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Poutine-Trump, les choses sérieuses commencent

Arnaud Dubien Arnaud Dubien
10 février 2025
La chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF : https://www.rtbf.be/article/l-il-de-moscou-poutine-trump-les-choses-serieuses-commencent-11501957




Les présidents russe et américain se sont-ils parlé ? C’est en tout cas ce qu’a déclaré Donald Trump au tabloïd New York Post le 9 février (avant de se raviser et de lâcher qu’il ferait mieux de ne pas le dire). Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a quant à lui botté en touche, affirmant – contre toute vraisemblance – n’être en mesure ni de confirmer ni de démentir un tel entretien. Il a seulement admis que des échanges bilatéraux avaient bien lieu par plusieurs canaux (l’un d’entre eux semblant conduire aux Émirats arabes unis, un pays qui joue déjà un rôle de médiateur dans les échanges de prisonniers entre Moscou et Kiev et qui est en lice – au même titre que l’Arabie saoudite – pour héberger un éventuel sommet russo-américain dans les semaines à venir).

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : la nouvelle administration américaine s’est saisie du dossier et, à quelques jours de la conférence de Munich sur les questions de sécurité – le grand raout annuel des élites politico-militaires occidentales – on entre dans le vif du sujet.

Alors qu’une grande prudence – voire un certain scepticisme – régnait à Moscou depuis novembre quant aux perspectives de règlement du conflit ukrainien et, plus généralement, quant au potentiel réchauffement des relations avec Washington, la tonalité semble évoluer ces derniers jours.

Il faut dire que plusieurs signaux jugés encourageants ont été relevés par les décideurs russes. Certes, l’entourage de Trump évoque toujours de possibles nouvelles sanctions en cas de refus de négocier, et il semblerait que l’aide militaire américaine à l’Ukraine se poursuive. Mais la mention, par le général Kellogg, l’envoyé spécial du président américain, de nécessaires élections en Ukraine, quelques jours seulement après que Vladimir Poutine a une nouvelle fois souligné l’absence de légitimité de Volodymyr Zelensky, est vue comme une évolution significative (susceptible de raviver les divisions et l’instabilité à Kiev).

Les propos de Donald Trump sur les terres rares (lesquelles, au demeurant, se trouvent pour l’essentiel dans le Donbass) illustrent l’approche essentiellement transactionnelle d’une administration qui veut rompre avec le "quoi qu’il en coûte" et qui semble avant tout pressée de se débarrasser du dossier au profit des Européens. Or, à tort ou raison, le Kremlin ne croit pas les Européens capables de fournir seuls à l’Ukraine une aide financière et militaire comparable à celle octroyée depuis le 22 février 2022.

Pour autant, rien ne dit que l’on soit à la veille d’un "deal" russo-américain. Car – sauf à verser dans le complotisme – les objectifs de Trump et de Poutine diffèrent. Le premier veut mettre un terme à la guerre ; le second (encore) veut la gagner. D’où les déclarations de responsables russes – alors même que rien n’a encore filtré du plan américain – sur le refus d’un simple cessez-le-feu sans règlement d’ensemble, c’est-à-dire sans un accord sur la sécurité européenne.

Quelles "carottes" les Américains vont-ils mettre sur la table et quelles concessions les Russes envisagent-ils ? Washington semble prêt à remiser aux calendes grecques la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Mais comment formaliser un tel revirement et le rendre crédible aux yeux de Poutine ? L’administration Trump semble également ouverte à l’idée d’une levée partielle et progressive des sanctions, mais l’Union européenne – qui travaille à un 16e paquet – emboîtera-t-elle le pas ?

Côté russe, hormis la cessation des hostilités et la restitution du secteur de Voltchansk dans la région de Kharkiv, on peine à discerner ce que le Kremlin pourrait lâcher. Le récent entretien téléphonique entre Poutine et Xi Jinping et les visites croisées prévues cette année à l’occasion du 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne et le Japon montrent au contraire que le "partenariat stratégique" russo-chinois n’est pas à vendre. Au Moyen-Orient, la chute du régime de Bachar al-Assad et l’affaiblissement des positions russes qu’il induit contribuent plutôt à crisper le Kremlin.

Dans ce contexte, quel choix fera Poutine ? Le moins probable est qu’il accepte immédiatement et sans discussion une Pax americana en Ukraine. Mais il est tout aussi improbable qu’il claque la porte au nez de Trump. En toute logique, il devrait "donner du temps au temps", initier une négociation avec les États-Unis tout en poursuivant en parallèle les opérations militaires.

Car, rappelons-le, les objectifs de Moscou sur le terrain ne sont pas atteints. Un petit tiers de la région de Donetsk échappe toujours au contrôle de la Russie (tout comme 450 kilomètres carrés de la région de Koursk). L’armée russe, si elle pousse depuis l’automne 2023, n’a pas "cassé les reins" de l’armée ukrainienne et ne progresse qu’à un rythme assez lent (entre 10 et 20 kilomètres carrés par jour en moyenne). Surtout, la direction russe estime que plusieurs paramètres cruciaux – état d’esprit de la société et des élites ukrainiennes, unité des Occidentaux, situation économique et rapport de forces politiques en Europe, etc. – sont de nature à évoluer sensiblement (et favorablement à ses intérêts) d’ici à l’automne prochain.

Un accord russo-américain, s’il n’est pas certain, est néanmoins probable. Car fondamentalement Poutine le souhaite (bien plus que les Canadiens, les Danois ou les Panaméens nous faisait remarquer ces derniers jours un collègue moscovite facétieux). Mais il ne sera atteint que lorsque Poutine estimera que le rapport de forces militaire et diplomatique lui permettra de sortir sans risque du piège ukrainien.




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