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« 3 questions à » Natalia Zoubarevitch sur la situation avec le coronavirus dans les régions russes

Natalia Zoubarevitch Natalia Zoubarevitch
23 mars 2021
Natalia Zoubarevitch, professeur, Université d’État de Moscou (MGU).

1. Quelle est la situation avec le coronavirus dans les régions ? Dans quelle mesure les statistiques officielles reflètent-elles la situation réelle ?

L'indicateur le plus fiable reste celui de la surmortalité mise en évidence par les données de Rosstat. Il est calculé comme la différence entre le nombre de décès pour la période d'avril 2020 à janvier 2021 (les données les plus récentes) et pour la période d'avril 2019 à janvier 2020. À l'échelle nationale, la surmortalité pour les dix mois de la pandémie était de 392 400, soit une augmentation de 26 %. L'augmentation la plus importante a été enregistrée dans les républiques du Caucase du Nord (Tchétchénie – 59%, Daghestan et Ingouchie – 43-46%) en raison du faible développement des structures médicales et de la tradition des mariages et des funérailles bondés, qui ont contribué à la propagation de l'infection. Les taux de mortalité sont plus élevés dans les grandes villes (Moscou et Saint-Pétersbourg – 34 %) en raison de la forte concentration et de la mobilité de la population, et dans les districts producteurs de pétrole et de gaz de la région du Tioumen (districts autonomes yamalo-nénètse et des Khantys-Mansis – 34-36 %) en raison de la prévalence du travail saisonnier (migration temporaire de la main-d'œuvre depuis d'autres régions) et de la concentration des travailleurs saisonniers dans de petites localités.

Rosstat publie également des données sur les décès liés au Covid ou à des causes connexes, sur la base des diagnostics médicaux établis. Au cours des dix mois de la pandémie, la mortalité s'est élevée à 200 000 personnes, soit une surmortalité de 51%. La différenciation régionale est très élevée et peut s'expliquer par les spécificités de l'enregistrement des causes de décès. Par exemple, à Moscou, toute la surmortalité est due au coronavirus et à des causes connexes, alors que dans les républiques de Tchétchénie et du Bachkortostan, la surmortalité n'est que de 4 à 6 % et dans les oblasts de Lipetsk et de Samara et au Tatarstan de 9 à 15 %, ce qui peut difficilement être considéré comme des données fiables.

2. Comment la pandémie a-t-elle affecté la situation économique des régions ? Quelles mesures sont prises au niveau régional ?

Les villes où le secteur des services est plus développé avec une forte composante de petites et moyennes entreprises (PME) ont été les plus durement touchées. Les activités de commerce de détail et de services ont été limitées pendant la pandémie, et le gouvernement n'a guère aidé les PME. En outre, les revenus des ménages ont baissé de 3,5 % en 2020, de sorte que la demande solvable a diminué. En conséquence, le volume du commerce de détail en 2020 s’est contracté de 4% par rapport à 2019, et celui des services – de 17%, Moscou restant la ville la plus sévèrement affectée (-29%).

En outre, la pandémie a frappé les régions exportatrices de matières premières (pétrole, gaz, charbon, diamants etc.) en raison de la forte baisse de la demande mondiale et de l'accord OPEP+. L'activité de l’industrie extractive a baissé de 7 % en 2019 ; un recul particulièrement palpable dans le district autonome des Khantys-Mansis (-10%) et dans le territoire de Krasnoïarsk (-13%). Cela a entraîné une diminution des recettes fiscales sur les bénéfices des sociétés pour les budgets régionaux auxquels les entreprises du secteur extractif sont les plus gros contributeurs.

L'industrie manufacturière en 2020 a retrouvé le niveau de 2019, bien que la dynamique reste mauvaise dans les régions dominées par l'industrie automobile (la région de Samara enregistre un recul de 5%) où la demande est limitée par la baisse des revenus des ménages.

La multiplication par cinq du nombre de chômeurs inscrits – le taux de chômage est passé de 1 % en mars à près de 4,9 % en septembre 2020 – est due à une augmentation du montant des allocations chômage et à une inscription plus facile dans les services d'accompagnement vers l'emploi. Depuis octobre, les règles se sont durcies et les prestations ont diminué, de sorte que le taux de chômage est retombé à 3,4 % en janvier 2021. Cela ne traduit pas le fait que le marché du travail s'est redressé, mais plutôt que les autorités ont décidé d'optimiser les dépenses du budget fédéral en matière d'allocations de chômage.

3. Dans quelle mesure la lutte contre l'épidémie a-t-elle affecté les relations entre le centre fédéral, les régions et la gouvernance régionale ?

La relative décentralisation de la gouvernance constatée pendant la pandémie s’explique par les fortes disparités régionales et la volonté des autorités fédérales de se décharger de leurs responsabilités en les transférant aux gouverneurs. Les régions ont donc été compétentes en matière d’instauration de restrictions pour la population et pour les entreprises du secteur des services, mais les grandes entreprises industrielles ont en revanche continué de fonctionner. Les restrictions les plus sévères lors de la première vague de la pandémie ont été imposées par Moscou et la région de Moscou.

Une des conséquences du confinement et de la détérioration de la conjoncture globale pour les grandes entreprises a été la réduction de 20% des recettes propres (sans transferts budgétaires) des budgets régionaux au deuxième trimestre 2020. Par conséquent, lors de la deuxième vague, aucune restriction sévère n'a été introduite.
Au niveau budgétaire, la centralisation s'est accrue en 2020 et les régions sont devenues plus dépendantes. 
Au niveau budgétaire, la centralisation s'est accrue en 2020 et les régions sont devenues plus dépendantes. En 2020, les transferts fédéraux aux régions ont crû de 54%, du jamais-vu. La part des transferts dans les budgets régionaux est passée de 19 % à 26 %. La plupart de ces transferts sont fléchés, et les régions se sont vu prescrire par le Centre ce à quoi ils devaient être consacrés.

Ainsi, les recettes budgétaires régionales ont augmenté de 10 % en 2020, mais les dépenses ont augmenté encore plus vite : +15 %, dont +72 % pour les dépenses de soins de santé et + 24 % pour les dépenses de protection sociale. En outre, les régions doivent remplir de nombreux objectifs fixés par décret présidentiel pour lesquels des transferts ont également été alloués, ce qui a nécessité un cofinancement du budget régional.

Il n'y a pas eu assez d'argent pour tous ; 57 régions ont terminé l'année 2020 avec un budget en déficit. La dette des régions et des municipalités s’est creusée en passant de 2 400 à 2 800 milliards de roubles. Les régions se retrouvent donc aujourd’hui encore plus dépendantes du soutien financier du Centre.
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