’Iran, ce retournement constitue le dernier revers d’une série qui a commencé en janvier 2020 avec l’élimination de Qassem Soleimani par la première administration Trump. Au Levant, le Hezbollah ressort désorganisé et affaibli des presque dix-huit mois d’affrontements avec Israël à la suite des attaques du 7 octobre. En proie à des difficultés économiques majeures, l’Iran n’a d’autre choix que de miser sur la patience stratégique alors que le nouveau président américain, connu pour ses positions très favorables à Israël, a repris ses quartiers à la Maison Blanche. Pour ce qui est de la Russie, la chute de son allié syrien remet avant tout en cause la pérennité de ses bases au Levant. Celles-ci jouent un rôle logistique essentiel aussi bien pour la marine russe en Méditerranée que pour la projection de forces et d’influence russes vers l’Afrique. Des négociations à leur sujet, débutées en décembre, se poursuivent entre les nouvelles autorités syriennes et Moscou. Une délégation russe emmenée par le vice-ministre des Affaires étrangères et Envoyé spécial de Vladimir Poutine pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Mikhaïl Bogdanov, s’est ainsi rendue à Damas le 28 janvier. Alexandre Lavrentiev, l’Envoyé spécial du président russe pour la Syrie, qui a beaucoup œuvré au cours de la deuxième moitié des années 2010 à la promotion d'une forme de réconciliation intra-syrienne et à la normalisation des relations entre Damas et ses voisins, en faisait partie. À ce stade, les discussions, pragmatiques et difficiles, n’ont pas débouché sur un accord et la Russie a poursuivi, non sans difficultés, l’évacuation d’une partie de son personnel et du matériel qui étaient déployés en Syrie, notamment vers la Libye.

Comportant 47 articles, l’accord de partenariat stratégique global russo-iranien a peu en commun avec l’accord du même nom signé en juillet entre Moscou et Pyongyang. Ce dernier comporte en effet à l'article 4 une clause d’assistance militaire directe en cas d’agression armée contre l’une des parties par un tiers. Rien de tel dans l’accord russo-iranien qui prévoit tout au plus, à l'article 3, qu'en cas d’attaque contre l'une des parties l’autre s’abstienne de fournir quelque aide de nature à prolonger l’agression que ce soit à l’agresseur. Il s’agissait probablement là de la principale intrigue scrutée par les observateurs internationaux concernant ce document, avec celle entourant d’éventuelles avancées en matière de coopération militaro-technique. Après les livraisons iraniennes de drones à la Russie intervenues en 2022, on aurait pu s’attendre à ce que la Russie fasse un geste en faveur de la République islamique, demandeuse de matériels neufs (chasseurs, hélicoptères d’attaque et défense anti-aérienne notamment). Là encore, il faudra se contenter de déclarations qui proviennent très majoritairement de la partie iranienne au sujet de livraisons « imminentes » d’équipements militaires russes. La dernière en date : celle d’un responsable du corps des Gardiens de la révolution qui affirmait lundi 27 janvier que l’Iran allait recevoir une escadrille de Su-35.

L’accord russo-iranien couvre dans des termes vagues et généraux de très nombreux champs de la relation bilatérale — coopération militaire, coopération militaro-technique, sécurité informationnelle, coopération régionale, économie, énergie… — en leur fournissant un cadre qui demande à être approfondi dans le futur par des accords ad hoc. Deux points néanmoins appellent à être surveillés : le développement du corridor Nord-Sud, et les livraisons de gaz russe à l’Iran. Dans un cas comme dans l’autre, des investissements russes sont attendus par les Iraniens — 40 milliards de dollars pour le secteur gazier — sans que rien de concret ait été réalisé à ce stade. Rappelons que les Iraniens font face à des coupures d’électricité quotidiennes dans certaines régions, ainsi qu’à des problèmes liés à la disponibilité de carburant et de gaz pour la consommation domestique. Les livraisons de gaz russe doivent permettre de résoudre en partie ces difficultés.

Le lendemain de la signature de l’accord, l’Union économique eurasiatique annonçait l’aboutissement du processus devant conduire à l’établissement d’une zone de libre-échange avec l’Iran. Celle-ci pourrait donner un nouvel élan à un commerce bilatéral russo-iranien qui stagne depuis des années. Moscou et Téhéran s’attendent à ce que leurs échanges commerciaux s’établissent à 4 milliards de dollars en 2024, ce qui est par exemple deux fois et demi inférieur au volume du commerce russo-émirien en 2022… L'objectif fixé par les autorités des deux pays à 20 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie paraît, à ce jour, hors de portée. Au demeurant, l’Iran était l’an dernier le troisième client de la Russie en termes d'importations de céréales avec 5,6 millions de tonnes livrées. La banque VTB a par ailleurs annoncé dans le sillage de la conclusion de l’accord russo-iranien l’ouverture d’une filiale dans la République islamique. Rappelons que les systèmes bancaires nationaux russe et iranien ont été connectés l’an dernier, et que la présence de VTB en Iran pourrait permettre de faciliter les opérations en devises entre les deux pays.

Le partenariat russo-iranien se caractérise avant tout par sa nature géopolitique. L’Iran reste perçu par la Russie comme un bastion résistant à l’influence occidentale, un contrefort eurasiatique méridional et un corridor vers le Golfe. Militairement, leur coopération bilatérale reste tributaire des relations que Moscou entretient avec Washington et avec Tel-Aviv. Politiquement, la relation russo-iranienne a vocation à s’épanouir dans des enceintes telles que les BRICS ou l’OCS. Économiquement, elle est bridée par des freins structurels (faible attractivité du marché iranien pour les entreprises russes, besoin urgent d’investissements dans l’économie iranienne auquel la Russie n’est pas en mesure de répondre…). L’accord de partenariat stratégique global signé en janvier reflète cette réalité.
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