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« 3 questions à » Hugo Estecahandy sur la proposition d’interdire les cryptomonnaies en Russie

Hugo Estecahandy Hugo Estecahandy
26 janvier 2022
Hugo Estecahandy est doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8) et chercheur au sein du projet GEODE – Géopolitique de la Datasphère

1. Les autorités russes envisagent de réguler, voire d’interdire les cryptomonnaies. Concrètement, quelles sont les pratiques visées ?

La banque centrale russe vient effectivement de publier un rapport appelant à suivre l’exemple de la Chine en interdisant l’émission, la circulation et le minage de cryptomonnaies en Russie. Cela entraînerait un net durcissement de la juridiction russe, en place depuis janvier 2021 (loi 259), qui autorise leur minage et la spéculation tout en excluant leur utilisation pour le paiement de biens ou services. Plusieurs pratiques sont dans la ligne de mire de la Banque centrale de Russie, qui prédit une démocratisation rapide des cryptomonnaies pour la spéculation et l’épargne. Selon le rapport, cela accroîtrait le risque financier pour les individus et diminueraient le potentiel de réinvestissement du système financier russe dans l’économie réelle. Mais un recours massif des Russes au bitcoin et consorts fragiliserait surtout la position du rouble comme monnaie nationale unique, et donc la portée des politiques monétaires de la banque centrale ainsi que la souveraineté monétaire du pays.

2.  Qui est à la manœuvre sur ce dossier ? Quels sont les enjeux pour les autorités russes ?

Si ces propositions émanent de la banque centrale, leur mise en œuvre satisfera plusieurs branches des autorités. Outre la Banque Centrale de Russie, les services de sécurité russes voient dans certaines cryptomonnaies un moyen de financer des organisations ou acteurs jugés criminels, terroristes ou extrémistes, et une complexification du contrôle des activités des internautes sur l’Internet russe. Mais surtout, une Russie sans cryptomonnaies laisserait le champ libre aux autorités pour instaurer leur propre monnaie numérique, évoquée dans le rapport. En projet depuis plusieurs mois, ce « rouble numérique » permettrait à la Russie de disposer d’une monnaie numérique centralisée, contrôlée mais également émancipée des structures financières traditionnelles, entre autres utilisées par les États-Unis pour appliquer des sanctions. Mais, même votée, cette interdiction sera complexe à mettre en place et équivaudrait à empêcher toute connexion à des plateformes d’échange depuis le territoire russe. Et les autorités russes n’ont pas encore l’amplitude de contrôle sur leur réseau Internet que peut avoir, par exemple, la Chine.

3. Comment ces régulations peuvent-elles impacter le secteur du « minage » en Russie et les infrastructures physiques mises en place à cet effet, notamment en Sibérie ?

Le rapport évoque également une interdiction du minage, ce processus de création et de sécurisation de certaines cryptomonnaies (bitcoin, ether) grâce à une grande puissance de calcul informatique. L’activité, lucrative, est très développée en Russie, surtout en Sibérie qui dispose des ressources adéquates (électricité peu chère, climat froid et sec). Une interdiction stricte du minage porterait un coup d’ arrêt à ces activités développées à une échelle industrielle et conduirait à une relocalisation des infrastructures physiques à l’étranger, comme ce fut le cas pour la Chine. Cette interdiction paraît cependant peu probable, tant le secteur implique d’importants acteurs, notamment des compagnies énergétiques qui peuvent écouler en grande quantité leur surplus électrique. Mais une régulation plus forte est plausible pour limiter cette consommation. Récemment, le gouverneur de l’oblast d’Irkoutsk (Sibérie) appelait Moscou à mieux encadrer le secteur, soulignant que le développement massif et anarchique du minage dans sa région entraînait une explosion de la consommation électrique et des coupures de courant.

Consultez l'article de Hugo Estecahandy « Les industries de minage de cryptomonnaies en Russie » paru dans le Rapport annuel de l'Observatoire franco-russe « Russie 2021 ».
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