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Un nouveau « problème tchétchène » en vue pour Vladimir Poutine ?

Arnaud Dubien Arnaud Dubien
29 avril 2024
Cinquième chronique d'Arnaud Dubien pour la RTBF : https://www.rtbf.be/article/un-nouveau-probleme-tchetchene-en-vue-pour-vladimir-poutine-11366729




Le Kremlin cherche-t-il un successeur à Ramzan Kadyrov ? La question ne se pose pas, officiellement en tout cas. Le maître de la Tchétchénie, en place depuis 2007, contrôle plus que jamais son fief.

Et Moscou semble satisfait du partage des rôles, que ce soit dans le Caucase, au Moyen-Orient ou, plus récemment, dans le conflit ukrainien. Mais si l’on en croit une enquête très fouillée publiée ces derniers jours par Novaïa Gazeta Europa – un média créé par plusieurs anciens de la Novaïa Gazeta, journal indépendant dont le directeur, Dmitri Mouratov, a obtenu en 2021 le Prix Nobel de la paix et qui a suspendu sa parution après le 24 février 2022 – Ramzan Kadyrov souffrirait d’une grave maladie. Et les grandes manœuvres auraient discrètement commencé à Moscou pour préparer sa succession.

Pour rappel, le Kremlin a misé sur le clan Kadyrov dès 1998-1999, alors que la petite république nord caucasienne était de facto indépendante après la défaite l’armée russe et les accords de Khassaviourt d’août 1996.

À l’époque Grand mufti de Tchétchénie, Akhmat Kadyrov – qui avait combattu les Russes aux côtés des indépendantistes de Djokhar Doudaev – réchappe à un attentat fomenté par des islamistes et est "retourné" par les services russes.

Après le déclenchement de la deuxième guerre (postsoviétique) de Tchétchénie, à l’automne 1999, Akhmat Kadyrov est nommé par le Kremlin à la tête de la république nord caucasienne en vue de sa pacification. Il est cependant assassiné le 9 mai 2004 à Grozny.

Son fils Ramzan lui succède officiellement en 2007 après une période intermédiaire assez troublée, au cours de laquelle l’armée russe élimine les principaux chefs indépendantistes (Maskhadov en 2005 puis Bassaev en 2006) et prend le contrôle du territoire.

Ces quinze dernières années, un nouveau modus vivendi s’est instauré entre Moscou et la Tchétchénie. Le Kremlin a très généreusement financé la république nord caucasienne, fermant les yeux sur l’utilisation des fonds mais aussi sur la mainmise de plus en plus exclusive et inédite (historiquement, il n’y avait pas de pouvoir central fort parmi les Tchétchènes) du clan Kadyrov.

Il est vrai que ce dernier a rendu de nombreux services au régime russe : outre le maintien de l’ordre en Tchétchénie, il a joué un rôle de vitrine puis d’interface avec une partie du monde islamique (notamment les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite).

Quelque peu désœuvrés depuis le milieu des années 2000, les combattants de Kadyrov ont d’abord été engagés en Syrie avant d’être déployés, à une tout autre échelle, sur le front ukrainien. La prise de position très claire de Kadyrov contre Prigojine lors de la tentative de coup de force de juin dernier a été jugée à sa juste valeur au Kremlin.

Pour autant, les motifs de friction n’ont pas manqué. L’élimination, parfois sous les fenêtres du Kremlin, de membres de clans tchétchènes opposés aux Kadyrov a irrité les services de sécurité russes, qui s’inquiétaient en outre de l’amnistie accordée par son protégé aux islamistes et ex-indépendantistes.

Les appétits du pouvoir tchétchène au Daghestan et, surtout, en Ingouchie ont été vus à Moscou comme potentiellement déstabilisants pour un Caucase du Nord toujours fragile.

Il n’a par ailleurs pas échappé au Kremlin que, derrière l’allégeance formelle et le retour dans le giron fédéral, la réalité sur le terrain était plutôt celle d’un éloignement de la Russie : de fait, la Tchétchénie est devenue une sorte de féodalité, où la coutume locale l’emporte souvent sur la loi fédérale et où le pouvoir russe dispose d’un droit de regard et de leviers de plus en plus théoriques.

La relation quasi filiale entre Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine – qui l’avait reçu au Kremlin le 9 mai 2004 et était alors devenu en quelque sorte son père de substitution – a longtemps permis de mettre sous le boisseau les questions qui fâchent. Et l’on croyait que les (vrais) problèmes surgiraient lors de la succession du président russe, sans doute à l’horizon 2030.

Depuis quelques semaines, le Kremlin semble préparer l’ascension d’Apti Alaoudinov. Agé de 50 ans, fils d’un officier de l’armée soviétique, ayant longtemps fait partie de la police de Kadyrov mais sans être issu de la mouvance indépendantiste, il semble présenter de solides garanties aux yeux du pouvoir russe.

En décembre dernier, Apti Alaoudinov – encore peu connu au-delà des cercles tchétchènes – prend la parole lors du congrès de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Début avril, il est nommé n°2 de la Direction générale politico-militaire du ministère russe de la Défense, un poste censé le légitimer tant aux yeux des élites tchétchènes que fédérales.

De nombreuses inconnues demeurent cependant. La principale concerne l’état de santé de Ramzan Kadyrov, qui s’est empressé de communiquer – sans totalement convaincre – ces derniers jours.

Le cas échéant, parle-t-on de mois ou d’années ? Le clan Kadyrov et ses alliés sont-ils prêts à partager pouvoir et richesses ? Les menaces séparatistes et islamistes pourraient-elles ressurgir à la faveur d’une transition mal gérée ?

Autant de questions que Vladimir Poutine, qui pensait en avoir terminé avec la question tchétchène, doit sûrement se poser à l’orée de son 5e mandat.



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