On débat souvent, ces derniers temps, de l’affaiblissement des positions politiques et d’appareil du patriarche Cyrille. Cela vient, en premier lieu, de la question ukrainienne – le patriarche de Constantinople ayant octroyé l’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine (1). Cette décision, et la rupture qui s’en est suivie avec l’Église orthodoxe de Russie, ont marqué une défaite du patriarche, moins tactique que de long terme. Reste à savoir dans quelle mesure cette défaite influe sur le leadership de Cyrille dans l’Église, alors qu’on évoque sur internet la question de son éventuel départ en donnant même le nom de son successeur, le métropolite Tikhon (Chevkounov), qui n’est en rien lié à l’histoire ukrainienne.
La rupture avec Constantinople
La question des relations entre les Patriarcats de Moscou et de Constantinople a une dimension non seulement de politique étrangère, mais aussi de politique intérieure, y compris au sein de l’Église. Un sérieux problème se pose, en effet, au patriarche, sans compter que la position du responsable des relations extérieures, le métropolite Hilarion (Alfeïev), chargé de l’orientation de la politique de l’Église pour l’Ukraine et Constantinople, s’en trouve affaiblie.
Dans la confrontation en cours avec Constantinople, Cyrille a des arguments : la majorité absolue des clercs et des fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne, englobée dans le Patriarcat de Moscou, a refusé de rallier la nouvelle Église. Mais il y a plus important : il a été impossible, en Ukraine, d’empêcher la formation d’une nouvelle réalité religieuse – la création d’une juridiction parallèle, ayant le statut canonique de Patriarcat œcuménique (au sens « universel »). Cette juridiction est susceptible d’attirer peu à peu à elle les clercs et les ouailles actuellement d’obédience moscovite. Si l’Ukraine continue à prendre ses distances vis-à-vis de la Russie, ce scénario risque, à long terme, de se changer en réalité tangible.
On peut accuser Bartholomée, patriarche de Constantinople, d’être à l’origine d’un schisme dans l’Église, mais force est de reconnaître que la cause première du conflit remonte au refus de l’Église orthodoxe russe de participer au Concile panorthodoxe de Crète en 2016. On s’y préparait depuis 1961 et, pour Bartholomée, il était essentiel qu’il ait lieu : il devait être l’événement majeur de son patriarcat. Des représentants de l’Église russe avaient pris une part active à sa préparation, en collaboration étroite avec Bartholomée et ses représentants, qui, à leur tour, évitaient de mentionner la question ukrainienne, sans parler d’évoquer quelque démarche que ce soit en faveur de l’autocéphalie. Toutefois, à la veille du concile, l’Église orthodoxe de Russie changeait brusquement d’attitude. Elle demandait simplement, il est vrai, le report du concile ; mais cette position rappelait les déclarations du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, qui, à la fin de 2013, affirmait que la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne n’était pas annulée, juste repoussée « pour un temps ». Les observateurs comprenaient aussitôt que ce « pour un temps » pouvait, en réalité, durer des décennies. Or, la révision du compromis difficilement trouvé entre les différentes Églises sur les projets de documents devant être discutés au concile entraînerait l’écroulement de tout l’édifice. On apprendra sans doute, un jour, quel motif a été décisif pour que l’Église russe renonce à y prendre part. S’agissait-il d’une manifestation de solidarité avec le patriarche d’Antioche, qui soutenait Bachar el-Assad et refusait de participer au concile de Crète en raison d’un conflit prolongé avec le patriarche de Jérusalem ? D’une volonté de ne pas irriter, au sein de l’Église, les conservateurs qui suspectent le patriarche Cyrille et le métropolite Hilarion de trahir secrètement la véritable orthodoxie (ce fut la raison du refus de participer des Géorgiens et des Bulgares, comme des hésitations des Serbes, qui finirent, malgré tout, par venir) ? Cette seconde explication est peu vraisemblable, car les conservateurs avaient critiqué, auparavant déjà, la préparation du concile, mais on n’avait pas tenu compte de leurs arguments.
La version la plus convaincante concerne la politique intérieure : l’influence des représentants des élites de Russie, nourris aux théories de moines conservateurs russes et grecs (au mont Athos, principal centre spirituel orthodoxe du monde), qui considéraient le concile de Crète comme une trop grande concession à l’œcuménisme.
Paradoxalement, l’establishment de Russie ne peut plus, aujourd’hui, se confesser et communier auprès de starets (2) du mont Athos qui, malgré leurs critiques, n’ont pas l’intention de quitter la juridiction de Constantinople. L’une des premières réponses de Cyrille à la décision de Constantinople d’octroyer l’autocéphalie à l’Église orthodoxe ukrainienne aura précisément été de mettre l’accent sur le fait que la rupture des relations avec le Patriarcat œcuménique s’étendait au mont Athos. Les visites à ce sanctuaire n’en sont pas pour autant interdites et l’on peut également s’y incliner devant les reliques, mais ce « tourisme orthodoxe » ne suffit manifestement pas pour une vie religieuse digne de ce nom. Par la suite, le Patriarcat de Moscou a fait une exception pour le monastère Saint-Pantaléon qui, avant même la révolution, était important pour préserver l’influence russe au mont Athos et où sont célébrés les deux patriarches, Bartholomée et Cyrille.
En tout état de cause, c’est après le refus de l’Église russe de participer au concile de Crète que Bartholomée a entrepris de préparer le tomos d’autocéphalie pour l’Ukraine. Cyrille n’a pas réussi à convaincre le pouvoir russe de la nécessité de ce voyage pour l’avenir de l’Église et, sur le plan politique, il a perdu la partie.
Le facteur Tikhon
Cyrille étant en difficulté, le métropolite de Pskov et de Porkhov, Tikhon (Chevkounov), dont l’influence politique est comparable à celle du patriarche, fourbit méthodiquement ses armes. On le considère comme le père spirituel de Vladimir Poutine. On peut toutefois penser que le président n’a pas de guide spirituel attitré. Néanmoins, la proximité de Tikhon et du président en exercice est évidente. Les médias affirment que celui qui allait devenir le métropolite de Pskov a supervisé la construction d’une église dans la résidence de Vladimir Poutine, à Novo-Ogariovo. Tous deux se connaissent depuis le début des années 2000. Tikhon a aidé le président à résoudre le problème de la réunion de l’Église orthodoxe de Russie et de l’Église orthodoxe russe de l’étranger en 2007 – unité qui, de fait, s’est effectuée sous le patronage de Vladimir Poutine. Tikhon a pu montrer aux évêques et clercs de l’Église hors frontières qu’il y avait dans l’Église orthodoxe de Russie une nouvelle génération de clercs qui comprenaient les erreurs de leurs prédécesseurs, lesquels avaient collaboré avec le pouvoir soviétique, et qui avaient du respect pour l’exploit des martyrs du XXe siècle (dans le même temps, il se prononce pour une synthèse des traditions soviétiques et prérévolutionnaires).
Il n’est pas étonnant que Tikhon ait eu les coudées franches ou presque sous la présidence Poutine : et d’organiser, au Manège, de grandes expositions sur l’histoire des Romanov, les Rurikides (3), la Rus orthodoxe. Elles ont servi de base à d’autres expositions sur « les parcs historiques, sous l’intitulé « La Russie est mon histoire », dans une série de régions. Celles-ci ont été approuvées par les historiens officiels (dont le directeur de l’Institut d’histoire de Russie de l’Académie des sciences, Iouri Petrov), tandis que se voyait blâmée la Société historique libre, qui avait établi que certaines citations illustrant les expositions relevaient de la pure falsification. En outre, au monastère Sretenski, au centre de Moscou, dont Tikhon était le supérieur avant sa nomination à Pskov, une grande cathédrale des Nouveaux Martyrs de Russie était construite en un temps record et consacrée en 2017. Sans le soutien de l’État, c’eût été impossible.
Toutefois, les demandes de Tikhon ne bénéficient pas toujours d’un soutien des autorités politiques, par exemple pour un projet de manuel d’histoire de la Russie fondé sur les documents des expositions. En 2014, Vladimir Poutine a brusquement critiqué le contenu de l’exposition consacrée aux Rurikides, reprochant aux auteurs leur partialité, leur idéalisation de Iaroslav le Sage (4) et le trop grand intérêt porté à la théorie normande des origines de la Rus (5).
Tikhon garde pourtant des positions solides dans l’appareil, d’autant qu’on cite, au nombre de ses « fils spirituels », des représentants connus des « structures de force ». À la différence de Cyrille, Tikhon se positionne, de façon mûrement réfléchie, comme l’héritier des traditions monacales les plus strictes, mâtinées d’antilibéralisme et d’anti-occidentalisme. Par ailleurs, il a l’art de présenter ses idées sous un emballage moderne. Les nombreux volumes d’écrits de Cyrille (essentiellement composés de sermons et discours) prennent la poussière sur les rayonnages, tandis que le bestseller orthodoxe de Tikhon, Père Rafaïl et autres saints de tous les jours, est lu non seulement en Russie, mais aussi à l’étranger (6).
Tikhon propose aux auditeurs qu’il cible (or, ils sont nombreux et variés, depuis les représentants des « structures de force » jusqu’aux vieilles femmes pieuses) une variante d’orthodoxie qui leur convient parfaitement : un mélange de spiritualité traditionnelle et de discours patriotique, dans lequel une place est ménagée à la fois aux nouveaux martyrs (des orthodoxes persécutés par le pouvoir soviétique) et à Staline, à des titres divers, on s’en doute. Les nouveaux martyrs sont ici de pures victimes, Staline est à la fois leur oppresseur et une figure tragique dont il ne convient pas de rire, à la différence du film franco-britannique La mort de Staline, interdit en Russie. En revanche, les libéraux qui ont détruit le pays en 1917 (et, bien sûr, en 1991) sont uniformément mauvais. Tout cela parle au représentant des « structures de force » autant qu’à la vieille femme pieuse. On reproche au livre Père Rafaïl et autres saints de tous les jours sa justification du conformisme de l’époque soviétique. Mais la vieille femme pieuse (qui était alors enseignante, médecin ou ingénieur) était conformiste, le représentant des « structures de force » (alors jeune lieutenant ou capitaine) – aussi. En outre, Tikhon est l’un des rares responsables orthodoxes capables de présenter tout cela avec brio, d’une façon simple et accessible.
Son approche est liée au dilemme auquel a été confrontée l’Église orthodoxe de Russie dans les années 1960. Le métropolite Nicodème (Rotov), maître du patriarche Cyrille, proposait à l’Église de changer en s’adaptant à l’esprit du temps, de se montrer large d’esprit, de tenter d’attirer dans ses rangs des gens instruits et en proie au doute. Ses adversaires, qui soutenaient le patriarche Pimène (Izvekov), partaient du principe que l’Église devait combiner spiritualité et patriotisme, qu’elle devait s’enraciner dans l’histoire du pays. Alors, le pouvoir ferait peut-être appel à elle, elle attirerait l’intelligentsia patriotique (l’intelligentsia libérale, elle, était jugée nocive pour l’Église par les tenants de cette approche).
Tikhon parvient à maintenir ce que l’on peut appeler schématiquement la « ligne Pimène », ce qui est autrement plus compliqué pour Cyrille. Ce dernier doit manœuvrer entre les tentatives d’effectuer de prudents changements dans l’Église (depuis l’installation d’iconostases basses (7) dans les lieux de culte, jusqu’à l’édition – avec sa bénédiction – des écrits du père Alexandre Men, libéral assassiné en 1990, dans des circonstances non élucidées), en passant par la volonté de ne pas froisser les plus conservateurs et de s’enraciner dans le discours patriotique. Le résultat est que le patriarche est critiqué tout autant pour ses attitudes « rétrogrades » que pour son « modernisme ».
Tikhon, aussi, a des problèmes – notamment pour ses propos sur le caractère rituel du massacre de la famille impériale –, mais ils tirent moins à conséquence. En 2017, il prépare la reconnaissance par l’Église des « restes d’Ekaterinbourg » – les dépouilles du tsarévitch Alexis et de la grande-duchesse Marie (retrouvés après les autres membres de la famille impériale) –, afin qu’ils soient inhumés solennellement dans la collégiale de la forteresse Pierre-et-Paul, à Saint-Pétersbourg. Or, malgré toute son influence, Tikhon ne réussit pas à convaincre les plus conservateurs de l’Église de l’authenticité des dépouilles. Pire, en dialoguant avec eux, il parle publiquement du caractère rituel de l’assassinat des Romanov, rejoignant ici un discours antisémite qui contredit la représentation affichée par le pouvoir russe d’une concorde entre les diverses nationalités (8) du pays. Tikhon s’enferre ensuite, en expliquant qu’il songe ici à certains « rituels bolcheviques », mais il n’est pas convaincant. L’identification des restes n’est toujours pas définitive, en raison de l’opposition des conservateurs (en l’occurrence, il s’agit de la véritable raison, à la différence du refus de prendre part au concile de Crète).
En 2018, Tikhon est muté de Moscou à Pskov ; d’évêque vicaire, il devient métropolite. D’un côté, il s’éloigne de Moscou où se trouvent la plupart de ses « fils spirituels » influents ; de l’autre, selon le règlement en vigueur dans l’Église orthodoxe russe, seul un évêque à la tête d’un diocèse peut prétendre au patriarcat. Dans ses nouvelles fonctions, Tikhon se montre actif. Il interdit les « enveloppes » – dons au métropolite à l’occasion de consécrations, de fêtes, etc. Ces « enveloppes » alourdissaient considérablement la tâche des prêtres, qui devaient déjà contribuer régulièrement aux besoins du diocèse. Les paroisses rurales pauvres, qui ne disposaient pas de généreux donateurs, se retrouvaient dans une situation difficile. Les détracteurs du patriarche Cyrille prétendent que l’augmentation du nombre d’évêques, depuis le début de son patriarcat, a entraîné un accroissement de la pression financière sur les paroisses. Tikhon joue donc sur le contraste, en prenant une initiative populaire. De plus, compte tenu des moyens qui sont les siens, il peut parfaitement se passer d’« enveloppes ».
Tikhon projette d’ouvrir dans la métropolie de Pskov un séminaire théologique. Son prédécesseur, le métropolite Eusèbe (Savvine), n’était parvenu à ouvrir à Pskov qu’une école théologique, au statut nettement moins élevé. Toutefois, en juillet 2019, le séminaire qu’il a créé à Moscou en 1999 au monastère Sretenski, est confié par intérim au recteur de l’Académie théologique de Moscou, l’archevêque Ambroise (Ermakov), signe, pour Tikhon, d’une perte de contrôle d’un établissement d’enseignement essentiel pour lui. Le bruit courait d’une fusion de l’Académie et du séminaire. Bien qu’il ne soit pas confirmé, ces établissements d’enseignement formeront, de fait, un même ensemble, dans lequel on n’entrevoit pas de place pour Tikhon, et rien n’exclut une fusion par la suite. Ces événements soulignent la complexité des relations entre Tikhon et le patriarche Cyrille, à l’origine de ces récents changements.
Le patriarche et le contrôle de l’Église
L’avenir proche risque d’être agité pour le patriarche Cyrille, qui n’aura pas trop de toute son expérience pour garder sa position dans l’élite politique. Il semble qu’il soit d’ores et déjà résolu à passer à l’action, et pas seulement en ce qui concerne le séminaire Sretenski. Le 26 février 2019, il réunissait le Saint-Synode, qui prenait plusieurs décisions concernant les cadres de l’Église. Le chancelier et le président de l’administration financière et économique du Patriarcat de Moscou, ainsi que le supérieur de la laure de la Trinité Saint-Serge se voyaient remplacés. Leurs successeurs ont pour caractéristiques d’être jeunes et proches de Cyrille.
Le chancelier (en quelque sorte, le « Premier ministre ») est désormais le métropolite Savva (Mikheïev), ordonné évêque sous le patriarcat de Cyrille. Né en 1980, il doit le début de sa carrière ecclésiastique au métropolite de Riazan, Simon, aujourd’hui défunt, modeste évêque, dénué de toute prétention au pouvoir ou à la création de sa propre « clientèle » au sein de l’Église. Une fois le métropolite Simon parti pour une retraite bien méritée au monastère Nikolo-Babaïevski, dans le diocèse de Iaroslavl, Savva l’y rejoint et devient frère convers et provost. Après la mort de Simon en 2006, Savva occupe diverses fonctions dans le diocèse, auprès de l’évêque Cyrille (Nakonetchny), aujourd’hui responsable d’un des diocèses les plus influents, celui d’Ekaterinbourg. Cyrille favorise à son tour la carrière de Savva.
En 2011, Savva devient évêque, supérieur du monastère Novospasski de Moscou et vicaire d’un autre Cyrille, le patriarche de Moscou et de toute la Russie. En 2014, il est déjà « premier vice-chancelier », puis, en 2018, métropolite de Tver et Kachinsk, occupant une chaire ancienne (plus proche, en outre, de Moscou que celle de Pskov où se trouve Tikhon Chevkounov), qui plus est au moment où son prédécesseur, le métropolite Victor (Oleïnik) est envoyé à la retraite, sans pouvoir achever la restauration de l’église cathédrale, détruite par les bolcheviks. C’est désormais Savva qui gère ce projet, au financement duquel participe le président de Rosneft, Igor Setchine.
Savva est connu pour son pragmatisme. D’un côté, c’est avec lui que le monastère Novospasski devient un « pilier » du mouvement orthodoxe conservateur des « Quarante fois quarante » (9), qui s’occupe officiellement de favoriser la construction de nouveaux lieux de culte à Moscou et recourt à des coups de force contre les adversaires de ces chantiers.
Savva est vice-président du Conseil populaire mondial russe, organisation conservatrice, militant pour un renforcement du rôle de l’orthodoxie en Russie et critiquant le libéralisme. Simultanément, le jeune métropolite montre de la retenue dans ses interventions publiques. Dans ses rapports avec le mouvement des « Quarante fois quarante » autant que dans sa participation au Conseil populaire mondial russe, il apparaît moins comme un politique indépendant que comme le représentant du patriarche, qui encourage la construction d’églises à Moscou, tout en présidant lui-même le Conseil. En outre, Savva « rééquilibre », dans ce cadre, l’influence de l’homme d’affaires Konstantin Malofeïev, connu pour ses ambitions politiques et vice-président de l’organisation, élu en avril 2019. Savva, à l’instar de Cyrille, souhaite que le Conseil soit à vocation non pas politique, mais idéologique et de lobbying.
Konstantin Malofeïev est président-directeur général du groupe Tsargrad, créateur de la fondation caritative Saint-Basile le Grand, président du conseil d’administration du Collège de Saint-Basile le Grand, créé par lui en 2007, membre de la Commission chargée de la famille et de la protection de la maternité, membre du conseil d’administration de la Ligue pour un internet sans danger, qui milite pour le recours à la censure sur la toile, président de « L’Aigle bicéphale », société pour l’enseignement de l’histoire de la Russie.
Malofeïev est diplômé de la faculté de droit de l’université de Moscou depuis 1996. En quatrième année, il se convertit à l’orthodoxie et devient paroissien de l’église de la Sainte-et-Martyre-Tatiana, rattachée à l’Université. Il est orthodoxe et monarchiste, très lié à l’ancien ministre des Communications, aujourd’hui plénipotentiaire du district fédéral central, Igor Chtchegolev. Le plus proche compagnon de lutte de Malofeïev est le général-lieutenant du Service des renseignements extérieurs, Leonid Rechetnikov, directeur, jusqu’en janvier 2017, de l’Institut de recherches stratégiques de Russie. Malofeïev a soutenu l’action du colonel Igor Strelkov, qui, à la veille des opérations militaires en Ukraine, en 2014, était son chef de la sécurité. Il passe pour avoir été le sponsor de la prise de la ville de Slaviansk par Strelkov, au printemps 2014.
Cependant, déjà chancelier de l’Église orthodoxe de Russie, Savva officiait à Tver, le 23 mars, en russe, suscitant un débat houleux, auquel il prenait lui-même part, déclarant que « nul ne pouvait contraindre quiconque à officier dans telle ou telle langue » (10). Au sein de l’Église, ce sont les libéraux qui réclament la possibilité d’officier en russe, les conservateurs se prononçant pour le slavon obligatoire. Cette démonstration de Savva a été considérée comme un signe positif à l’égard des libéraux.
La nomination du métropolite Savva affaiblit les positions de l’ancien chancelier, le métropolite de Saint-Pétersbourg et Ladoga, Barsanuphe (Soudakov), qui perd la partie de la cathédrale Saint-Isaac. En 2017, il évoque, en effet, son espoir de la voir bientôt rendue à l’Église orthodoxe, mais après des protestations massives, le projet est annulé. En 2018, la validité de l’ordre du comité des relations patrimoniales de Saint-Pétersbourg sur la procédure de transfert de la cathédrale arrive à expiration, et l’Église orthodoxe de Russie ne dépose pas de nouvelle demande. Le métropolite Barsanuphe demeure membre permanent du Synode et conserve la très importante métropolie de Saint-Pétersbourg, mais son influence sur les affaires courantes de l’Église diminue sensiblement.
En même temps que Savva, arrivent à la direction de l’Église des jeunes gens frais émoulus de Riazan. L’évêque Denis (Poroubaï), né en 1975, à la tête, dans les années 2011-2018, du diocèse de Kassimov et Sassovsk (dans la région de Riazan), et qui, avant d’étudier à l’Académie théologique de Moscou, a été élève à l’école théologique de Riazan, est nommé premier vice-chancelier de l’Église orthodoxe de Russie. En juillet 2019, Denis devient vicaire du patriarche, autrement dit curateur des paroisses de la ville de Moscou. Le métropolite Arsène (Epifanov), chargé de cette fonction pendant vingt-neuf ans, est envoyé en province, à la tête du diocèse de Lipetsk, ce qui apparaît comme une rétrogradation évidente.
De son côté, le métropolite de Vologda et Kirillov, Ignace (Depoutatov), est nommé à un poste plus important encore : il dirige les finances de l’Église. Ignace a, lui aussi, commencé à Riazan, sous la houlette de l’évêque Simon, qui l’a fait hiéromoine. Il a trois ans de plus que Savva. Il est devenu évêque sous le patriarcat de Cyrille, en cette même année 2011, au monastère Novospasski dont s’occupait Savva, qui a pris part, avec Cyrille, à cette consécration épiscopale. Ces dernières années n’ont pas été simples pour les finances de l’Église orthodoxe de Russie. Sous le mandat du métropolite Marc (Golovkov), ancien président de l’administration financière et économique, les banques liées à l’Église connaissent des problèmes : la stagnation économique entraîne une baisse de la demande de nombreuses réalisations ecclésiastiques. La banque Peresvet, contrôlée par l’Église orthodoxe de Russie, est dotée d’une nouvelle administration temporaire, ce qui la sauve de la banqueroute.
Le changement de génération, sous la houlette du patriarche, ne se limite pas à placer aux postes clefs des anciens de Riazan. Âgé de 41 ans, Savva (Toutounov), vice-chancelier et responsable du service de contrôle et d’analyse du Patriarcat de Moscou, devient ainsi évêque. Sa biographie est inhabituelle pour un homme de l’appareil central de l’Église : il est né en France, dans une famille d’émigrés russes, est diplômé de l’Université de Paris-Sud et de l’Académie théologique de Moscou, a travaillé sous la direction du futur patriarche Cyrille aux affaires extérieures du Patriarcat de Moscou, puis, après l’élection de l’actuel patriarche, a occupé des postes clefs à la Chancellerie.
Autre décision importante concernant les cadres de l’Église : à 42 ans, l’évêque de Bronnitsy, vicaire du patriarche de Moscou et de toute la Russie, devient le supérieur du principal monastère, la laure de la Trinité-Saint-Serge (il succède à l’archevêque Théognoste – Gouzikov – qui occupait cette fonction depuis 1988). Le nouveau supérieur est chargé de poursuivre la reconstruction de la laure. Ainsi, selon le projet de l’Église, près des murs du monastère doit se trouver un « lieu de culte à ciel ouvert » – un champ muni d’une estrade, où auront lieu des offices de masse. De plus, on prévoit de créer, à côté de la laure, une sorte de « Vatican orthodoxe », avec bibliothèque, ensemble d’institutions religieuses, centre pour la jeunesse, salle de congrès et centre de presse. Sur ce territoire sont actuellement situés le bâtiment de l’administration de Serguiev Possad (11), deux hôtels, un centre commercial, un marché couvert, une maison de la culture, quelques habitations et un parc d’attractions. Selon les plans de l’Église, tout cela doit être démoli.
Les remaniements effectués parmi les cadres de l’Église orthodoxe de Russie montrent que le patriarche Cyrille, malgré la crise ukrainienne et l’impact politique du métropolite Tikhon (Chevkounov), garde pleinement le contrôle de la situation. Les rumeurs de son départ imminent viennent essentiellement de ce que les experts et les politiques le perçoivent en grande partie comme un homme politique, que l’on peut remercier à tout moment. Mais quelle que soit l’activité politique déployée par le patriarche, celui-ci est le primat de l’Église, et aucun de ses prédécesseurs n’a ainsi quitté ses fonctions : pour remplacer le patriarche, il a fallu, soit un coup d’État (comme pour le patriarche Job en 1605), soit un concile, avec la participation des patriarches d’Orient (comme celui qui a déposé le patriarche Nikon en 1666). En attendant, Cyrille s’attache à changer les cadres de l’Église, rajeunissant sa chancellerie et nommant des archipasteurs qui lui sont redevables, tout en conservant son statut formel et informel de chef de l’Église.
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