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Après le clash Trump-Zelensky, quelles options pour le Kremlin ?

Arnaud Dubien Arnaud Dubien
3 mars 2025
La chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF : https://www.rtbf.be/article/apres-le-clash-trump-zelensky-quelles-options-pour-le-kremlin-11512206




Dans notre chronique du 10 février, nous expliquions que les choses sérieuses entre Moscou et Washington commençaient. Depuis, les choses se sont spectaculairement accélérées : (premier ?) entretien téléphonique Poutine-Trump (12 février), rencontres des délégations russe et américaine à Riyad (18 février) puis à Istanbul (28 février).

En parallèle, le monde assistait, stupéfait, à la rupture en direct entre le président ukrainien Zelensky et Donald Trump, tandis que les dirigeants français et britanniques tentaient – sans grand succès à ce stade – de recoller les morceaux de ce qui était jusqu’à une date récente le " camp occidental " et de conjurer le spectre d’un lâchage de Kiev.

Les positions du Kremlin sont donc à l’évidence plus favorables qu’au début de l’année, mais les choses ne sont pas forcément plus claires pour lui aujourd’hui.

Le principal acquis est sans conteste le dégel des relations bilatérales avec les Etats-Unis. A la prudence initiale face aux incertitudes de la présidence Trump a succédé un optimisme prudent mêlé, depuis vendredi dernier, de délectation à la suite de l’altercation entre responsables américains et ukrainiens dans le bureau ovale de la Maison-Blanche.

Pour autant, parler d’un nouvel axe Moscou-Washington est pour le moins prématuré. Russes et Américains n’ont apparemment avancé que sur le rétablissement du fonctionnement de leurs ambassades respectives, presque vides à la suite des vagues d’expulsions de ces dernières années (les Etats-Unis ont donné leur agrément à la nomination d’Alexandre Dartchiev à Washington mais rien n’a filtré sur une possible réouverture des consulats des deux pays).

Sur le plan économique, le Kremlin a mis sur la table des coopérations en Arctique (où il avait dû laisser entrer la Chine ces dernières années) et il teste la réceptivité des Américains à une reprise des liens dans l’aéronautique notamment (Boeing, dont les activités civiles sont mal en point, pourrait récupérer les contrats d’Airbus et sécuriser ses approvisionnements en titane).

Mais si les premiers échanges – en particulier entre Steve Witkoff et Kirill Dmitriev, qui sait parler aux Américains et qui a été nommé entre-temps représentant spécial du président pour la coopération internationale en matière d’investissements – sont encourageants vu de Moscou, aucune percée n’est envisageable sans une levée des sanctions. Or, jusqu’ici, l’administration Trump a toujours souligné qu’elle n’était envisageable qu’après un accord de paix en Ukraine.

La rencontre Poutine-Trump, qui est en cours de préparation, permettra-t-elle d’accélérer les événements ? Il est clair en tout cas que ne plus être identifié par le président américain comme le principal "empêcheur de paix" ouvre des perspectives. Mais l’altercation de vendredi dernier dans le bureau ovale et le découplage qui s’amorce entre les deux rives de l’Atlantique a une autre conséquence, moins favorable : elle éloigne la probabilité d’un "deal" sur l’Ukraine entre le Kremlin et la Maison-Blanche.

Dans ce contexte, Poutine va sûrement mettre l’accent sur les autres dossiers bilatéraux et tenter de convaincre Trump de l’avantage qu’il y aurait à normaliser leurs relations, indépendamment de l’évolution du dossier ukrainien. Tout en surveillant deux éléments cruciaux pour son équation. D’une part, les positions des Européens et leurs initiatives en direction de Washington. A ce stade, les Russes considèrent, à tort ou à raison, que Trump ne changera pas d’avis sur l’octroi d’une " garantie ultime " aux Européens.

D’autre part, l’étendue des dégâts entre Kiev et Washington. L’administration Trump ira-t-elle jusqu’à interrompre l’aide militaire (y compris en termes de renseignement) ? Ou n’a-t-elle pour objectif que de tordre le bras de Zelensky à des fins mercantiles avant de revenir à des positions plus classiques vis-à-vis des Européens et de Moscou ?

Le Kremlin garde le cap et plusieurs fers au feu. Sur deux des sujets les plus activement débattus en Occident – le cessez-le-feu en Ukraine et le déploiement d’un contingent de maintien de la paix – il reste inflexible : pas de cessations des hostilités avant la conclusion d’un accord politique en bonne et due forme ni aucun soldat issu de pays membre de l’OTAN (sauf peut-être de Turquie) sur le sol ukrainien.

Le scénario qui verrait les Etats-Unis se désintéresser de l’Ukraine et les Européens poursuivre seuls leur aide à Kiev est peut-être celui qui a les faveurs de Poutine : il pourrait en effet lui permettre d’atteindre ses objectifs militaires sur le terrain d’ici quelques mois et peut-être d’obtenir un règlement plus proche d’une capitulation que le serait un accord signé aujourd’hui. Reste à savoir si l’armée russe – dont les performances offensives n’ont jusqu’ici guère impressionné les observateurs – est capable de transformer les fissures de la défense ukrainienne en brèches et de les exploiter.

L’autre écueil possible est ce que Staline qualifiait, à une autre époque, de "vertige du succès". Un Kremlin trop agressif militairement et trop gourmant politiquement ne provoquerait-il pas un changement d’attitude chez Trump et son administration ? Le sommet russo-américain qui devrait se tenir en mars permettra sans doute d’y voir plus clair.


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