Ru Ru

« 3 questions à » Tatiana Stanovaya sur les élections fédérales, régionales et municipales du 13 septembre 2020 en Russie

Tatiana Stanovaya Tatiana Stanovaya
15 septembre 2020
Tatiana Stanovaya, chef du cabinet d’expertise R.Politik, membre du Conseil scientifique de l’Observatoire franco-russe

1. Quelles leçons générales peut-on tirer des différents scrutins du 13 septembre ?

Les élections régionales et fédérales sont toujours un test sérieux pour un régime qui doit démontrer sa capacité à contrôler le processus politique. À cet égard, ces élections, de même que celles de l'année dernière, ne sont pas tant une mesure de la popularité des candidats du Kremlin et du parti au pouvoir qu'un test de la "solidité" du régime, et la principale conclusion à ce jour est que le régime a passé ce test de manière très convaincante. À en juger par le fait qu'à la veille de l'élection, le Kremlin se justifiait ouvertement en vue d'éventuels seconds tours, les présentant comme naturels (et se préparant en fait à d'éventuelles défaites), les résultats finaux ont surpris même les superviseurs de la politique intérieure au Kremlin. Les 18 gouverneurs ont tous gagné au premier tour, y compris dans des régions difficiles avec des campagnes compétitives, comme à Irkoutsk ou à Arkhangelsk. En règle générale, soit l’opposition systémique a conclu des accords avec le Kremlin pour se répartir les mandats (le cosmonaute Alexandre Samokoutyaïev a par exemple remporté une législative partielle pour la Douma d'État sous la banière de Russie Juste dans une circonscription où Russie Unie n'a pas désigné de candidat), soit ses représentants n’ont pas été autorisés à se présenter (à de rares exceptions près). Les « ressources administratives » et la nature de la campagne (vote de trois jours, choix limité, « incitations » à la participation) permettent aujourd’hui aux autorités de maintenir en douceur le contrôle politique exercé sur les élections régionales sans rencontrer de résistance sérieuse.

2. Y a-t-il eu un "effet Navalny" ?

Navalny et son équipe n’ont été représentés qu’à la marge lors de ces élections - leurs candidats n'ont participé ni aux élections des gouverneurs ni aux élections des assemblées législatives des régions, mais seulement aux élections municipales et dans un nombre très limité de villes. Ils parviennent néanmoins à faire leur entrée dans les assemblées municipales de Novossibirsk et de Tomsk. Ici, il est important de comprendre que les candidats de l'opposition « hors système » et les candidats soutenus par le « vote intelligent » ne sont pas les mêmes, ce qui est devenu une des lignes de fracture dans le camp de l'opposition. Des candidats sérieux, réellement d'opposition, n'ont pas toujours été soutenus par le « vote intelligent ». Le « vote intelligent » est une stratégie « dépersonnalisante » visant à soutenir tout candidat capable de se hisser à la seconde place, derrière le candidat du pouvoir. Mais étant donné que les communistes et les nationalistes, qu’on peut généralement considérer comme des acteurs du système, sont souvent les mieux placés pour ce faire, les autres candidats de l'opposition y perdent une partie de leurs soutiens. Les débats suscités par cette stratégie ont contribué à en limiter l’effet. Quant à l'empoisonnement de Navalny, il semble qu'il n'ait pas eu d'effet mobilisateur sérieux, mais il n'a pas non plus conduit à l’effondrement de l’opposition « hors système ».

3. Peut-on considérer les élections du 13 septembre comme une "répétition générale" des législatives, à un an de l'échéance ?

Ces élections ne sont pas une répétition, mais plutôt un casting. Le Kremlin, ou plutôt les superviseurs de la politique intérieure au sein de l’administration présidentielle, doivent trancher deux questions d’importance stratégique sur la base des résultats de ces élections - qui pour représenter le pouvoir lors des prochaines élections à la Douma en septembre 2021 et des élections anticipées doivent-elles être organisées ? (la date visée est avril prochain). En ce qui concerne la première question, trois nouveaux partis politiques soutenus par l'administration présidentielle, en obtenant des sièges dans de assemblées législatives régionales, pourront désormais présenter des candidats aux élections de la Douma sans avoir à recueillir de signatures : c’est ce qu’on appelle la « franchise parlementaire ». Par exemple, le parti « Nouveaux gens » de l'entrepreneur Alexeï Netchaïev (Faberlik) a gagné plus de 5% dans les régions de Kalouga, Kostroma, Novossibirsk et Riazan ; le parti « Pour la vérité » de Zakhar Prilépine fait son entrée dans l’assemblée de la région de Riazan. Le parti « Alternative verte » a également concouru dans deux régions, mais n'a surmonté la barrière des 5 % que dans la république des Komis. « Le Parti de la démocratie directe » a quant à lui échoué à atteindre ce seuil, bien qu’il ait pu enregistrer des listes dans trois des quatre régions où il souhaitait concourir.

Ces trois partis bénéficiant de la « franchise parlementaire » sont susceptibles de représenter le pouvoir au même titre que Russie Unie lors des élections à la Douma d’Etat, bien que cela suscite de sérieuses discussions et même des conflits sur le bien-fondé de priver le parti au pouvoir d'une sorte de monopole politique. A l'issue de cette élection, les partisans de Russie unie (Medvedev et Tourtchak) et ceux de la diversification de l’offre partisane (superviseurs de la politique intérieure au sein de l'administration présidentielle) s’estiment triomphants – chacun a obtenu les résultats escomptés. Quant aux élections anticipées à la Douma d’Etat, elles restent un scénario extrêmement tentant pour le Kremlin, et l’on ne peut exclure que le Président ne donne un coup d’envoi anticipé à la campagne. Ceci est dû au désir des superviseurs de la politique intérieure de renouveler la chambre basse du parlement, qui est contrôlée par leur adversaire et prédécesseur, Viatcheslav Volodine.
Derniers blogs